Reportage-Economie circulaire : Comment les déchets plastiques entament une nouvelle vie à Yopougon
Dans une discrète usine de Yopougon, des déchets plastiques s’empilent… pour mieux renaître. Bamba Mamadou, jeune entrepreneur ivoirien, transforme ce fléau environnemental en opportunité économique. À la tête d’Unival Plast, il recycle chaque jour une tonne de plastique, forme des collecteurs, produit des pavés écologiques et rêve d’industrialisation. Rencontre avec un bâtisseur vert à la détermination contagieuse.

Yopougon-Sideci, vendredi 4 juillet 2025. Une chaleur moite s’accroche aux tôles ondulées du hangar. L’atmosphère est lourde, presque suffocante, et pourtant, dans cette enclave industrielle oubliée des regards, l’activité bat son plein. À peine franchi le portail en fer de l’une des succursales de l’entreprise Unival Plast, le décor impose sa vérité crue. Des montagnes de déchets plastiques s’élèvent en silence, formant un mur informe de couleurs délavées – vert bouteille, bleu translucide, gris poussière. Le sol, jonché de fragments de bidons, de sachets éventrés, de bouteilles cabossées, semble avoir perdu toute trace de son origine.
Mais ce chaos n’est qu’apparent. Ici, tout est trié. Empilé. Organisé. Un ballet silencieux orchestré par une poignée d’ouvriers déterminés à redonner une seconde vie à ce que la société rejette. Sous un hangar ouvert, trois silhouettes s’activent. Deux hommes, la peau recouverte de fines particules blanches, alimentent mécaniquement une vieille broyeuse qui gronde sans répit. Une femme, concentrée et rapide, déverse des sacs entiers de déchets dans un rythme soutenu. La scène est rude. Le bruit, assourdissant. Le travail, harassant. Mais l’effort collectif dégage une force tranquille, celle d’une économie verte en pleine émergence.
Juste à l'entrée du site, un petit bureau aux murs défraîchis, à peine isolé des bruits de la machine, abrite le centre nerveux de cette activité. C’est là que nous retrouvons Bamba Mamadou, 39 ans, gérant de l’entreprise, silhouette élancée et sourire discret. Loin du cliché de l’entrepreneur pressé, il nous accueille avec simplicité, dans un bureau sobre, encombré de dossiers, d’échantillons de pavés et de plans griffonnés à la main. L’homme n’est pas là pour l’apparence. Son combat est ailleurs. « C’est en voyant ma ville natale de Man crouler sous les déchets après la crise de 2002-2011 que j’ai su que je devais agir », lance-t-il d’entrée, la voix posée. Ancien chef de bureau à l’ONG REMSI, il n’était pourtant pas destiné à manier les sachets plastiques et les broyeuses. Chargé de programmes liés à la lutte contre le VIH, à la protection des enfants et à la lutte contre les violences basées sur le genre, Bamba menait un combat social sur plusieurs fronts. Mais le déclic environnemental va tout changer. Il le raconte avec émotion. Dans ses recherches pour trouver une solution à la pollution environnementale provoquée par les déchets plastiques à Man, il découvre l’existence des UVD – les Unités de Valorisation des Déchets plastiques, créées par l’ADDR pour offrir une reconversion aux ex-combattants. Là, il voit de ses yeux les déchets devenir des pavés. L’idée s’enracine. Lui qui revendait déjà des bidons récupérés, comprend qu’un cap peut être franchi : transformer, plutôt que revendre. Valoriser, plutôt que subir. C’est ainsi que naît le projet Unival Plast : une Unité de valorisation du plastique. L’entreprise commence discrètement entre 2018 et 2019, mais c’est en mai 2022 qu’elle est officiellement formalisée. Aujourd’hui, elle emploie plus de 16 personnes entre ses deux sites principaux de Yopougon et Bingerville. Des jeunes, majoritairement. Certains sans diplôme, d’autres venus du secteur informel. Tous animés par la même volonté : prouver que le plastique peut devenir une richesse. C’est le cas de Koffi Arsène, responsable de la production. Et malgré l’image dégradée que certains ont encore du recyclage, Arsène ne regrette rien. Bien au contraire. « On n’est pas tous allés à l’école. Mais ce n’est pas seulement en s’asseyant dans un bureau qu’on devient responsable. Ce travail nous a responsabilisés. Il faut être endurant, courageux. Ce n’est pas facile, mais c’est un vrai métier», déclare-t-il.
Malgré les récompenses, les difficultés restent nombreuses
À Unival Plast, les déchets ne sont plus des rebuts. Ils portent un nom, une structure, une utilité. PET pour les bouteilles d’eau, LDPE pour les sachets noirs, HDPE pour les seaux et bouchons, PVC pour les tuyaux, PP pour les emballages alimentaires… Chaque type est soigneusement identifié, trié, broyé, puis transformé. L’usine produit quotidiennement entre 15 et 20 m² de pavés écologiques, l’équivalent d’environ une tonne de plastique recyclée par jour.
