Interview-Bernard Adou Gnényé (directeur général de l’Office d’aide à la commercialisation des produits vivriers) : « Pour éviter les pénuries, il faut mettre en place une politique de conservation de l’eau afin de produire en toute saison »

En charge de veiller à l’approvisionnement des produits vivriers sur les marchés, l'Office d'aide à la commercialisation des produits vivriers (OCPV) est un établissement public national créé depuis juillet 1984. Il est placé sous la tutelle technique et administrative du ministère du Commerce et de l’Industrie, et sous la tutelle financière du ministère des Finances et du Budget. Dans cet entretien, le directeur général Bernard Adou Gnényé évoque les actions à mettre en œuvre pour éviter les pénuries et pour lutter contre la vie chère.

Interview-Bernard Adou Gnényé (directeur général de l’Office d’aide à la commercialisation des produits vivriers) : « Pour éviter les pénuries, il faut mettre en place une politique de conservation de l’eau afin de produire en toute saison »
« D'ici quelques années, on pourra produire en toute saison »

Le Patriote : Quelles sont les différentes missions de l'OCPV ?

Bernard Adou Gnényé : L'Office d'aide à la commercialisation des produits vivriers assure la réglementation et la modernisation des systèmes de commercialisation des produits vivriers. En clair, nous aidons à mettre sur le marché les produits vivriers depuis leurs zones de production jusqu'aux marchés de consommation, dans les meilleures conditions de transport pour assurer la qualité des différents produits. Quand on parle de produits vivriers, ce sont tous les produits que nous pouvons retrouver dans nos assiettes. Le vivrier peut avoir une origine végétale. Il s’agit du piment, gombo, igname… Il existe une autre d’origine animale et halieutique, notamment du poisson, le mouton… Nous avons, également, en charge la coordination et la planification des infrastructures de mise en marché, tels que les marchés de gros, de détails de vivriers. Nous avons aussi les centres de collecte, de groupage. Plus récemment nous avons les marchés de proximité. Nous devons veiller à ce que ces produits soient bien stockés et conservés. Raison pour laquelle nous avons un réseau de centres de collecte et de groupage des produits vivriers. Nous en avons trois, à Kotobi, Méagui et Sinématiali. En termes de marché de gros, il était prévu la construction de plusieurs marchés de gros. Pour le moment, nous avons celui de Bouaké qui est fonctionnel. Cependant, nous prévoyons construire onze autres marchés de gros. Il y a déjà celui de de Daloa, d'Abengourou et d'Abidjan dont les financements sont bouclés. La construction va débuter incessamment.

LP: Concrètement, quelles sont les actions que vous menez pour éviter la pénurie des produits vivriers sur les marchés locaux?

BAG: En général notre agriculture est dépendante des aléas climatiques. D'abord au premier semestre, c'est-à-dire de janvier jusqu'en juin, nous constatons par moments une faiblesse de l'approvisionnement des marchés. Cela est dû au fait que durant cette période, c’est la mise en place des cultures vivrières. C'est dire qu'en général, on a fini de consommer ce qu'on avait produit. Pendant cette période, on a une forte demande en produits vivriers, en termes de semenceaux ou de rejets pour planter. Pour le cas de l’igname, les producteurs en ont besoin pour planter. Aussi, une bonne partie est utilisée pour faire de nouvelles plantations. A partir du mois de juillet, on a une abondance des productions. En général, vous constaterez que de juillet jusqu'en janvier, février, les populations ont accès à la nourriture, et ne s'en plaignent vraiment pas. Et dès que nous entrons dans les mois de mars jusqu'en avril, la pénurie se ressent, et les prix commencent à grimper.

Face à ces situations, nous sensibilisons les producteurs, à l'effet de les amener à faire sortir ces restes de leurs champs, de leurs greniers, afin que ces stocks puissent accéder aux marchés de consommation. En outre, nous avons des échanges avec les pays voisins, notamment le Niger pour l'oignon, le Burkina Faso pour la tomate, le Ghana pour les ignames et l'orange... Pendant les périodes de pénurie, nous encourageons l'importation de ces produits vers la Côte d'Ivoire. Très souvent nous nous rendons compte que les marchés ne sont pas approvisionnés du fait du mauvais état de certaines pistes. Les camions de transport refusent d'emprunter ces mauvaises routes, c’est ce qui complique le ravitaillement des marchés. Face à ces situations, nous avons proposé au gouvernement de construire des marchés de proximité dans les grandes zones de production qui seront équipés en camions et de tricycles. Ces véhicules peuvent avoir facilement accès aux zones de production et nous aider à enlever ces marchandises, afin de résoudre le problème de moyens de transport que les producteurs posent. 

