Reportage - Électricité : Comment les ivoiriens font baisser leurs factures
Face au poids des factures d’électricité et pour faire face à la cherté de la vie, de plus en plus d’Ivoiriens se tournent vers des solutions technologiques pour mieux maîtriser leur consommation. Du compteur intelligent à la domotique en passant par les ampoules LED et les programmateurs numériques, ces outils transforment les habitudes et soulagent les portefeuilles. Incursion dans des foyers et établissements hôteliers.

À Abidjan, dans la commune d'Anyama, Assétou Diabaté est satisfaite. Depuis qu'elle a installé un compteur intelligent sa consommation est de plus en plus modérée. Et pour cause : elle est plus regardante désormais sur sa consommation. Contrairement au compteur à disque qui alimentait sa concession. À l'en croire, ses dépenses ont chuté d’environ 25 %. « Depuis l’installation d’un compteur intelligent, mes dépenses ont chuté d’environ 25 %, soit une économie moyenne de 3 000 à 5 000 FCFA sur ma facture », confie cette mère de trois enfants. Comme elle, des milliers d’Ivoiriens se tournent vers ces dispositifs qui facilitent une gestion plus rationnelle de l’électricité. Les compteurs intelligents, déployés par la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE), sont à l’avant-garde de ce changement. Ils permettent aux usagers de suivre leur consommation en temps réel, de recevoir des alertes, ou encore d’acheter via le mobile money des crédits d’énergie. À ce jour, environ 3 millions de ces compteurs ont été installés à travers le pays. L'entreprise ambitionne d'en fournir 100% dans la ville d'Abidjan d'ici la fin de l'année. L’objectif : favoriser une meilleure maîtrise de la demande énergétique. Parallèlement, elle développe d'autres initiatives dont l’application mobile « Ma CIE », déjà lancée, qui offre la possibilité de consulter ses factures, de suivre sa consommation et de signaler d’éventuels incidents.
Lutter contre les appareils énergivores par l'étiquetage
Cette dynamique s’accompagne d’une sensibilisation accrue à l’usage d’équipements électroménagers à faible consommation, comme les ampoules LED, les réfrigérateurs ou climatiseurs intelligents. Un mouvement encouragé par un cadre réglementaire renforcé. L’arrêté ministériel n°140/MPEER/MBPE du 27 novembre 2020 impose désormais un étiquetage énergétique obligatoire des lampes, réfrigérateurs, congélateurs et combinés avant leur commercialisation. « Sa mise en œuvre contribue à la maîtrise de la demande d’énergie », explique Ehouman Kalifa, directeur général de l’Énergie au ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie. Cette mesure agit comme un garde-fou contre l’importation massive d’équipements énergivores, souvent bon marché à l’achat, mais coûteux à l’usage pour les ménages et pour l’économie nationale. Les produits non conformes sont désormais interdits à la vente et à l’usage sur l’ensemble du territoire. L’innovation ne se limite pas aux compteurs. Dans les foyers, les hôtels ou immeubles, des systèmes plus élaborés apparaissent, notamment grâce à la domotique. À Cocody, Jacques Silué, gérant d’un hôtel, se réjouit : « On n’a plus besoin de surveiller les clients. Les lumières et les climatiseurs s’éteignent automatiquement quand ils quittent la chambre. On gagne du temps, mais surtout, on économise de l’argent. Avant, nos factures étaient très élevées». Aujourd'hui, selon lui, il paie moins. «Nos factures tournaient autour de 700 000 FCFA. Aujourd’hui, on est passé à environ 500 000 FCFA, soit près de 200 000 FCFA d’économie», témoigne-t-il. À Koumassi, Idriss Traoré, propriétaire d’un immeuble, a installé des détecteurs de présence dans les escaliers. « Quand un locataire passe d’un palier à un autre, la lumière s’éteint derrière lui et s’allume devant. Cela évite que les couloirs restent allumés inutilement », explique-t-il. Une solution simple, mais efficace. Résultat : la facture d’électricité des parties communes a baissé de plus de 40 %, passant de 30 000 à moins de 18 000 FCFA. Du côté d'Abobo, au quartier Kennedy, Delphine Loukou, ménagère, a remplacé toutes ses vieilles ampoules par des LED. « J’ai reçu des conseils lors d’une visite de techniciens de la CIE. Depuis, je n’utilise plus que des ampoules LED et j’ai appris à débrancher les appareils inutilisés. J’arrive maintenant à faire des économies », dit-elle fièrement.
