Murmures des âmes et cris étouffés : Les leçons non comprises des joutes électorales

Pour une conscience nationale
Il y a, dans le silence des urnes après la tempête, des voix que l’on n’entend plus. Des voix que l’on n’a peut-être jamais voulu écouter. Ce sont celles des âmes blessées, dispersées dans les cimetières de l’indifférence, errantes dans les souvenirs des familles éclatées, des enfants orphelins, des mères inconsolables, des amis amputés d’une présence.
Ils étaient jeunes. Ils étaient pères. Elles étaient mères. Militants d’un jour, martyrs à jamais. Leurs visages se sont effacés des discours officiels, mais leurs murmures hantent encore les nuits de ceux qui portent une conscience. Murmures de douleur. Cris d’injustice. Soupirs d’âmes envolées sans adieu.
Une nation endeuillée sans deuil
La Côte d’Ivoire, à chaque tournant électoral, semble rejouer une partition inachevée où les passions l’emportent sur la raison, où les appartenances étouffent l’humanité. Les urnes deviennent des arènes. La politique, un champ de bataille. Et chaque fois, des corps tombent, des esprits se brisent, des cœurs se ferment.
Mais avons-nous fait le deuil de toutes ces vies fauchées ? Qu’avons-nous appris de ces douleurs enfilées comme des chapelets de souffrances ? Où sont les mémoriaux, les actes symboliques, les paroles de pardon sincères, les gestes de réparation morale ?
Quand la politique perd l’âme
Un pays ne meurt pas seulement de ses conflits armés. Il meurt aussi de ses oublis volontaires, de ses silences sélectifs, de son incapacité à regarder ses enfants blessés dans les yeux.
Nos joutes électorales, souvent présentées comme des exercices démocratiques, deviennent parfois des jeux de pouvoir sans scrupule où la fin justifie les moyens. Derrière les couleurs politiques, il y a pourtant une seule couleur : celle du sang versé. Et celui qui tue au nom d’un camp tue une part de la nation.
Le cri silencieux des âmes : un appel au sursaut
Écoutez ce cri :
“Pourquoi m’avez-vous enrôlé dans une guerre qui n’était pas la mienne ?”
“Pourquoi ma vie a-t-elle servi d’échelon à vos ambitions ?”
“Et maintenant que je suis parti, qui pleure encore mon nom ?”
Ces questions ne s’adressent pas qu’aux acteurs politiques. Elles interpellent chaque citoyen, chaque influenceur, chaque religieux, chaque enseignant, chaque parent. Car la guerre électorale commence toujours dans les cœurs — quand le rejet de l’autre s’installe, quand le mépris devient viral, quand la vérité cède la place à la manipulation.
L’enseignement des religions, des sages et des morts
Les religions nous rappellent que “celui qui tue un seul homme, c’est comme s’il avait tué toute l’humanité”.
Nos traditions africaines nous enseignent que “la tombe n’est pas une fin, mais un passage”.
Nos anciens disaient : “On ne danse pas sur la tombe de son frère, même quand on a gagné.”
Alors, que faisons-nous de cette sagesse ? Qu’avons-nous fait de nos morts ? Des archives ou des enseignements vivants ?
Pour une paix durable : reconnaître, réparer, réhumaniser
La paix ne se construit pas sur l’amnésie. Elle s’enracine dans la reconnaissance des fautes, la réparation symbolique et la volonté d’élever les consciences. Cela passe par :
Des mémoriaux pour les victimes électorales : pas pour rouvrir les blessures, mais pour en guérir la mémoire.
Une méditation de notre passé proche, non pour nous y enliser, mais pour que les vents de l’Histoire ne nous ramènent pas les mêmes tempêtes.
Une éducation civique rénovée, fondée sur l’empathie, la responsabilité, le respect des différences.
Un serment de paix signé par tous les leaders politiques avant chaque échéance électorale.
Que reste-t-il de nous, après eux ?
Ceux qui sont tombés ne demandent pas vengeance. Ils réclament sens. Que leur mort ne soit pas une note de bas de page dans un livre de stratégie électorale, mais une lumière qui éclaire notre chemin de réconciliation.
À l’aube des prochaines élections, souvenons-nous que chaque mot lancé peut devenir une pierre, chaque rumeur une étincelle, chaque fanatisme un incendie.
Et si nous avons encore un brin de sagesse, nous choisirons la paix.
Pas par lâcheté.
Mais par amour de la vie.
Par respect pour les morts.
Par responsabilité envers nos enfants.
Par Norbert KOBENAN