Lettre ouverte à Laurent Gbagbo

Lettre ouverte à Laurent Gbagbo

Laurent Gbagbo a encore fait parler de lui. Comme souvent ces derniers mois, dans le mauvais sens du terme. La semaine dernière, après un discours hors-sol – faussement guerrier – et des menaces à peine voilées contre la paix en Côte d’Ivoire suite à sa radiation de la liste électorale, l’ancien dictateur frontiste s’est fendu d’une lettre ouverte adressée au peuple ivoirien. Dans cette missive, où il annonce la création d’un prétendu mouvement citoyen baptisé « Trop, c’est trop », il dépeint, avec une bonne dose de mauvaise foi politique – et sans doute un brin de manipulation –, une Côte d’Ivoire apocalyptique qui, bien entendu, n’a rien à voir avec le pays reconstruit avec brio par Alassane Ouattara depuis 2011. 

Mais surtout, Laurent Gbagbo affirme qu’il est prêt à "se battre" contre l'Etat de Côte d'Ivoire pour obtenir son inscription sur la liste électorale, non sans menacer de jeter les jeunes dans les rues, en dépit de la décision de justice qui le frappe depuis 2019 : une condamnation à 20 ans de réclusion criminelle pour le braquage de la BCEAO, le rendant inéligible et privé du droit de vote. 

Faut-il rester silencieux face à de tels propos graves, aux antipodes des aspirations profondes de la majorité silencieuse des Ivoiriens, qui veulent tourner la page de la division et de la violence ? Absolument pas ! La Côte d’Ivoire n’est pas une propriété privée, même pour un ancien président de la République. Elle appartient à tous les Ivoiriens. La gravité de cette sortie, venant d’un homme qui a gouverné ce pays, nous oblige à réagir et à vous interpeller, Monsieur Laurent Gbagbo. 

Votre statut d’ancien chef d’État mérite une certaine déférence. Mais aussi protégé soit-il par la loi, il ne vous exonère ni de votre responsabilité ni de votre devoir de redevabilité envers le peuple ivoirien. Loin des excitations populistes, posons-nous les vraies questions : 

Vous dites que « Trop, c’est trop ». Mais avez-vous vraiment tiré les leçons du passé ? Non. 

Avez-vous conscience que votre refus ahurissant de céder le pouvoir après votre défaite électorale en 2010 a plongé le pays dans une crise meurtrière ayant coûté la vie à plus de 3 000 personnes ? Non. 

Monsieur le Président, l’appareil politique sur lequel vous comptez, c’est le PPA-CI. Mais êtes-vous réellement certain du poids de cette formation ? Non, je ne le crois pas.  Sinon, vous vous seriez ravisé et fait le tour avant d'annoncer cette initiative.

Depuis plusieurs années, vous vous montrez incapable de rassembler votre famille politique ou d’unifier l’opposition autour d’un projet sérieux. L’appel de Bonoua, lancé en juillet 2024 dans la ville éponyme, s’est soldé par un échec retentissant. Autant de signes que vous devriez être en mesure de décrypter, et qui devraient vous amener à une conclusion évidente : votre voix ne porte plus. 

Finalement, que proposez-vous aux Ivoiriens ? Rien ! Aucune idée concrète, aucun projet de développement, aucune solution pour améliorer leur quotidien. 

 

Ce pays que vous peignez sous un jour sombre, n’est pas celui que nous connaissons. La Côte d'Ivoire est aujourd’hui une nation dynamique qui scintille sur la scène internationale, portée par des avancées économiques, des infrastructures modernisées et une influence grandissante dans les instances diplomatiques et sportives. 

Les progrès sont indéniables. Depuis 2011, la transformation est palpable à tous les niveaux. Elle est l’une des économies les plus performantes d’Afrique de l’Ouest, avec un taux de croissance soutenu avoisinant les 7% par an. Les investissements étrangers affluent, attirés par la stabilité et les opportunités offertes par un pays en plein essor. 

Routes, ponts, universités, hôpitaux, tout le pays est en chantier.  La Côte d’Ivoire a accueilli des événements de portée mondiale, comme la Coupe d’Afrique des Nations et les forums économiques salués pour leur organisation exemplaire. Sur le plan diplomatique, elle joue un rôle clé dans les initiatives africaines et est respectée pour sa stabilité politique et économique. 

Face à ces avancées, il est difficile de prétendre que le pays se trouve au bord du précipice, comme vous l’affirmez. Loin de l’image d’une nation en déroute, la Côte d’Ivoire incarne aujourd’hui une success story africaine, bâtie sur la paix, le progrès et l’unité nationale. 

Cette dynamique ne peut être niée ni occultée par des discours alarmistes déconnectés de la réalité.

Monsieur le Président, la responsabilité d’un leader politique n’est pas d’attiser les peurs, mais d’offrir une vision constructive pour accompagner ce développement, et non de le saboter. 

Alors, que peuvent attendre les Ivoiriens d’un homme, comme vous, dépassé par les enjeux du monde actuel, et qui, par le passé, a précipité son propre pays dans le chaos ? 

Monsieur le Président, les Ivoiriens, je crois, vous ont compris. Ce qui vous préoccupe, ce n’est pas la Côte d’Ivoire, c’est votre personne. Tout tourne autour de vous. Sans vous, ce serait le chaos. Mais avez-vous déjà oublié le 11 avril 2011 ?

Cette date restera à jamais gravée dans la mémoire collective, le jour où les Ivoiriens ont vu leur pays libéré de votre régime autocratique, liberticide et violent. Et pourtant, malgré cela, vous avez bénéficié d’un salut que vous et vos hommes n’avez pas voulu offrir au Général Robert Guéi que vos hommes ont abattu, alors que votre Premier ministre l'accusait faussement d'être l'auteur du coup d'Etat avorté du 19 septembre 2002. Votre survie, vous la devez à l'humanisme de votre successeur, Alassane Ouattara. Mais au lieu d’en tirer une leçon de dignité et de sagesse, vous préférez lancer des appels à la bagarre, accuser et ruer dans les brancards. 

Monsieur le Président, en politique, le plus difficile n’est pas de réussir sont entrée et son ascension, mais de savoir quitter la scène avec honneur.  Mais, comme le lézard qui s’accroche désespérément, vous êtes en train de détruire ce qui reste de la sympathie que certains Ivoiriens avaient encore pour vous. 

Ressaisissez-vous, Monsieur le Président, au risque de quitter la scène politique par la plus petite porte. 

 

Charles SANGA