Interview-Félix Anoblé (Président du Forum des Houphouëtistes) : « Nous avons besoin d’un chef qui fait moins de bruit, mais qui pose plus d’actions »
Le Forum des Houphouëtistes annonce, pour les jours à venir, une tournée nationale pour faire adouber la candidature du Président Alassane Ouattara par l’ensemble des Ivoiriens. Dans cette interview, Félix Anoblé, son président, ancien ministre de la Promotion des PME, de l'Artisanat et de la Transformation du Secteur informel, donne les motivations du choix du Président Ouattara comme candidat du Forum. Selon lui, la décision du Président de la République ne lui appartient plus. Par conséquent, il invite ce dernier à écouter l’appel de l’ensemble des Ivoiriens.
Le Patriote : Monsieur le ministre, au mois de novembre dernier, vous avez lancé un appel invitant le Président de la République à se porter candidat pour la prochaine élection présidentielle. En ce début d’année, à l’occasion de la présentation des vœux de nouvel an des corps constitués, il a indiqué qu’il n’avait pas encore pris sa décision. Cette réponse est-elle de nature à vous inquiéter ?
Félix Anoblé : Pas vraiment. Vous savez, le Président de la République a ses ambitions et ses objectifs personnels. Cette réponse relève de son droit. C’est tout aussi notre droit au RHDP de souhaiter qu’il soit notre candidat à cette élection. Et je pense que c’est également le souhait d’une bonne partie des Ivoiriens. Pour nous, et c’est notre conviction profonde, il est le candidat qu’il faut pour la stabilité de la Côte d’Ivoire. Certes, il dit qu’il ne s’est pas encore décidé. Mais vous aurez quand même remarqué qu’il a tenu à rassurer ses compatriotes sur le fait qu’il est en parfaite santé. Il a déclaré clairement qu’il se porte très bien et qu’il est désireux de continuer à servir son pays. C’est parce que nous savons qu’il se porte très bien, qu’il n’est pas prêt à abandonner son pays en si bon chemin, que nous lui disons de ne pas prendre la mauvaise décision.
LP : Quelle serait, selon vous, cette mauvaise décision ?
FA : Pour nous, la mauvaise décision serait qu’il se retire. Parce que l’écrasante majorité des Ivoiriens est d’accord qu’il continue. Tout lui donne le droit de continuer. Rien ne l’y empêche. La seule chose qui aurait pu nous inquiéter, c’était son état d’esprit et son état de santé. Il vient de nous rassurer à ces deux niveaux. Oui, il n’a pas encore pris sa décision. Mais nous lui disons aujourd’hui que, en réalité, cette décision ne lui appartient plus à lui seul. La décision de s’engager en politique, il a sans doute prise seul, quand bien même c’est à l’appel pressant d’une bonne partie des Ivoiriens. Mais à partir du moment il a dit oui à l’appel de son peuple, et qu’il a entrainé une bonne partie de ce peuple derrière lui, et que des millions de personnes ont cru en lui et ont bâti leur destin autour de son projet de société, de son ambition pour la Côte d’Ivoire, il ne s’appartient plus à lui seul. Alassane Ouattara, partir maintenant, ce serait nous mettre dans la même situation que celle du départ de Félix Houphouët-Boigny en 1993. La Côte d’Ivoire n’en a pas besoin. Notre pays a besoin de stabilité, n’en déplaise à ceux qui pensent qu’ils peuvent le diriger et nous mettre à l’abri de l’incertitude. Malheureusement pour eux, les Ivoiriens ont déjà vu à l’œuvre, au pied du mur de la gouvernance, tous ceux qui s’agitent et bavardent actuellement. Gérer un pays, c’est une chose trop sérieuse. C’est d’abord un homme, sa vision, sa volonté de se mettre entièrement au service de son pays, de lui offrir le développement sans contrepartie. Au RHDP, cet homme-là, c’est Alassane Ouattara. Nous sommes convaincus qu’avec lui, nous avons Houphouët-Boigny dans la force de sa jeunesse, de son engagement pour son pays, et qui a réalisé de grandes choses dont tout le monde est fier aujourd’hui.
LP : Au-delà de tout ce que vous venez de développer, pourquoi tenez-vous forcement qu’Alassane Ouattara soit encore candidat ?
