Interview-Mohamed Mansour Kaba (Ingénieur en génie civil) :  « Le projet de Métro Nord-Sud sera une pièce maîtresse des réalisations du Président Ouattara »

De passage à Abidjan, il y a quelques jours, Mohamed Mansour Kaba, ancien ministre de la Transition en Guinée et ingénieur en génie civil, a bien voulu se confier au Patriote. Il se prononce sur le développement urbain de la Côte d’Ivoire de 2015 à 2024 et revient sur les grands projets d’urbanisation de la ville d’Abidjan, de 1973 à 1980 sous le règne du Président Félix Houphouët-Boigny.

Interview-Mohamed Mansour Kaba (Ingénieur en génie civil) :  « Le projet de Métro Nord-Sud sera une pièce maîtresse des réalisations du Président Ouattara »
« Nous vivons actuellement la deuxième période de réalisation des grands projets de développement urbain de la Côte d’Ivoire » (Ph Dr)  

Le Patriote :  Depuis 2011, le Président Alassane Ouattara a lancé un vaste chantier de reconstruction de la Côte d’Ivoire.  Le développement urbain y occupe une place prépondérante. Quelle analyse faites-vous des actions menées pour changer le visage des villes ivoiriennes, singulièrement Abidjan ?

Mohamed Mansour Kaba : Avant de donner mon point de vue sur l’état de la Côte d’Ivoire, je voudrais vous faire une confidence. J’étais en novembre 2024 à Abidjan où j’ai reçu la visite d’une vingtaine d’étudiants français en fin de cycle d’études en architecture à Paris. Ces étudiants étaient venus à Abidjan pour s’informer sur les problèmes d’urbanisation de la capitale économique ivoirienne ; ce qui est flatteur pour ceux qui, comme moi, ont participé à cette œuvre remarquable du Président Félix Houphouët-Boigny. A ce titre, je peux affirmer sans risque de me tromper que nous vivons actuellement la deuxième période de réalisation des grands projets de développement urbain de la Côte d’Ivoire. Dans les années 1970, nous avons créé de nouvelles villes et de nouveaux quartiers comme Yopougon, Abobo-Gare N’Tanouan Sogefiha, le Centre Urbain de Port-Bouët, le quartier de Williamsville à Adjamé, et les 50 villas de la Sogefiha à Vridi. Sans oublier la Cité administrative avec les Tours A et B, la Tour Alpha 2000, les camps militaires, ceux de la gendarmerie et du Service civique, les sièges de la CIE et de la SODECI à Treichville. Actuellement, le Président Alassane Ouattara est en train de réaliser les grands ouvrages de franchissement de la lagune Ebrié et les autoroutes urbaines qui complètent le réseau de liaison entre les grandes communes du Grand d’Abidjan : Bingerville, Riviera, Cocody, Yopougon, Abobo, Grand-Bassam… Sans oublier les universités dans le nord du pays et les routes de liaison transversales est-ouest au nord de la ville de Bouaké. Je ne compte ici que quelques ouvrages parmi tant d’autres, tant à Abidjan que dans le reste du pays. Ces ouvrages correspondent à de véritables besoins d’amélioration des infrastructures de la ville d’Abidjan et des localités voisines comme Bingerville, Grand-Bassam et Adzopé. Le projet de Métro Nord-Sud qui ira jusqu’au nouveau stade d’Ebimpé sera également une pièce maîtresse des réalisations du Président Alassane Ouattara.

 

 

LP : La période janvier 1973-décembre 1978 est considérée comme celle de la réalisation de grands travaux en Côte d’Ivoire. Quels sont les ouvrages qui ont été réalisés durant ce temps ?

MMK : Les travaux qui ont été réalisés pendant cette période et sous la maîtrise d’ouvrage déléguée du Bureau d’études Intradep, fondée par M. Bernard Achi Béda, sont nombreux et variés. Pour le compte du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat et du ministère de la Justice à Abidjan, nous avons eu le projet de construction du Centre de rééducation du Banco Nord devenu après les travaux la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Il fallait construire une nouvelle prison dans la forêt du Banco pour remplacer l’ancienne prison centrale située en face du Palais de Justice au Plateau. Il y a également le projet de construction des tours A et B au Plateau, sur l’ancien emplacement de la prison centrale après le déménagement des prisonniers et leur installation dans la Maca. Il s’agissait ici de construire deux tours de 17 étages chacune, avec, sur la base de la façade extérieure, un revêtement en basalte d’Akakro dont le coût de construction s’est élevé à 180 000 000 FF (franc français, à l’époque), de 1975 à 1978. Pour le compte de la Société d’équipement des terrains urbains (Setu) dirigée par M. Sékou Coulibaly, l’aménagement de la ville nouvelle de Yopougon a porté sur 181 hectares avec des travaux de terrassement, de préparation des plateformes, de voirie bitumée, de réseaux d’adduction d’eau, de drainage des eaux pluviales, d’éclairage public et de téléphonie, en fait ce qu’on appelle la voirie et les réseaux divers (Vrd). L’ingénieur chef de projet était le Guinéen Daouda Souleymane Fofana. C’est à la fin de ces travaux que la Setu a vendu les terrains aménagés aux promoteurs immobiliers. Pour le compte de la Sogefiha dirigée par M. Konan Blédou, il y a eu la Zup d’Abobo-Gare (1973-1975) qui concernait le projet de construction de 2.580 logements de moyen standing y compris 780 logements sociaux sur un terrain vierge à aménager de 35 hectares avec prolongements sociaux ; une station de traitement des eaux usées a été réalisée ici pour la première fois en Côte d’Ivoire. Pour ce projet, j’ai organisé un programme de promotion des entreprises ivoiriennes de la construction en confiant le chantier des 780 logements sociaux financé par l’Usaid à une dizaine d’entreprises ivoiriennes qui ont sous-traité les lots de menuiserie, d’électricité et de plomberie-sanitaire avec une autre dizaine de sous-traitants locaux. Nous avons réussi la construction de logements de moyen standing sur la colline de Williamsville avec une station enterrée de traitement des eaux usées ; du Centre urbain de Port-Bouët avec la construction de 2.500 logements de moyens standing avec prolongements sociaux à Port-Bouët sur 20 ha à l’emplacement d’un bidonville en face du camp de la coopération militaire française. Les problèmes posés par ces démolitions ont amené les autorités administratives, la Setu et la Sogefiha à réserver un espace pour les déguerpis de Port-Bouët. Ce nouveau site à Yopougon prit le nom de Port-Bouët II. En plus, il y a eu la construction de cinquante villas de bon standing à Vridi et celle de la Cité universitaire Mermoz à Cocody ; ainsi que l’extension de l’Ecole normale supérieure à Cocody. Aussi, il y a eu la mission de supervision des travaux de construction de la Tour Alpha 2000 au Plateau en association avec un bureau d’études français qui assurait la coordination des travaux. Cette Tour comportait vingt-cinq étages avec trois niveaux en sous-sol. Hormis, la mission de supervision des travaux de construction du barrage sur la Loka pour l’adduction d’eau de la ville de Bouaké sur financement de la Coopération allemande et en association avec un bureau d’études allemand, Gauff Ingenieure, la Côte d’Ivoire a eu droit à la mission de maitrise d’ouvrage déléguée pour les travaux de construction du siège de la Sodeci et de celui de la CIE dans deux immeubles voisins à Treichville. Sans oublier la mission de maîtrise d’ouvrage déléguée pour les travaux de construction d’un grand immeuble R+5 pour le compte du maître d’ouvrage M. Konan Patrice Yao au bord de ma Lagune Ebrié à Treichville.

