Suicide collectif  

Suicide collectif   

Au Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire, c’est la tempête avant peut-être le déluge. Les révélations fracassantes de Charles Blé Goudé, ex-leader de la galaxie patriotique, aujourd’hui reconverti en président du Cojep, secouent de fond en comble le parti de Laurent Gbagbo.

Sans porter de gants, Blé Goudé, sans doute excédé d’être relégué au rôle du vilain petit canard, a mis les deux pieds dans le plat. Dans sa ligne de mire : l’épouse du président du PPA-CI, la redoutée Nady Bamba, devenue une figure centrale de ce parti, bien qu’elle n’y occupe officiellement aucune fonction.

Blé Goudé l’accuse ouvertement d’être l’instigatrice de sa rupture avec son mentor. Comme pour répondre aux militants de gauche qui l’accusent de trahison, il affirme que la porte lui a été claquée au nez par Nady Bamba et son cercle rapproché, lequel aurait érigé, selon ses propres termes, « un corridor » autour de Laurent Gbagbo.

Depuis, le « Gbagboland » est en branle : répliques contre répliques, attaques contre attaques. On assiste à ce que le jargon ivoirien appelle un « cassement de papos », autrement dit la mise au grand jour de confidences intimes et de secrets d’État. Le mélodrame affligeant qui secoue aujourd’hui le PPA-CI ressemble à une pièce de théâtre mal montée. Il révèle l’insoutenable légèreté avec laquelle l’ancien régime gérait les affaires publiques : une gouvernance chaotique, indigne d’un pays qui se respecte, et encore moins d’une Nation de la stature de la Côte d’Ivoire.

Sous Laurent Gbagbo, les Ivoiriens, qui en doutaient encore, découvrent à quel point leur pays avait sombré. À sa tête, un chef d’État qui a désacralisé, pour ne pas dire banalisé, la fonction présidentielle ; transformant l’institution la plus importante du pays en une véritable cour du roi Pétaud, où chacun faisait ce qu’il voulait, sous son regard passif et irresponsable. Doit-on vraiment être surpris que la Côte d’Ivoire ait basculé dans la guerre civile, coupée en deux par une rébellion que seuls Gbagbo et ses hommes n’ont pas vu venir ?

Doit-on être surpris que de simples gardes du corps et soldats du rang aient eu plus de poids que des généraux censés incarner l’autorité militaire ? Doit-on être surpris que les dirigeants de la filière café-cacao aient passé des années entières à piller l’argent des paysans, sous le regard complaisant de Gbagbo lui-même, qui leur lançait cette phrase sidérante : « J’entends que vous volez, mais je ne sais… Un jour, on va vous attraper. »

 C’est ce laisser-aller qui lui explose aujourd’hui au visage, à travers cette bataille rangée dans son propre camp, augurant de sombres lendemains pour la gauche ivoirienne. Et, aussi effarant que cela puisse paraître, l’ancien dirigeant feint de ne rien voir, préférant s’arc-bouter sur une lutte puérile contre le « 4ème mandat », à moins qu’il ne soit tout simplement dépassé par les événements.

En vérité, l’avion PPA-CI est en perte d’altitude dans le ciel brumeux du microcosme politique ivoirien, pas loin de se crasher. La question se pose désormais : y a-t-il encore un pilote dans l’engin ?

Le spectacle honteux et déshonorant auquel se livrent Gbagbo et ses partisans ressemble à un véritable suicide politique. Le peu de crédibilité qui leur restait s’évapore, et l’ancien Président sort du champ politique par la petite porte de l’histoire – celle qui ne grandit pas. Mais, comme le dit l’adage, à quelque chose malheur est bon : ce système désorganisé qui dirigeait le pays explique le désordre qui a précipité la Côte d’Ivoire au bord du gouffre de 2000 à 2011.

Les Ivoiriens doivent se réjouir d’avoir été débarrassés à temps de ces amateurs corrompus. La « refondation » fut en réalité une honte nationale, une arnaque politique qui a fait plus de mal que de bien. Une parenthèse douloureuse qui restera, indéniablement, l’une des pages les plus sombres de l’histoire de la Côte d’Ivoire indépendante. Une page qui n’aurait jamais dû s’ouvrir, tant elle fut cauchemardesque.

Avec la fin politique annoncée de Laurent Gbagbo, c’est à un suicide collectif que nous assistons. Comme dans un film dramatique où le héros et son clan périssent sans gloire dans une scène pitoyable, tous disparaissent, laissant place à une renaissance.

Vivement, l’après-PPA-CI…

 

Charles SANGA