FA : Je tiens à ce qu’il reste candidat, parce que je pense qu’il est le seul bouclier de la Côte d’Ivoire aujourd’hui, même pour l’opposition. Mais aussi, il est celui qui va permettre à notre sous-région de continuer à tenir. Il n’y a pas que la Côte d’Ivoire. Il y a la sous-région ouest-africaine. Nous savons et voyons tout ce qui se passe autour de nous. Nous avons besoin d’un chef qui fait moins de bruit, mais qui pose plus d’actions.
Pour la Côte d’Ivoire, je voudrais donner cette image, Alassane Ouattara est le bouchon de liège sur une bouteille de champagne qui a été remuée pendant longtemps. C’est grâce à lui que le liquide ne s’évapore pas, ne disparait pas. Si pendant que cette bouteille ne s’est pas encore reposée, on se trompe à enlever le précieux bouchon protecteur, c’est toute la toute la sous-région ouest africaine qui va sauter et qui risque d’embraser la Côte d’Ivoire. Nous n’avons pas besoin de cela. Je ne suis pas un alarmiste, mais je dis qu’il ne faut pas se tromper et croire qu’il suffirait de mettre n’importe qui à la tête du pays pour que le pays avance sans problème. Non, nous sommes tous témoins loin de nous, nous tous témoins de ce que le changement pour le changement a créé dans de grands pays. La Côte d’Ivoire n’a pas besoin de tout ça. La Côte d’Ivoire a besoin de stabilité.
LP : Contrairement à ce que vous avancez, l’opposition estime que le RHDP insiste sur la candidature du Président de la République, parce que ce dernier n’a pas préparé la relève. Que répondez-vous ?
FA : Sur la question, le Président a déjà donné sa réponse. Il l’a répété à nouveau parlant d’une demi-douzaine de cadres. Le disant, il fait preuve de modestie. Au RHDP, moi je ne parlerai pas d’une demi-douzaine. Je parlerai d’une centaine. S’il parle d’une demi-douzaine, c’est qu’elle a été préparée. Nous lui disons, oui la demi-douzaine été préparée, mais nous pensons que ce n’est pas le moment ! C’est aussi clair que ça. Nous avons nos contradictions internes au niveau du RHDP, mais malheureusement pour la Côte d’Ivoire, le pays respire pour l’instant RHDP. Tout dérèglement du RHDP va créer un dérèglement de la Côte d’Ivoire. Comme hier, le dérèglement du PDCI avait créé un dérèglement de la Côte d’Ivoire. Il ne faut pas tenter le diable. Il ne faut regarder ceux qui pensent qu’ils sont prêts à prendre la relève. Personne pour l’instant n’est prêt à prendre la relève en Côte d’Ivoire. Je parle de ceux qui sont en face. Ils ne sont pas prêts.
LP : Doit-on comprendre que ni Gbagbo ni Thiam ne sont prêts pour diriger ce pays ?
FA : Je ne voulais pas nommer l’un ou l’autre. Mais comme vous m’y amenez, je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que Gbagbo a dirigé la Côte d’Ivoire de 2000 à 2010. Nous sommes pour beaucoup contemporains de cette période. S’il était prêt, il n’aurait pas conduit le pays dans le chaos. Et là encore, c’était le Gbagbo dans la fleur de la soixantaine, qui n’a pas pu s’empêcher de nous servir ce que nous avons tous vécu. Qu’en serait-il du Gbagbo de maintenant que tout le monde voit empêtré dans ses propres contradictions. Ce n’est pas maintenant qu’il pourra agir positivement. Déjà ses premiers discours démontrent qu’il est encore dans un passé dont les Ivoiriens n’ont pas besoin.
LP : Pour vous, sa volonté d’être candidat n’aurait donc pas de sens ?
FA : Je ne juge pas sa volonté. Qu’elle ait un sens ou pas, je dis qu’il n’est pas prêt pour être à nouveau le Président de la République de la Côte d’Ivoire. Tout le monde peut avoir la volonté de vouloir être président de la République. Mais tout le monde n’est pas forcément prêt pour l’être. Gbagbo n’est pas prêt pour être président de la République de Côte d’Ivoire. Il a été président. Il a été battu. Il ne reconnait pas jusqu’à présent qu’il a été battu.
