Dossier-Boissons énergisantes : Le danger dans la canette
Alors que les boissons énergisantes inondent les étals, leur consommation massive, en particulier chez les jeunes, alarme de plus en plus les professionnels de santé. Derrière l’effet boostant, un cocktail potentiellement explosif.

De jour comme de nuit, des canettes et autres boissons dites « énergisantes » s’ouvrent à la chaîne dans les campus, les cybers, les taxis, les salles de sport ou les cabines de gardiennage. En Côte d’Ivoire, ces produits, vendus comme des accélérateurs de performance, connaissent un succès foudroyant. Leurs promesses : repousser la fatigue, augmenter la concentration, améliorer l’endurance. Mais derrière le marketing bien huilé, les professionnels de la santé tirent la sonnette d’alarme : troubles du sommeil, tachycardie, addiction, troubles de l’attention... Les dangers sont bien réels, surtout chez les plus jeunes.
Le succès des boissons énergisantes repose sur une recette bien connue : de la caféine, en doses élevées, de la taurine, un acide aminé stimulant, du sucre en grande quantité, parfois des vitamines du groupe B, et des additifs. Leur effet est presque immédiat : un regain d’attention, une baisse temporaire de la fatigue, une sensation de pouvoir tout faire plus vite, plus fort, plus longtemps.
Des effets puissants… et parfois dévastateurs
Dr Osman Cherif, médecin urgentiste, apporte un éclairage précis sur la composition et les dangers de ces boissons : « Les boissons énergisantes contiennent une combinaison de caféine, taurine, glucuronolactone, ginseng et parfois de petites concentrations d’alcool. Ces substances stimulent de manière artificielle le système nerveux central, en provoquant une augmentation temporaire de l'activité des neurones donc augmentation de l’attention, de l’endurance et surtout de l’euphorie », relève-t-il.
Il alerte sur les conséquences en cas de consommation excessive. « Consommées à haute dose ou de façon répétée, elles peuvent entraîner des obnubilations, des troubles du sommeil, des crises d’angoisse, une irritabilité chronique et dans certains cas graves, des troubles psychiatriques ou des états de dépendance psychologique, surtout un coma chez les jeunes dont le système nerveux est encore en développement », décrit -il. Il ajoute que la consommation chez les enfants est formellement déconseillée, et que même pour les adultes, la limite ne doit pas dépasser une à trois canettes par jour selon les contextes.
Il illustre le danger par un cas concret. « Un adolescent de 17 ans est arrivé en état de confusion mentale après avoir consommé 7 canettes de boisson énergisante alcoolisée. Il a dû être placé en surveillance pendant plus de 24h. Ce type de cas devient malheureusement fréquent », alerte-t-il.
Dans les universités, les lycées ou les garages de quartier, la consommation de ces boissons énergisantes est devenue banale, presque « stylée ». Bien souvent, elle débute par curiosité ou mimétisme, avant de devenir une habitude.
Justin, 24 ans, étudiant à l’Université de Cocody, confie : « J’en prends surtout en période d’examen. Une canette le soir m’aide à veiller, deux quand je dois vraiment forcer. Ça me permet de tenir ». Même discours chez Aïssata, 19 ans, coiffeuse à Abobo :« J’en bois quand je suis fatiguée. Surtout quand je dois travailler jusque tard dans la nuit. Ça me donne de l’énergie, c’est comme du carburant ».
Ce que ces jeunes ignorent, c’est que cette énergie est artificielle. « Le corps paie le prix fort ensuite. On finit épuisé, irritable, avec parfois des tremblements ou des migraines sévères », prévient Alain T Kouadio, nutritionniste. Pire : chez certains, l’effet s’inverse. L’organisme s’habitue, demande plus, mais réagit moins.
