Affi, le destin de feuille morte

Affi, le destin de feuille morte

« Devine qui vient dîner ce soir… ». Comme le scénario du film de Stanley Kramer, une des dernières séquences de la vie politique nationale qui se déroule sous nos yeux observateurs, a soulevé bien de questionnements. La voici : quelques heures avant la marche organisée par l’opposition ivoirienne le samedi 9 aout 2025, une délégation fournie du PPA-CI s’est rendue chez le président du FPI, Pascal Affi N’Guessan. Objectif, l’inviter à rejoindre le cortège protestataire.

Les images de cette rencontre, tout sourire, tranchent avec les propos tenus ces dernières années par Laurent Gbagbo et ses proches à l’égard de l’ancien Premier ministre, celui dont le parti ne serait qu’une « enveloppe vide ».

Mais derrière les apparences, une vérité crue s’impose : aujourd’hui, Affi a bien plus besoin du Parti des Peuples Africains que l’inverse.

Ballotté ici, méprisé là-bas, isolé et contraint d’accepter tout et n’importe quoi, Affi végète dans les méandres de l’incertitude. L’homme paie le prix de son inconstance politique, d’une trajectoire nébuleuse faite de reniements, de volte-face et de trahisons.

Sans réelle conviction ni vision, mû par ses propres intérêts et de petits calculs, Affi N’Guessan multiplie les faux choix. À mesure que les années passent, sa crédibilité fond comme neige au soleil.

Après la chute de son mentor Laurent Gbagbo, Affi choisit de se démarquer de l’aile dure du FPI. Il se veut républicain, responsable, et reprend en main le parti. Alors que les fidèles de Gbagbo se retirent de la scène politique en attendant son retour dans une politique du « Gbagbo ou rien », Affi s’engage dans la présidentielle de 2015. Ce choix, audacieux en apparence, est salué par certains comme une tentative de sauver l’héritage institutionnel du FPI.

En 2020, bien que sa candidature soit validée par le Conseil constitutionnel, il prend une décision incompréhensible et se joint au projet de désobéissance civile et au fameux Conseil national de transition. Il en devient le porte-voix, dans une posture qui contredit son image de légaliste.  Les conséquences de cette posture sont incalculables. La crise née de cette défiance envers l’Etat et ses institutions se solde par des dizaines de morts. Ce revirement, loin de renforcer sa stature, le fragilise.

Il apparaît désormais comme un homme sans boussole, prêt à tout pour exister, prêt à tous les compromis et aussi à toutes les compromissions.

Un an plus tard, il s’oppose frontalement à Laurent Gbagbo, qui tente de reprendre les rênes du FPI.

Il résiste, mais le rapport de force est inégal. Du haut de la tribune lors du lancement de son nouveau parti, Laurent Gbagbo, dans une formule lapidaire, invite ses partisans à lui laisser « l’enveloppe vide ». Cette métaphore, cruelle et méprisante, résumait la situation : Affi tient un appareil sans âme, sans base, sans avenir.

Quatre ans plus tard, les faits donnent raison à l’ancien chef de l’Etat. Son Premier ministre revient sans gloire, presque honteux, vers celui qu’il avait défié et qui, depuis lors refuse de lui accorder ne serait qu’une petite attention, pas même une audience. Pourtant, ce ne sont pas les intentions qui manquent chez le président du FPI, désormais blacklisté par celle qui tient les rênes du parti.

Ce retour d’Affi, loin d’être une réconciliation, ressemble plutôt à une capitulation. Sa formation politique se fissure. Son numéro deux vient de lancer un courant dissident : « Démocratie et Valeurs » qui compte renforcer les liens de collaboration avec le RHDP, au nom de la logique. Pour sûr, l’ancien député de Bongouanou aura du mal à traverser cette nouvelle tempête interne au sein de son parti.

En rejoignant le PPA-CI, Affi signe aujourd’hui son arrêt de mort politique. Les partisans de Gbagbo, même s’ils l’acceptent pour des raisons conjoncturelles, n’ont pas oublié sa « trahison ». Ils ne l’accepteront jamais.

Affi N’Guessan avait une chance d’exister lorsqu’il s’était rapproché du RHDP. Sans conclure d’alliance formelle, il bénéficiait d’une visibilité inespérée. Mais même soutenu par la puissante machine du RHDP, il a échoué dans le Moronou, son présumé fief électoral. Depuis, il erre, sans cap ni soutien.

Devenu l’ombre de lui-même, l’ancien Premier ministre en veut à tout le monde. Il en veut au ciel, à la terre, au vent… À l’image du naufragé de la Méduse, il ne sait plus à quel saint se vouer.

Roger Babson disait : « L’homme ayant du succès est celui qui a eu une chance et l’a saisie. » Affi en a eu plusieurs. Il les a toutes gâchées. Son destin est une leçon pour tous les acteurs politiques.

Autant, l’opportunisme sans stratégie est une impasse, autant le respect des convictions est la seule boussole, même dans les tempêtes politiques.

Affi est aujourd’hui une feuille morte, livrée aux caprices du vent. Et souvent, ce vent emporte la feuille morte vers le feu qui la consume. Son parcours, fait de ruptures, de renoncements et d’errances, illustre la tragédie d’un homme qui a tout eu, et tout perdu. Triste destin politique.

 

Charles SANGA