Résultat du recyclage, ces pavés écologiques conçus par l’entreprise Unival Plast sont désormais utilisés pour l’aménagement de cours et de voiries urbaines.
« Depuis la formalisation, nous avons traité plus de 2 500 tonnes », indique fièrement Bamba. Pour lui, chaque kilo sauvé est une victoire sur la pollution. Le processus, bien que rudimentaire, suit une chaîne rigoureuse : collecte dans les quartiers par des pré-collecteurs, tri manuel, broyage mécanique, fonte, moulage. Le résultat : des pavés robustes, utilisés pour l’aménagement urbain. Mais le projet ne se limite pas à la transformation physique. Il est aussi un levier de changement social. Des femmes cheffes de familles collectent. Des jeunes désœuvrés deviennent agents de tri. Des associations communautaires sont formées et sensibilisées. Depuis 2023, grâce à un appui de la Fondation Coca-Cola et de l’Association ivoirienne pour la valorisation des déchets plastiques (AIVP), plus de 100 associations locales à Yopougon et Bingerville ont été impliquées dans la collecte communautaire. « Aujourd’hui, des familles vivent du recyclage. Des jeunes qui traînaient dans les quartiers sont devenus collecteurs. Le plastique, c’est un problème, mais aussi une opportunité », affirme Bamba avec une conviction contagieuse. Et cette reconnaissance, il ne l’a pas volée. Depuis 2018, les prix et distinctions s’accumulent : 1er prix de l’assainissement du ministère de l’Environnement; Prix BJKD en 2019; 2e prix de l’Économie sociale et solidaire à Grand-Bassam en 2021 et Meilleur jeune entrepreneur social aux Awards de Wecanda la même année.
Mais derrière les récompenses, le quotidien reste semé d’embûches. Le camion de collecte, outil essentiel, a été volé dans une fourrière du district. Les machines de broyage sont anciennes, fragiles, souvent en panne. Le manque de tri à la source complique le processus. Et la main-d’œuvre, elle aussi, pose problème. « Les jeunes ne sont pas trop motivés pour embrasser cette activité. Ceux qui acceptent, abandonnent les mois voire les semaines qui suivent », confesse-t-il, visiblement affecté. Malgré tout, Bamba n’abandonne pas. Bien au contraire. Il revient d’un séjour en Belgique, où il a rencontré des partenaires et visité des structures avancées de recyclage. Son objectif est clair : installer d’ici 2026 une unité industrielle moderne, équipée de machines de dernière génération, d’un entrepôt, d’une chaîne de production optimisée. Un vrai saut d’échelle.
Mais pour cela, il plaide pour un soutien de l’État. « L’État doit faire plus pour les jeunes entrepreneurs verts : exonérations fiscales, financements, formations techniques, accès aux marchés publics… Il faut créer un véritable écosystème du recyclage », martèle-t-il. À l’écouter, la Côte d’Ivoire a les ressources, le potentiel humain et le besoin urgent d’une telle transition. Dans son petit bureau, à peine isolé des vibrations du broyeur qui gronde derrière, Bamba Mamadou garde la tête froide. Devant lui, un bloc-notes griffonné de croquis d’usine, des échantillons de pavés testés, un ordinateur vieillissant. Rien ici ne trahit l’ambition qu’il nourrit. Et pourtant, elle est là, palpable : faire du recyclage un pilier de l’économie verte ivoirienne. « Il faut être résilient. Le chemin est semé d’épreuves, mais il ne faut jamais baisser les bras. Chaque échec, c’est une leçon », glisse-t-il, presque en aparté. Au même moment, la machine émet un bruit sourd. Puis reprend son cycle. Comme un signe : malgré la fatigue, la machine tourne encore. Et le rêve de Bamba aussi. Quand on sait que la ville d’Abidjan produit plus de 560 tonnes de déchets plastiques par jour, selon le ministère de l'Environnement, l’initiative d’Unival Plast reste une goutte d’eau… mais une goutte qui peut faire tâche d’huile.
Rahoul Sainfort
Encadré : Le pavé plastique, un matériau d’avenir
Plus durable que le béton, le plastique recyclé s’impose comme une alternative écologique et économique dans le secteur de l’aménagement urbain. Selon Bamba Mamadou, fondateur d’Unival Plast, les pavés conçus à partir de plastique usagé présentent une longévité supérieure à celle du béton, pouvant atteindre jusqu’à un siècle. Côté coût, pas de grande différence : « Au niveau du prix, c’est sensiblement la même chose que le béton », assure l’entrepreneur. Autre atout : l’intérêt croissant du marché, stimulé par la prise de conscience environnementale. À la fois innovant, écologique et adapté aux besoins des collectivités locales, ce produit séduit de plus en plus de clients soucieux de conjuguer développement durable et aménagement urbain.
RS