L’usage d’équipements électroménagers à faible consommation est recommandé (Ph DR)
Cette mère de famille avoue économiser environ 3 000 FCFA sur sa facture grâce à ces gestes simples. Yao Stéphane, technicien en maintenance à Yopougon, constate, lui aussi, un changement dans les mentalités. « Avant, on me demandait surtout de réparer des appareils. Aujourd’hui, beaucoup veulent que je les aide à optimiser leur consommation. J’installe des minuteurs sur des chauffe-eaux, je programme des disjoncteurs intelligents. L’intérêt est là. Il faut juste mieux former les gens », souligne-t-il. Malgré ces progrès, la consommation électrique nationale reste élevée, avec 13 572 GWh enregistrés. Le gouvernement multiplie donc les campagnes de sensibilisation à travers les médias, les affichages urbains ou encore des sessions de formation. En 2024, une vaste campagne ciblant les fonctionnaires s’est déroulée dans les 14 chefs-lieux de district du pays. « L’objectif était de renforcer les capacités des agents publics pour une meilleure gestion de l’énergie, notamment dans les bâtiments administratifs », précise Ehouman Kalifa. En s’attaquant aux bâtiments publics – souvent très énergivores – l’État entend donner l’exemple tout en réduisant ses dépenses. En complément de ces efforts, l’État a renforcé le cadre réglementaire en instaurant, par arrêté interministériel n°156 MPEER/MT/MCLU/MINEDD/MCI du 23 mars 2024, l’audit énergétique obligatoire pour certains établissements publics et privés, dans les secteurs de l’industrie, du tertiaire, du résidentiel et du transport. Ce texte, pris en application du nouveau Code de l’électricité, vise à encourager une meilleure gestion de l’énergie et à réduire les émissions de gaz à effet de serre. «Les audits peuvent conduire à des recommandations techniques dont la mise en œuvre permettrait jusqu’à 30 % d’économie d’énergie», soutient-il. Le non-respect de cette obligation expose les contrevenants à une amende équivalente au quart de leur facture énergétique annuelle, précise le Dg.
L'innovation ivoirienne au service de l'efficacité
Le secteur privé n’est pas en reste. Électronicien et chercheur, Koné Idrissa a mis au point un programmateur, appelé DPN, destiné aux climatiseurs. « Il permet au climatiseur de fonctionner pendant 45 minutes, puis coupe le moteur externe pendant 15 minutes, tout en laissant tourner le ventilateur intérieur. Cela réduit la consommation de 25 % par heure, sans impacter le confort », explique-t-il. Selon lui, l’efficacité de cette solution ne fait aucun doute. « J’ai une cliente dont la consommation a tellement baissé après l’installation du DPN que la CIE a cru à une fraude. Ils ont envoyé une équipe sur place, mais tout était conforme. La technologie avait simplement permis de vraies économies», déclare-t-il. A l’en croire, si cet appareil était généralisé dans les bâtiments publics, l’État pourrait économiser plusieurs milliards de francs CFA chaque année. Au-delà des économies, l’impact environnemental est bien réel. « Quand les compresseurs des climatiseurs tournent, ils libèrent du gaz réfrigérant (fréon) qui, en cas de fuite, pollue l’atmosphère. Si 5 millions de climatiseurs s’arrêtent juste 15 minutes, on réduit considérablement les émissions. En plus, cela soulage le réseau électrique », conclut-il. Et pour les réfrigérateurs et congélateurs ? Koné Idrissa a également développé un système programmable spécifique. Il permet de couper le moteur du frigo à des plages horaires précises : par exemple, de minuit à 2h, de 4h à 5h30, de 10h30 à 12h, et de 16h à 17h. Ces arrêts, répartis sur la journée, représentent 6 heures de pause sur 24 heures. « Beaucoup me demandent si cela ne détériore pas les aliments. La réponse est non, tant que le frigo reste fermé. Même en cas de coupure électrique de 8h à 16h, les aliments restent intacts. Et ici, les coupures sont bien réparties dans la journée. Il n’y a donc aucun risque pour la conservation », rassure-t-il. La Côte d'Ivoire s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30,41 % d’ici 2030. Au-delà des économies réalisées, cette réduction de la consommation contribue également à limiter les émissions liées à la production d’électricité, un enjeu crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Rahoul Sainfort