LP : Ces marchés n’existaient pas auparavant ?

BAG: Non, ces marchés n'existent pas. C’est maintenant que nous avons mis en place le programme de construction qui va se faire en trois phases. La première phase, la phase pilote, comprend la construction de quarante marchés de proximité dont le lancement a été fait depuis 2022. A ce jour, nous avons quinze marchés de proximité qui sont pratiquement terminés. Ils sont situés dans les localités de Yakassé-Attobrou, Bocanda, Lobocankro, à Korogho avec le marché de Karakoro, Yendjéréni, etc.

LP : Pourquoi les pays de l'Afrique de l'Ouest que vous avez cités parviennent à nous approvisionner durant la période de pénurie alors que nous avons presque la même pluviométrie ?

BAG : Je vous ai dit que notre agricole est fortement dépendante des saisons, de la pluviométrique. Chez nous, la pluie commence à la mi-avril. C'est en ce moment que les paysans commencent leurs champs. Sachez qu'il y a des produits qui ont des cycles courts et longs. Notamment l'igname "Kponan" qui a un cycle court, déjà au mois de juillet, cette variété fait son apparition, jusqu'en janvier et en février. La banane a un cycle long, qui débute fin juin-juillet, jusqu'en février. L'igname "bêtê bêtê" débute son cycle en décembre jusqu'en mars ou en avril. Et je l'ai indiqué un peu plus haut, cette variété va manquer parce les paysans utilisent les restes pour les planter dans leurs champs. C'est en ce moment que le Ghana va nous approvisionner en igname grâce à leur climat qui leur permet d’en disposer en grande quantité que nous. Dans d'autres situations, on dira que le Burkina-Faso qui a un climat plus aride que celui de la Côte d'Ivoire réussit à produire plus que nous. Tout dépend peut-être de sa politique agricole. Il a développé la conservation des petites retenues d'eau parce que le facteur limitant à la production, c’est de l’eau. Durant les périodes où il ne pleut pas, ils arrivent à cultiver autour de ces petites retenues d'eaux. Après la production, ils préfèrent vendre leurs produits sur le marché ivoirien, qui leur est beaucoup rentable.

LP : Pourquoi la Côte d'Ivoire n'adopte-t-elle pas cette méthode ?

BAG : Le volet agriculture ne nous incombe, même si nous travaillons en synergie. Je peux dire à travers le PNIA 2, il y a une volonté manifeste du gouvernement de construire des barrages ou des ouvrages de mobilisation des ressources en eau. Il y a un barrage de ce type que j'ai visité à Korhogo, qui va servir à la culture du riz et du maraicher. Beaucoup de ces ouvrages sont en train d'être construits. D'ici quelques années, ces questions seront résolues et on pourra produire en toute saison.

LP : Qu'en est-il de la culture de contresaison qui est l’une des solutions pour lutter contre les pénuries ?

BAG : En tant qu'ingénieur agronome, je peux dire qu’il y a la possibilité de développer la culture de contresaison et la culture hors-sol pour cultiver les légumes. Il faut toujours avoir de l'eau pour le faire, même quand il ne pleut pas. C'est justement la méthode des pays moins nantis que nous en matière de pluviométrie. Ailleurs, il y a des pays comme Israël, le Maroc et autres où il ne pleut pas beaucoup, qui ont développé la politique de mobilisation des ressources en eau. Ils font en sorte de conserver toute l'eau qui tombe sur leur sol. Ils ne laissent pas l'eau couler. Or, si nous avions, ici, une politique pour conserver l’eau de pluies dans des retenues, on pourrait faire de l'agriculture pendant les saisons sèches.

Si nous voulons être à l’abri de ces pénuries que nous rencontrons par moments, nous devons d’abord mettre en place une véritable politique de grande hydraulique. C’est-à-dire, comment mobilier les ressources en eau de sorte qu’on ait de l’eau à tout moment pour produire. Une fois que cela est fait, on pourra développer l’irrigation qui permet d’apporter de l’eau aux plantes. Notre priorité doit être de stocker l’eau, tout en se donnant un timing. On peut se dire que sur les cinq prochaines années, on va construire rien que les barrages, à travers les différents appuis financiers. Ensuite, on doit travailler sur la productivité. Ce qui fait la différence entre les autres pays et nous, c’est qu’un paysan étranger sur un hectare de terre, peut récolter 60 tonnes de produits. Par exemple la tomate dans certains pays, la production est à 80 tonnes l’hectare. Or en Côte d’Ivoire, nous n’atteignons pas douze tonnes par hectare. Il faut aussi encadrer les producteurs, les sensibiliser à l’utilisation des semences à haut rendement, et distribuer les intrants à temps car, il faut planter à des périodes bien définies pour avoir une bonne production.

