Interview-Diby Kokora (directeur du logement et des grands programmes immobiliers): “ Le Programme d’urgence des logements sociaux cible les populations à faible revenu”

Le ministère de la Construction, du Logement et de l'Urbanisme a lancé la construction de 25 000 logements pour un délai de 24 mois. Elle s’inscrit dans un programme d'envergure de location-vente et de location simple. Dans le cadre du magazine du dimanche de RTI1, le directeur du logement et des grands programmes immobiliers, Diby Kokora, parle de la politique de l’Etat concernant les logements socio-économiques. 

Interview-Diby Kokora (directeur du logement et des grands programmes immobiliers): “ Le Programme d’urgence des logements sociaux cible les populations à faible revenu”

Question :   Le gouvernement a lancé il y a un mois un programme d’envergure de  25 000 logements.  En quoi ce programme est-il une urgence ? 
 Diby  Kokora : Effectivement, c’est un projet d’envergure. C’est un projet qui permet de changer de cap dans la politique du logement que nous avons déjà menée depuis ces dix dernières années et qui nous permet d’atteindre beaucoup plus efficacement la cible de ce programme présidentiel de logements  sociaux. A savoir, les ménages du secteur informel à revenu très faible et régulier pour lesquels l’Etat est, totalement, engagé à faire en sorte que ces ménages puissent avoir accès à un logement décent.

Q : Pouvez-vous faire un bilan du Programme des logements sociaux, étant entendu que nous sommes passés de 60 000 logements à réaliser en 2012  à 150 000 en 2016 ?  Et en 2024, le gouvernement lance un nouveau programme avec en prime la location-vente et la location simple.  
DK : Permettez que nous puissions faire un bref rappel sur quelques éléments qui permettront de mieux cerner le sujet que nous abordons. Effectivement en 2012 le gouvernement a  lancé, sous l’égide du chef de l’Etat, un programme présidentiel de logement socio-économique avec l’ambition de réaliser d’abord 60.000 logements, puis l’objectif a été rehaussé à 150.000 en 2016. Pour ce dispositif, l’Etat avait décidé d’opter pour un partenariat public-privé, dans lequel l’Etat avait essentiellement trois grandes ambitions : financer la mobilisation des sites, financer la viabilisation primaire des sites mobilisés et contribuer à faire baisser le coût des logements à travers un  mécanisme à une direct de subvention, à travers des exonérations fiscales accordées aux promoteurs immobiliers. 
En contrepartie, il était demandé au secteur privé de réaliser les constructions, de financer ces constructions et de procéder à la commercialisation des logements. Ce, avec comme consigne, le respect du cahier de charges qui imposait un quota de 60% minimum de logements socio-économiques et 40 % de logements de standing. Ce qui permet d’expliquer à nos populations pourquoi sur certains sites on a pu avoir des logements économiques  et de standing, parce que justement cela permettait de combler les faibles marges réalisées par les promoteurs sur le segment du social. Ce dispositif a permis aujourd'hui à l'Etat de mobiliser à peu près 2000 hectares de réserves foncières dans tout le pays. C'est notamment le cas à Songon Kassemblé où nous avons mobilisé 439 hectares. A Grand-Bassam, nous avons mobilisé près de 80 hectares, à Bingerville 20 hectares, sur la route d’Alepé 300 hectares et bien d’autre sites sur l’ensemble du territoire national. L'Etat a financé à peu près 100 milliards de francs CFA. Pour la viabilisation de l’ensemble de ces sites, l'État a mobilisé près d’une dizaine de milliards de francs CFA d'exonérations fiscales accordées aux promoteurs immobiliers. Nous chiffrons à 32 000 unités le nombre de logements réalisés, aujourd’hui.

Q : Les 32 000 unités de logements ont-ils été livrées ?
 DK : Quand je dis 32 000 unités, je pourrais comprendre que vous me dites que face à l’objectif de 150 000 que cela est très faible. Alors je vois que vous avez effectivement raison. Mais je vous demanderai de concéder le fait que 32 000 logements c'est tout sauf le signe d'un échec. Ce projet n'est pas un échec. C’est un projet qui vit. C'est une ambition que nous avons affichée et parfois l'impression que nous avons, c'est que nous souffrons un peu de la trop grande ambition que nous portons ce secteur.

