Contribution : Héritiers d’Houphouët : La paix en partage ou la discorde en héritage ?

Inspecteur vérificateur principal au Trésor public de Côte d’Ivoire, Norbert Kobenan est un ancien directeur de la Communication et des Relations publiques du Trésor. Il occupe actuellement les fonctions de coordonnateur de la cellule de généralisation et de gestion de la plateforme TrésorPay–TrésorMoney, moteur de la digitalisation des paiements publics en Côte d’Ivoire. Dans cette contribution, il lance un appel aux Ivoiriens pour la conservation de l’héritage de Félix Houphouët-Boigny
L’appel silencieux du tombeau de Yamoussoukro
À l’heure où les nations s’interrogent sur leur identité, leur cohésion et leur destin dans un monde incertain, la Côte d’Ivoire entend résonner du fond de sa conscience historique l’écho d’une voix singulière : celle de Félix Houphouët-Boigny. Plus qu’un chef d’État, il fut un architecte social, un thérapeute national, un diplomate visionnaire.
Son approche – fondée sur la paix, le dialogue et le respect des équilibres sociaux – n’était pas un simple choix politique, mais une philosophie enracinée dans la réalité africaine. Aujourd’hui, dans un contexte post-crise encore fragilisé, la perspective d’une réconciliation entre les héritiers du RHDP et du PDCI-RDA n’est pas une manœuvre électorale. Elle est un appel pressant à la refondation morale de la République. Sur le plan national : une refondation politique et sociale attendue.
- Une réconciliation des mémoires et des horizons
L’histoire politique ivoirienne a été fragmentée par les querelles de succession, les clivages idéologiques, les blessures ethniques et les frustrations sociales. Pourtant, tous les fils et filles de ce pays se reconnaissent, consciemment ou non, dans la matrice houphouëtiste.
Un rapprochement entre le RHDP et le PDCI-RDA serait l’équivalent d’un pacte ancestral renouvelé – non pas dans la nostalgie, mais dans la responsabilité historique. Cela permettrait de désamorcer les tensions dormantes, de sortir de l’hostilité cyclique et de promouvoir une mémoire commune guérie.
- La stabilité politique comme pilier de transformation
Un système politique où les forces héritières du père fondateur s’allient autour de valeurs partagées serait perçu comme un modèle de maturité démocratique. Cela offrirait une plateforme de concertation permanente, réduisant les risques de confrontations post-électorales et inspirant confiance aux électeurs comme aux institutions.
Le pluralisme ne serait pas sacrifié, mais encadré par un consensus sur l’essentiel : la stabilité, la paix, et l’unité nationale.
- Une relance économique ancrée dans la paix sociale
La stabilité politique est le socle sur lequel reposent les grandes économies. Une Côte d’Ivoire réconciliée offrirait un cadre rassurant aux investisseurs, renforcerait l’attractivité du pays et permettrait une planification économique à long terme.
Elle ouvrirait également la voie à des politiques sociales inclusives, ciblant la jeunesse, les femmes, les zones rurales et les périphéries abandonnées – en brisant les clivages régionaux.
- Réconcilier la Nation avec elle-même
L’unité nationale ne s’achète pas, elle s’éduque. Il est temps d’inscrire dans nos écoles, dans nos récits, dans nos médias, une culture du lien, de la solidarité et de la citoyenneté responsable.
Un projet éducatif national centré sur l’histoire ivoirienne, les symboles de l’unité et les figures tutélaires du dialogue (à commencer par Houphouët lui-même), serait un levier puissant de régénération.Une influence retrouvée sur la scène internationale.
- Un leadership sous-régional restauré
Dans une Afrique de l’Ouest secouée par les coups d’État, les transitions fragiles et les conflits identitaires, une Côte d’Ivoire stable, réconciliée et prospère deviendrait un pilier. Elle pourrait jouer un rôle de médiateur dans les crises malienne, burkinabé ou guinéenne.
Le modèle ivoirien inspirerait d’autres pays en quête de paix durable et de cohésion nationale. L’héritage diplomatique d’Houphouët – qui fut l’un des artisans du dialogue entre les blocs pendant la guerre froide – trouverait ici une actualisation nécessaire.
- Une diplomatie économique renforcée
Les partenaires bilatéraux et multilatéraux – de l’Union Européenne à la Chine, en passant par les institutions de Bretton Woods – attachent une grande importance à la stabilité interne. Une alliance RHDP–PDCI crédibiliserait les engagements du pays, renforcerait la confiance des bailleurs et débloquerait des leviers de financement pour les projets d’infrastructures et d’industrialisation.
La diplomatie économique ivoirienne, plus audacieuse, pourrait s’ouvrir à de nouveaux marchés et à des partenariats stratégiques dans les technologies, l’agriculture durable et l’énergie.
- Une tribune morale et géopolitique à reconquérir
Dans un monde multipolaire, les pays qui survivent ne sont pas les plus riches, mais les plus cohérents avec eux-mêmes. Une Côte d’Ivoire fidèle à sa vision fondatrice, mais tournée vers l’avenir, pourrait redevenir un acteur influent à l’Union africaine, au sein de la CEDEAO, et dans les tribunes mondiales comme les Nations Unies.
Ce leadership exige un récit : celui d’un peuple qui, au lieu de sombrer dans ses blessures, a choisi de se relever, de dialoguer, de bâtir.Recommandations stratégiques : pour un pacte de refondation nationale : réformer les institutions avec exigence : révision de la CEI pour en faire un organe totalement impartial ; renforcement de l’indépendance du Conseil constitutionnel, instauration d’un Sénat inclusif et territorialement représentatif. Pour bâtir une communication de la fraternité, éteindre les discours incendiaires, former les porte-paroles politiques à la déontologie du dialogue et réhabiliter les alliances à plaisanteries dans l’espace public comme outil de décrispation sociale. Une autre proposition consiste à réconcilier par l’économie et le social, créer un Fonds national pour la Cohésion sociale, financé par l’État et le secteur privé, mettre en place un programme d’entrepreneuriat pour les jeunes dans les anciennes zones de conflit et réparer symboliquement et économiquement les injustices régionales accumulées.
L’Afrique regarde, le monde observe… Le tombeau parle
Dans le silence majestueux de Yamoussoukro, le premier Président de la République ne dort pas : il veille. À ses héritiers, il ne demande ni dévotion aveugle ni louanges convenues. Il appelle au retour au bon sens, au refus de l’arrogance, à la grandeur de l’humilité. La Côte d’Ivoire a une occasion rare de se relever par elle-même, non dans la division, mais dans l’intelligence historique. Elle peut prouver à l’Afrique qu’un pays, même fracturé, peut panser ses plaies et marcher uni. Ne laissons pas les plaies du passé dessiner les cicatrices du futur. Bâtissons, à nouveau, ensemble. Le monde est en mouvement. La Côte d’Ivoire aussi.