LP : Pour vous, est-il possible que la cherté de la vie trouve une solution à travers les produits vivriers ?:

BAG :C’est une question qui est au centre des préoccupations du gouvernement ivoirien. En union avec le ministère d’Etat, ministère de l’Agriculture, du Développement rural et des productions vivrières, il y a des solutions qui sont en train d’être trouvées.  

LP : Comment intervenez-vous pour lutter contre la cherté de la vie ?

BAG : Nous pouvons lutter contre la cherté de la vie en produisant assez dans la culture vivrière. Les produits sont chers pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les facteurs de production ont augmenté. Les coûts de production ont tous évolué. Avant le coût de l’engrais était plus bas, aujourd’hui, le prix du kilogramme ne fait que grimper. Le sac qui était de 18 000 F est passé aujourd’hui à environ 40 000F. La main d’œuvre a également évolué, même le coût du transport n’est plus celui d’avant. La location d’une parcelle de terre a également augmenté, car avant, pour faire du vivrier la parcelle était gratuite, aujourd’hui ce n’est plus possible. Maintenant comment faire pour baisser ces éléments ? Il faut que nous arrivions à maitriser l’eau à travers la construction d’ouvrages, de sorte que nos populations puissent produire à tout moment, ce qui fera par conséquent baisser les prix des produits vivriers.

Il faut développer de grands périmètres irrigués sur lesquels plusieurs agriculteurs sont installés, où ils bénéficient du même réseau d’irrigation, de l’encadrement et où ils peuvent faire des achats et des ventes groupés. Cela peut contribuer à faire baisser les prix. Et jusque-là, les produits sont vendus dans des unités locales de mesure dont les petits seaux, des paniers, des sacs… Mais si on décide que tout se vend au poids ou au kilogramme, on va contribuer à faire baisser les prix. Il y a une loi sur la météorologie prise en 2016. Nous allons entrer dans une phase de mise en œuvre réelle avec les marchés de proximité qui sont en train d’être construits. Tout ce qui se vendra, sera au poids.

Pour régler le problème de spéculation, je pense que l’Etat doit donner un caractère particulier aux produits vivriers, c’est-à-dire, si vous voulez faire ce commerce, vous verrez du bénéficie, pas en augmentant vos marges, mais en faisant du volume. Avec le volume si vous avez de petites marges, vous pouvez avoir beaucoup plus d’argent. L’idée, c’est de trouver de gros acheteurs que l’Etat va aider et qui pourront venir ravitailler les détaillants. De cette façon on créera des championnes du vivrier qui auront pour rôle de payer toute la production et approvisionner les marchés urbains.

LP : Pourquoi votre structure n’est-elle pas très connue par les Ivoiriens ?

BAG : Evidemment, notre structure est moins connue du grand public. Par contre, elle est connue par les commerçants, les transporteurs et autres. Sachez que notre cible, ce sont les commerçants, les transporteurs, les consommateurs… Car, l’une de nos missions concerne le contrôle, la provenance des produits vivriers. Aujourd’hui avec l’ampleur des activités que nous allons mener, nous sommes désormais impliqués dans la lutte contre la vie chère et dans la règlementation. Nous allons amplifier notre communication, afin de nous faire mieux nous connaitre. Nous fêterons nos 40 ans d’existence cette année, nous allons en profiter pour nous faire connaitre davantage.

LP : Quelles sont les actions majeures que vous avez menées depuis que vous êtes à la tête de cette structure ?

BAG : Nous avons renforcé notre système d’information des marchés. L’Union européenne nous a accompagnés dans ce projet. Avec la Banque mondiale, nous avons initié une plateforme digitale sur laquelle les transporteurs et commerçants sont inscrits. Cela nous permet d’être informés sur la disponibilité des différents produits vivriers sur l’ensemble du territoire national. C’est un renfort des mises en relation entre les différents acteurs. Avec l’appui du gouvernement, nous bénéficions d’un fonds de commerce consistant. Cela a permis d’appuyer les commerçants pendant la Covid-19. Plus d’un milliard de FCFA, ont été partagés entre différents acteurs du vivrier, en distribuant du matériel roulant, à savoir des tricycles, des broyeuses. Nous allons remettre, bientôt, des camions et des tricycles aux commerçants. L’existant a été renforcé. Le secteur était presque dans l’informel. Dans la réforme de l’Ocpv, nous sommes chargés de la réglementation et de la modernisation de notre système. Nous avons renoué le contact avec les différents partenaires techniques et financiers.

Interview réalisée par Sidibé Sogona et Malaoua Bertin