Q : Pourquoi changer de formule ?
DK : Nous nous serons contentés par exemple d’avoir affiché 20 000 ou 10 000 logements comme certains pays le font. Mais est-ce que cela aurait eu vraiment un impact sur la vie de nos populations ? Je pense que l'État assume cette ambition forte parce qu’il faut de l'ambition justement pour relever les défis de ce secteur-là. Et comme vous savez, cette ambition que nous portons n’est pas rédhibitoire, c’est une ambition qui nous permettra d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en termes de production de logements socio-économiques.  Vous savez, cette ambition ne va pas sans difficultés. Des pays que nous voyons comme modèle, tels que le Maroc, la Turquie, l’Egypte, ont pris du temps pour régler ces problèmes. Cela a, parfois, mis 40 à 50 ans pour arriver au bout des difficultés du logement. C’est un projet qui est en marche, qui est lancé, qui a des difficultés, ce que nous n'avons jamais nié et surtout ce qu'il faut regarder, c'est notre engagement. Notre engagement à ne pas baisser les bras malgré les difficultés. Et surtout notre capacité à transcender ces difficultés-là, à apporter des solutions nouvelles. Ce que nous avons commencé à faire il y a deux ans avec toutes les réformes que nous avons engagées qui aujourd'hui transforment ce secteur-là. 

Q : Avant de parler des réformes, je souhaite qu'on puisse aborder le point des sites de Songon Kassemblé et de Grand-Bassam. Il avait été annoncé, il y a quelques années 40 milliards de francs CFA, pour la réalisation des voies, réseaux divers donc le VRD. Qu’en  est-il à ce jour? Et quand est-ce que les personnes pourront pleinement entrer en possession de leurs biens? 
DK : Sur le cas spécifique des 2 sites que vous avez cités, effectivement ce sont des sites pour lesquelles aujourd'hui l'Etat investit massivement dans la réalisation des VRD primaires. Aujourd’hui nous estimons que ces sites sont à peu près à 95% pour le site de Songon et 98% pour le site de Grand Bassam en termes de taux de réalisation des VRD primaires.  Il reste des problèmes que nous considérons comme résiduels notamment sur le site de Songon Kassemblé. Nous avions achevé les travaux de connexion de ce site à l’électricité. Mais les travaux d’élargissement de la voie de Dabou ont endommagé une partie des câbles souterrains. C’est tout ceci qui explique le retard.  Aujourd’hui ce site est pleinement connecté à l’électricité nous travaillons notamment sur la question de l’eau potable, l'opérateur est en plein chantier pour les tests qui permettront de mettre à disposition l’eau potable avant la fin de l’année. Il en est de même pour le site de Grand-Bassam où les travaux de réalisation du canal de Bassam sont en cours. Ce, afin de permettre que toutes les difficultés que nous avons connues en termes d’inondations puissent être résorbées. 

Q : Revenons au sujet du jour, comment de l’ancien programme dont les projets ont été lancés il y a 10 ans, sommes-nous arrivés au projet de location-vente et location simple. Y a-t-il des réformes qui ont bien été prises ? 
DK : Il y a eu des réformes profondes dans ce secteur. Ces réformes viennent répondre aux difficultés que nous avions constatées. L’une des premières difficultés a été la faiblesse du cadre institutionnel. Vous savez, depuis le début du projet, nous avions, en tant que ministère en charge de la construction, été au cœur de la mise œuvre de ce projet, ce qui n’est pas notre rôle en tant qu’administration centrale. Partout où nous sommes passés, le secteur du logement a connu un succès.  C’est le rôle de l'agence d'exécution de mettre en œuvre la politique de l’État, ce que nous avons corrigé en mettant en place l'Agence nationale de l'habitat qui est tout à fait opérationnelle. Il porte de manière spécifique la mise en œuvre la politique de l’Etat. L’autre difficulté que nous avions, c’était relatif aux caractéristiques des ménages, où nous avons affaire à des ménages qui à 80% étaient du secteur informel. Des ménages avec des revenus irréguliers, des ménages qui essentiellement n’étaient pas bancarisés. Il fallait trouver des mécanismes pour que les banques accompagnent ce type de ménages. Ce que nous avons fait avec la mise en place du fonds de garantie du logement social. L’autre difficulté, que nous avions qui est la plus importante, c’est le financement. Aujourd'hui, réaliser 150.000 logements, c’est à peu près 6500 milliards FCFA d'investissement dont près de 1000 milliards de ressources publiques
 pour prendre en charge les engagements de l'État en termes de financement de purge des droits coutumiers et de VRD primaires. 
Je vous dis que nous avons investi à peu près 100 milliards FCFA depuis le début du projet, vous voyez bien le gap qu’il y a. Il fallait combler ce gap, ce que nous avons fait en mettant en place la parafiscalité, pour mobiliser des financements alternatifs au budget de l’Etat et pour soutenir la production de logements. D’autres réformes ont été faites dont la recapitalisation de la BHCI, la mise en place de la commission nationale d’attribution.  C’est justement pour mettre en lumière toutes ces réformes que l’Etat a décidé de lancer ce projet d’urgence de 25 000 logements qui a été lancé par SEM le Premier Ministre, le mois dernier. Il nous permettra de changer complémentent de paradigme.