Il vit donc en permanence dans le passé. Et son entourage l’y aide sérieusement. Il ne montre aucun signe de changement, de progrès dans leur appréhension d’une Côte d’Ivoire qui se veut nouvelle, face à de nouveaux défis. Gbagbo et les siens sont restés les mêmes. Ils refusent d’être au même niveau que l’ensemble des Ivoiriens. Tant qu’ils sont dans la passé, qu’ils sachent que la Côte d’Ivoire n’a pas besoin d’un retour en arrière. Les Ivoiriens veulent avancer.
LP : Laurent Gbagbo, lui, se dit très prêt. Il a annoncé la construction d’universités et de CHR dans chaque région, s’il revenait au pouvoir. Comment réagissez-vous à cette promesse qu’il a faite aux femmes de sa formation politique ?
FA : Le disant, il ne promet rien de nouveau. C’est ce qui se fait actuellement avec le Président Ouattara. Et ce travail de construction est de très bonne qualité et est apprécié de tous les Ivoiriens. Qu’est-ce que Gbagbo peut faire de plus et de mieux qu’un bâtisseur reconnu par tous ? Sinon les CHU, les universités, les routes, l’électrification des villages, l’adduction en eau potable, les écoles, c’est ce qu’Alassane Ouattara fait tous les jours. Pourquoi venir remplacer ce qui se fait si bien ?
LP : Au PDCI, Thiam est présenté comme un challenger sérieux. Qu’en pensez-vous ?
FA : Un challengeur sérieux ! Je laisse le soin à ceux qui utilisent ce qualificatif de l’utiliser à souhait. Sur la question, je pense que Billon est assez bien placé pour donner une réponse. Je laisse à chaque Ivoirien le soin de bien écouter Billon pour se faire une idée de l’homme. Je voudrais surtout répondre à ceux qui avancent que le RHDP aurait peur du mot inclusif. Je leur rappelle que nous ne sommes pas dans une jungle. Nous sommes dans un pays de droit, un pays où celui qui veut être candidat se prépare en en remplissant les conditions. Pour être candidat dans un pays, il faut y vivre souvent. Thiam aurait dû le faire de temps en temps. Quand Alassane Ouattara voulait être candidat en Côte d’Ivoire, il a démissionné du FMI. Il est venu durant plusieurs années se mettre à la disposition des Ivoiriens. Thiam, démissionnaire ou renvoyé, avait un choix à faire : faire ses valises et rentrer au pays pour s’imprégner des réalités quotidiennes de ses compatriotes.
LP : Il y est maintenant.
FA : Effectivement. Mais, y est-il au moment où il faut ? A-t-il pris le temps nécessaire de connaitre ce pays qu’il a abandonné pendant près d’un quart de siècle ? Qu’il y passe le temps qu’il faut avant de prétendre en prendre le destin en main. Peut-être lui est-il possible de tenter sa chance beaucoup plus tard.
En 2030, on verra, pourquoi pas ? En ce moment, les Ivoiriens l’écouteront et apprécieront. Pour jouer la Coupe du monde, on va avec les équipes qui sont prêtes, qui ont les licences appropriées. Ceux qui ne répondent pas aux conditions, peuvent jouer les matchs intermédiaires au niveau de votre pays. Tous ceux qui veulent être candidats doivent respecter les textes du pays. Nous ne sommes pas dans le désordre. Thiam est venu pour se préparer peut-être pour être candidat en 2030. Pas maintenant.
LP : L’opposition demande à nouveau un dialogue politique, la révision de la liste électorale en 2025…
FA : C’est l’opposition qui refuse la révision de la liste électorale. La Commission électorale indépendante est prête à faire une révision tous les mois si on veut. C’est simple. Dans tous les pays développés, quand vous atteignez 18 ans et que vous faites établir votre carte d’identité, vous êtes automatiquement reporté sur la liste électorale. C’est l’opposition qui fait obstacle à cette procédure et qui souhaite qu’un moment donné soit choisi pour la révision de la liste électorale. Le monde avance. La révision de la liste électorale coûte de l’argent inutilement. Il faut arrêter de mobiliser tout le monde, de mobiliser des fonds pour des choses qui peuvent se régler administrativement. On ne va pas obliger les gens à aller s’inscrire sur une liste électorale. Il y a des personnes qui ne sont pas intéressées. C’est leur droit, puisque le vote n’est pas obligatoire dans notre pays. L’opposition ne veut pas des choses simples. Pour auditer la liste, elle n’a pas besoin de l’Etat de Côte d’Ivoire. La liste électorale est à leur disposition. On n’a pas besoin de faire autant de bruit sur la question. C’est juste du bruit pour faire du bruit. Parce que s’ils veulent auditer la liste, ils n’ont pas besoin d’une caution morale de qui que ce soit. L’opposition a tout pour auditer la liste électorale.