Pourquoi un tel succès ? Parce que ces produits sont marketés avec une précision chirurgicale. Couleurs vives, slogans aguicheurs (« Red Bull donne des ailes », « XXL, l’énergie en puissance »), présence massive dans les concerts, les compétitions de foot ou les courses de moto, partenariats avec des influenceurs : la cible est claire. Les jeunes. Ceux qui veulent briller, se surpasser, aller vite. Et ça marche. Dans les quartiers populaires, certaines marques envoient des promoteurs distribuer des échantillons gratuits. Sur TikTok et Instagram, des influenceurs boivent ostensiblement leurs canettes avant de « performer » : freestyle, sport extrême, battle de danse… Cette banalisation masque les dangers réels. « Les marques jouent avec l’ignorance des consommateurs. Peu de jeunes savent que mélanger une boisson énergisante à de l’alcool augmente le risque de coma éthylique ou d’arythmie cardiaque », dénonce la sociologue Mariette K. N’Guessan.
Une alternative est possible
Certains pays européens ont adopté une réglementation spécifique sur les boissons énergisantes. En France, par exemple, la consommation des boissons énergisantes est interdite dans les établissements scolaires. En Norvège, la vente est limitée aux pharmacies et en Suède, la vente est interdite aux moins de 15 ans. En Côte d’Ivoire, la fabrication, l'importation et la commercialisation des boissons énergisantes sont interdites. Cette interdiction a été confirmée par un arrêté interministériel datant du 11 mars 2024. Toutefois l'interdiction concerne spécifiquement les boissons énergisantes contenant de l'alcool. La décision a été prise dans le cadre de la lutte contre la consommation de "Kadhafi", une drogue combinant du Tramadol et des boissons énergisantes alcoolisées. Aussi la consommation de boissons énergisantes, même non alcoolisées, est déconseillée pour les enfants et les adolescents en raison de leurs effets potentiels sur la santé.
Cette inertie inquiète les acteurs de la société civile. Kouamé Yao Augustin, président du Conseil des consommateurs du district d’Abidjan, s’en alarme : « C’est une situation que nous constatons tous, et qui gangrène aujourd’hui la jeunesse. Chaque jour, de nouvelles marques apparaissent, certaines mêmes venues de l’étranger, dont on ignore totalement le mode d’entrée sur le territoire. Et cela détruit nos jeunes», regrette-t-il. Il pointe également du doigt le manque de transparence : « Souvent, la composition chimique de ces boissons n’est même pas mentionnée. Or, selon les médecins, elles sont à l’origine de maladies graves, comme l’insuffisance rénale. Alors que les spécialistes recommandent une canette par jour, certains jeunes en consomment jusqu’à cinq pour améliorer leurs performances», dénonce-t-il. Un usage à haut risque, d’autant plus préoccupant lorsqu’il se combine avec d’autres substances. « Ce sont des stimulants, mais à la longue, cela devient une véritable addiction. Les jeunes deviennent dépendants, et c’est encore plus dramatique quand ils les mélangent avec de l’alcool ou des médicaments», précise-t-il. Le président du Conseil des consommateurs appelle à une mobilisation des pouvoirs publics :
« Nous avons lancé des campagnes de sensibilisation dans les 13 communes du district d’Abidjan, mais cela ne suffit plus. Il faut que le ministère de la Santé, le ministère du Commerce, et même les douanes s’impliquent pour contrôler l’entrée de ces produits et réguler leur distribution. Les fabricants font la promotion de leurs boissons, mais ne disent rien des risques. Il faut des étiquettes qui mentionnent clairement les avantages et les inconvénients », recommande-t-il.
Face à la montée des alertes, des alternatives s’imposent. Pour rester en forme sans danger, l’hydratation naturelle (eau, jus naturels), une alimentation équilibrée, un bon sommeil, et une activité physique régulière restent les meilleurs atouts. « On peut avoir de l’énergie autrement. Il faut casser le mythe de la canette miracle », plaide Alain T. Kouadio. Il préconise aussi d’intensifier les campagnes de sensibilisation, notamment dans les établissements scolaires et les universités.
Les boissons énergisantes se sont imposées comme des symboles de performance et de modernité. Mais elles dissimulent des risques bien réels, surtout pour les jeunes qui les consomment à répétition sans en connaître les effets secondaires.
Rahoul Sainfort