 

 

LP :  La construction des Tours A et B de la Cité administrative de 17 étages chacune et celle de la Tour Alpha 2000 de 25 étages avec 3 étages en sous-sol, étaient un défi. Que retenez-vous de l’érection de ces édifices estimés pharaoniques à cette époque ?

MKK : Il faut reconnaître que ces trois tours sont encore impressionnantes aujourd’hui. Surtout lorsqu’on constate que ces travaux ont été réalisés sous le contrôle d’ingénieurs guinéens et ivoiriens dans les années 1970 : le chantier des Tours A et B a été géré par un ingénieur guinéen, N’Faly Kourouma avec son collaborateur et assistant Ivoirien, M. Moussa Bamba, technicien supérieur. Les Tours A et B ont été construites par l’entreprise française Thinet avec Intradep comme maître d’ouvrage délégué chargé de la supervision et de la coordination des travaux. Un secret bien gardé autour des revêtements extérieurs des deux Tours A et B au niveau du rez-de-chaussée et de la mezzanine : ces revêtements ont été faites avec du basalte, une pierre volcanique extraite à Akakro, en Côte d’Ivoire, découpée et poli pour ce chantier. Pendant mille ans, il ne sera jamais question de reprendre ces revêtements extérieurs comme pour les façades carrelées en pierres calcaires ou peintes. Le chantier de la Tour Alpha 2000 a été construit par une entreprise française avec la Scet International, un bureau d’études français, chargé de la coordination des travaux et le Cabinet Intradep, chargé de la supervision quotidienne de tous les travaux. L’ingénieur chargé de cette tâche était l’ingénieur guinéen Bakary Goyo Zoumanigui.

 

 

LP :  Et la construction du Centre de rééducation du Banco Nord devenu plus tard la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (Maca) qui a une histoire particulière...

MKK : C’est grâce à ses relations personnelles avec l’entrepreneur français Thinet que mon patron et son ami ont convaincu le Président Félix Houphouët-Boigny, en lui faisant comprendre que l’on ne pouvait pas avoir la grande prison du pays dans le quartier des affaires qu’était devenu le Plateau. Car cette prison centrale se trouvait au Plateau, en face du Palais de Justice. C’est ainsi que le président de la République décida de construire dans la Forêt du Banco ce qui deviendra la Maca. Notre cabinet était naturellement le maître d’ouvrage délégué de ce projet chargé de la supervision et de la coordination des travaux de construction. Après le déménagement des prisonniers, la prison centrale fut démolie au Plateau pour la construction des deux Tours A et B. Après la création des grands travaux à la fin des années 1970, d’autres tours suivirent (C, D, E et F). C’est ce programme qui continue aujourd’hui encore avec d’autres acteurs du développement urbain.

 

 

LP : Quels enseignements tirez-vous  de votre expérience en Côte d’Ivoire ?

MKK : Dès le début de ma collaboration avec M. Béda, je lui ai dit ceci : « Depuis mon arrivée à Abidjan, on me dit partout qu’il fallait être Blanc pour bien pratiquer mon métier d’ingénieur. Mon objectif est de vous prouver que l’on peut être Noir et mieux faire que les Blancs ». Je peux dire que notre expérience était une réussite : quinze ingénieurs originaires du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et du Togo, trente techniciens supérieurs ivoiriens, une secrétaire de direction antillaise et de nombreuses autres collaboratrices ivoiriennes. La principale leçon que je tire de cette expérience est que lorsqu’un pays africain est dirigé par des patriotes crédibles, ils peuvent développer leurs pays sans attendre l’aide des institutions internationales de financement du développement. Car la plupart des projets qui ont été cités dans cette interview ont été réalisés soit par le gouvernement ivoirien, soit par les sociétés d’Etat, soit par le secteur privé.

Réalisée par Y. Sangaré