LP : Monsieur le Ministre, le défi du RHDP, ce n’est pas la candidature du Président Ouattara, c’est de le faire gagner au premier tour. Est-ce que le RHDP en est capable ?
FA : Je voudrais profiter de cette question pour lancer un appel à l’ensemble des cadres du RHDP. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de dire que je suis candidat à la députation, au Sénat, à la mairie ou au conseil régional. Ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Aux cadres, je dirais, mettons nos ambitions personnelles dans les placards. Concentrons-nous sur l’élection présidentielle. Nous sommes majoritaires en Côte d’Ivoire. Tout le démontre. Nous sommes le seul parti qui a véritablement compté ses militants. Les chiffres que nous avons-nous démontrent que nous gagnons au premier tour sans ambages et de façon indiscutable cette élection. Que les cadres du RHDP mettent leur égo de côté, leurs ambitions personnelles de côté. Et qu’ils se souviennent que c’est lorsqu’on est au pouvoir qu’on peut régler des problèmes. Si on se retrouve dans l’opposition, on n’aura aucun problème à régler. Prenons le courage de dire : « on se donne les mains, on va gagner la présidentielle, après on viendra régler nos problèmes internes ». Au premier tour, le RHDP gagnera sans aucune difficulté. Que les militants du RHDP sachent que si nous réglons nos contradictions, nous allons gagner au premier tour avec plus de 65% de l’électorat. Tout dépend de nous. Tout dépend de la cohésion que nous voulons mettre autour de notre leader.
LP : Justement, que prévoit exactement le Forum cette année ?
FA : L’ensemble des Houphouëtistes doit faire en sorte que le RHDP gagne cette élection. La seule solution qui nous amène à une victoire de la Côte d’Ivoire, c’est le Président Alassane Ouattara. Pour cela, il faut identifier les problèmes internes et les régler rapidement. A côté des structures du parti, nous allons nous donner la main pour faire les derniers réglages qui vont nous permettre de gagner de façon indiscutable. Notre objectif, c’est de rajouter 10% des Ivoiriens aux 65% qui sont déjà acquis à la cause du RHDP pour qu’au total, 75% d’Ivoiriens choisissent Alassane Ouattara. Nous allons mettre ensemble les amoureux de la Côte d’Ivoire. Parce que la candidature d’Alassane Ouattara est d’abord pour ceux qui aiment la Côte d’Ivoire.
Je voudrais saisir cette opportunité pour m’adresser à ceux qui disent qu’ils aiment Houphouët-Boigny. La politique de notre premier président se situe dans une philosophie de paix. Félix Houphouët-Boigny n’a eu que ce mot à la bouche durant toute sa gouvernance. Nous devons savoir que cette paix retrouvée doit se consolider. C’est important. A l’ensemble de ceux qui souhaitent être candidat, je dirai ceci : « il y a nos petites invectives. Il y a nos petites contradictions. Nous devons savoir que nous avons une seule chose en commun, c’est la Côte d’Ivoire ». Pour une élection, nous n’avons pas besoin de détruire le tissu social de la Côte d’Ivoire. Nous n’avons aucun droit. Personne n’a ce droit. Je voudrais dire à certains candidats qui se sont érigés en censeur pour d’autres que nous devons tous tourner autour de la loi. La loi permettra à ceux qui peuvent être candidats de faire acte de candidature. Elle ne permettra pas à ceux qui ne peuvent pas être candidats de l’être. Il ne s‘agit pas d’avoir pitié. Il n’est pas du ressort du FPI, ni du PPA-CI ou du PDCI de choisir le candidat du RHDP. Tout comme il ne revient pas au RHDP de choisir le candidat de ces formations politiques. Ce que nous, nous demandons, c’est que chaque formation politique nous envoi des candidats éligibles. Au Sénégal, Ousmane Sonko savait qu’il ne pouvait pas être candidat au Sénégal. Il a choisi celui qui pouvait être candidat.
Réalisée par Y. Sangaré et Thiery Latt