Q : Le nouveau projet de location-vente, location simple crée une rupture avec l’ancien fonctionnement dont vous avez parlé. Quelle est la différence avec les programmes réalisés déjà, il y a 30, 40 ans par la SICOGI, la SOGEPFIA avec l'accompagnement du gouvernement ?
DK : Vous avez utilisé le bon mot, c'est une complète rupture avec ce que nous faisions, il y a 10 ans. En réalité nous sommes dans une dynamique qui est nouvelle. Il y a quelques éléments qui nous permettront d’apprécier cette dynamique. C’est d'abord le positionnement de l'État. Nous avions une situation où l’Etat se limitait à financer  le droit coutumier et les VRD primaires. Aujourd’hui l’Etat est présent sur l’ensemble de la chaine du secteur, puisque l’Etat, à travers ce projet, va certes mobiliser le foncier et financer VRD, mais il va surtout mobiliser les financements auprès des bailleurs de fonds pour construire ces logements. L’Etat va être présent, notamment, dans la commercialisation de ces logements à travers la commission nationale d’attribution des logements. 

Q : L’Etat reste-t-il présent sur tout le long du processus? 
DK : Il y a un rôle central à jouer, il faut que l’Etat soit présent parce que ça rassure l’ensemble des acteurs. L’une des choses qu’il faut noter, c’est surtout les modalités que nous avons mises en avant. Cette fois-ci la location-vente et location simple, sont des modalités qui sont plus adaptés aux capacités de nos concitoyens qui ont des revenus qui sont parfois faibles. En mettant en place ces mécanismes de location-vente et location simple, nous permettons à nos concitoyens d’avoir accès à des logements décents selon des modalités auxquelles ils sont déjà habitués. La dernière chose qui change, c'est la manière dont nous allons attribuer ces logements. 

Q : Quelles sont les critères de sélection?
DK : L’Etat, à travers la Commission nationale d'attribution des logements, sera chargé de définir les critères d'éligibilité à ce programme, de sélectionner les acquéreurs qui ont droit de procéder à l'attribution à proprement parlé de ces logements. C’est vraiment un changement de paradigme qui nous fonde à croire que ce programme est en train de prendre une tournure différente qui permettra d’atteindre des résultats beaucoup plus probants que ce que nous avons obtenus jusqu’à présent. 

Q : C’est un programme qui a un délai de construction de 2 ans. À partir de quelle date faudra-t-il compter pour les 24 mois ? A quel moment les souscripteurs devront-ils être débités ?
DK : Ces projets sont déjà lancés. Le projet de la cité policière de la BAE pour 800 appartements a été lancé le 4 juillet dernier, celui de PK 24 a été lancé le 1er août dernier. Ceux des villes de l’intérieur vont suivre et nous avons été instruits par le Premier Ministre, au-delà des 4 villes qui avaient été retenues initialement à savoir Bouaké, Yamoussoukro, San Pedro, Korhogo, d’étendre ce projet à tous les chefs-lieux de région. Pour ces 24 mois, le compte à rebours est déjà lancé. Il faudra patienter un peu pour les populations puisqu’aujourd’hui nous sommes en train de travailler sur les CR qui sont les premiers logements. 

Q : Vous avez parlé tout à l'heure de partenariat avec le secteur privé. Est-ce qu'il y a un cadre spécial pour l'enregistrement des titres de propriété dans la gestion future de ces biens ? 
DK : Oui effectivement c'est un sujet qui est important puisque la spécificité également de ce projet c'est que nous allons vers des programmes en hauteur, des projets à Abidjan qui seront R+9, à l’intérieur du pays des R+4. Effectivement, la question de la copropriété devient essentielle quand nous abordons des projets de ce type-là, mais c'est la raison pour laquelle, ces questions étaient intégrées dans nos réflexions dès le départ. La définition de loyer va tenir compte des facteurs de copropriété pour la prise en charge et l'entretien des espaces communs et puis surtout des frais de gestion, pour s'assurer que l'ensemble de ces projets puissent gagner en pérennité, en termes de gestion, en termes d'entretien, du cadre bâti. Et surtout, pour faire en sorte que nos concitoyens ne se retrouvent dans des situations 10 à 20 ans plus tard.  Toutes ces questions ont été prises en compte dans nos réflexions et dans la manière dont nous avons fixé les loyers pour ces logements.

Propos rétranscrits par OF (Stagiaire)