Contribution : Laurent Gbagbo, le fantôme dans la machine électorale

Alors qu’il n’est ni électeur ni éligible, l’ancien président frontiste s’est lancé dans la recherche de partenariats pour l’élection présidentielle d’octobre prochain. Pour quoi faire ? Kalilou Coulibaly décrypte sa démarche.

Contribution : Laurent Gbagbo, le fantôme dans la machine électorale

Officiellement, le parrainage est né d’un noble dessein, il s’agit de moraliser le jeu électoral. Dans les textes ivoiriens, il impose à tout aspirant à la magistrature suprême de recueillir 1 % des électeurs inscrits, répartis dans au moins 13 régions. Un filtre quantitatif érigé en tour de contrôle de l’aéroport démocratique de Côte d’Ivoire. Cependant, ce n’est pas seulement des signatures que le mécanisme requiert, mais des signatures acceptables. Et celui qui les sollicite doit déjà avoir voix au chapitre, c’est-à-dire être électeur, éligible et conforme.

 

Laurent Gbagbo, l’homme qui cherche un parrainage sans destin de candidature

 

Dans ce dispositif aux contours rigides, Laurent Gbagbo détonne. Il n’est ni électeur, ni éligible depuis des années pour le casse de la BCEAO. Il n’est donc pas éligible, selon une décision judiciaire devenue vérité d’État. Et pourtant, Laurent Gbagbo lance une opération de parrainage. Un non-candidat en campagne. Un exclu qui recherche des prétextes. Pourquoi ? Parce que dans l’arène ivoirienne, le symbole a souvent plus de poids que la loi. Laurent Gbagbo l’a bien compris, ce n’est pas la candidature qu’il vise, c’est l’effet politique de son rejet. Il parraine avec l’intention d’inscrire son nom dans le procès-verbal de l’injustice et de l’exclusion. C’est donc une candidature à l’injustice, un ticket d’entrée à la complainte nationale, un stratagème rhétorique à visée de manifestation programmée.

 

De la posture à la manœuvre, une tragédie programmée

 

Cette opération est tout sauf naïve. Il ne s’agit pas d’un malentendu ou d’un baroud d’honneur. C’est une construction narrative, Laurent Gbagbo ne cherche pas à être candidat, mais il cherche à démontrer que le système ne le laisse pas l’être. En lançant une collecte de parrainages, il structure le prétexte, arme la cause pour semer le doute sur la légitimité du processus.  Il prépare une ligne de fracture entre la légalité et la justice perçue, entre le droit et l’équité, cette dernière étant ici instrumentalisée comme le levier émotionnel d’une contestation politique à venir.

 

L’illégalité déguisée en martyrisme

 

Sur le plan juridique, l’initiative est aussi fine qu’irritante : solliciter des parrainages n’est pas, en soi, un acte illégal, tant qu’aucune candidature formelle n’est déposée. Laurent Gbagbo reste donc hors champ, mais à portée de caméra. Il nargue le droit sans jamais le heurter de plein fouet. Et c’est là toute la stratégie : provoquer une réaction de l’État qui pourra ensuite être interprétée comme un abus, un excès, une exclusion volontaire.

L’illégalité n’est pas dans l’acte, mais dans la tension qu’il génère. L’effet recherché est politique, se poser en victime d’un système qu’il tente de décrédibiliser depuis son retour en Côte d’Ivoire.

 

Le théâtre prépare la rue

 

En préparant cette opération, Laurent Gbagbo construit un discours. Pas un discours électoral, mais un discours de mise en accusation : celui d’un homme que le droit empêche, mais que le peuple soutiendrait. En cela, il installe un dualisme entre légalité et légitimité, une faille entre le texte et le terrain. Ce type d’initiative prépare le terrain à une contestation orchestrée, elle dresse déjà les piliers d’un futur contentieux électoral.  Non pour réclamer une victoire, mais pour dénoncer une injustice. Non pour accéder au pouvoir, mais pour remobiliser une base militante autour d’une blessure ancienne. Ainsi, Gbagbo rejoue le mythe du tribun empêché, non pour reprendre le pouvoir, mais pour le reconfigurer à son image : une histoire de luttes, d’épreuves, de martyrisation politique.

 

Laurent Gbagbo, le maître du contre-jeu

 

Ce que fait Laurent Gbagbo avec cette opération n’est pas de l’ordre de la participation, il veut transformer une incapacité juridique en plateforme politique, il détourne une règle pour mieux en dénoncer l’esprit. Ce n’est pas une candidature qu’il déploie, mais un acte de communication politique millimétré, un piège dialectique dans lequel la République doit éviter de tomber. En entrouvrant la fenêtre du parrainage, il démontre qu’en démocratie, la démagogie habile et la roublardise bien dosée permettent de contourner, sous couvert de la loyauté, les règles d’un jeu électoral que l’on conteste tout en posant les jalons d’une future déflagration politique.

 

Kalilou Coulibaly Doctorant EDBA, Ingénieur