Fédération ivoirienne de taekwondo : Tout sur la genèse d'une crise et la prise de conscience des acteurs
La Fédération ivoirienne de taekwondo (FITKD), depuis l'élection de son président Jean Marc Yacé, le 15 octobre 2022, traverse une période tumultueuse marquée par diverses controverses et violations statutaires et légales. Une situation dont le pont culminant est la révocation, le samedi 19 octobre 2024, du président en exercice. Des membres statutaires, réunis en assemblée générale autour du thème très évocateur et engagé : "Réunie (Assemblée générale, Ndlr) pour une prise de conscience responsable pour le sauvetage du taekwondo ivoirien", ont prononcé la fin du mandat du maire de Cocody. Me Ali Diomandé, un homme de la famille du taekwondo, a été choisi pour une mission de restauration de l'image et du prestige de la FITKD. Mais comment en est-on arrivé à cette situation inédite dans l'histoire de cet art martial dont les principes s'articulent autour de la courtoisie, l'intégrité, la persévérance, la maîtrise de soi et l'esprit indomptable ? Retour sur la genèse d'une crise qui trouve, sans nul doute, le sommeil du Général Ouassenan Koné, fondateur de la fédération ivoirienne de taekwondo.
Samedi 27 août 2016. La Côte d'Ivoire est à l'honneur. Cheick Cissé remporte le premier titre olympique du pays d'Alassane Ouattara, fruit du projet olympique de Bamba Cheick Daniel, alors président de la Fédération ivoirienne de taekwondo. En dehors de la Côte d'Ivoire, c'est le tout premier titre olympique du continent africain dans cette discipline. Quel honneur pour une nation en pleine mutation sous le leadership de son président, Alassane Ouattara, élu pour la première fois en octobre 2010. C'est le début d'une nouvelle ère pour cette discipline qui, sous les auspices de Kim, le père du taekwondo en Côte d'Ivoire, avait déjà connu des périodes de gloire. La fédération est même désignée la meilleure sur le continent et au niveau national, au point de faire de la Côte d'Ivoire, le hub du taekwondo africain. La construction du Centre sportif, culturel et des TIC ivoiro-coréen Alassane Ouattara (CSCTICAO) a surtout été motivée par la qualité et le niveau de la discipline dans le pays, en plus des bonnes relations entre la République de Corée et la Côte d'Ivoire. Ce joyau abrite aujourd'hui le siège de la Fédération qui a, à juste titre, ses propres installations.
Des scandales et violations statutaires
Le 15 octobre 2022, Me Yacé est élu à la tête de la Fédération, succédant ainsi à Bamba Cheick Daniel. Une mission somme toute difficile du fait du niveau auquel lui et son comité avaient mis cette discipline olympique. Doit-on s'inquiéter du futur de la discipline ? Non, surtout que le nouveau patron de la FITKD est membre de l'équipe de l'ancien ministre de l'Administration du territoire. Le maire de Cocody fait partie des personnes qui ont permis à la discipline de connaitre ses moments de gloire avec des apports financiers importants. Son arrivée à la tête ne peut que susciter de l'espoir. Mais à l'épreuve du pouvoir, les choses ne se présentent pas comme prévu. La fédération héritée sur pilotage automatique tangue en l'espace de 24 mois de gestion de Me Jean-Marc Yacé. Une situation inacceptable pour la famille taekwondoïste qui est montée au créneau pour dénoncer des actes et agissements à même de ternir l'image de la discipline.
Parmi les infractions notables, on compte l'absence d'une Assemblée générale ordinaire annuelle, ce qui va à l'encontre des prescriptions de l’article 29 de la Loi sur le Sport en Côte d'Ivoire et de l'article 20 alinéa 2 du règlement intérieur de la FITKD. Ce non-respect des normes légales et statutaires soulève de sérieuses questions quant à la transparence et la gouvernance de la fédération.
Un autre point d'inquiétude majeur est le silence et l'inactivité du président et du comité directeur face aux répétitifs scandales d'abus et de harcèlements sexuels au sein de la fédération. Ces accusations, certaines visant des athlètes mineurs, ont non seulement terni l'image de la FITKD mais ont également soulevé des préoccupations sur la capacité de la fédération à offrir un environnement sûr à ses athlètes. Les réactions insuffisantes de la FITKD face à ces accusations ont même poussé la World Taekwondo à exiger une politique de tolérance zéro en matière de harcèlement.
Les absences coutumières du président de la FITKD aux réunions hebdomadaires du bureau directeur et à celles mensuelles du comité directeur, s'ajoutent l’impossibilité ou l’empêchement du commissariat aux comptes d’accomplir la mission de contrôle à lui confiée par l’Assemblée générale et de graves dysfonctionnements au sein de la fédération avec la tendance avérée du président à installer des commissions ad hoc. Sans oublier le vide créé au niveau des organes de gestion avec la dissolution du comité directeur, entraînant de fait leur révocation pure et simple, et motivant la mise en place d’un comité de transition.
Les priorités avant l'AG
Au cours d'une conférence de presse qu'il a animée, ce lundi 21 octobre, au siège de la FITKD au CSCTICAO, le président Yacé a fait son mea-culpa dans cette crise historique au taekwondo. Tout en continuant dans les violations dont il est accusé avec la participation de Zunon Alain et Coulibaly Boubacar, tous membres du comité directeur dissout, incapables pour parler au nom de la FITKD, pour avoir perdu leur qualité de vice-présidents de la FITKD.
Le dirigeant fédéral, face aux récriminations, a plutôt porté des accusations sur des personnes tapies dans l'ombre qui tirent les ficelles. C'est le cas de la dissolution du comité directeur intervenu en septembre dernier. "On a dissous le bureau parce qu’il y avait beaucoup de sous-entendus, des personnes qui voulaient véhiculer de mauvais messages. J'ai dissous le bureau parce qu'il y avait beaucoup de rumeurs qui n'était pas réelles mais insistantes, qui nuisaient à notre fédération. Les raisons de la dissolution, ce sont les scandales qui n’existent pas. L’affaire (harcèlement sexuel, Ndlr) est en justice et nous n’allons pas nous substituer à la justice. C'est la justice qui va trancher. On a demandé des enquêtes. Nous avons pris des mesures conservatoires contre ces personnes (incriminées dans les scandales sexuels, Ndlr)", a tenté de justifier le président, face aux médias.
Sur la dissolution du comité directeur, le maire de Cocody s'est montré plus interrogatif : "Quand je nommais le bureau, est-ce que ce sont eux qui me l'ont demandé ?", avant que le responsable juridique ne situe le fondement juridique et statutaire de cette action. "Le président a le droit conformément à nos textes de dissoudre le comité directeur", a-t-il précisé. Le nouvel organe dirigeant, a affirmé le président déchu de la FITKD, "sera connu ce lundi 21 octobre 2024".
Quant à l'assemblée générale dont la non-tenue fait partie des griefs de ses détracteurs, il avancé la tenir le mois prochain, tout en reconnaissant de façon implicite les accusations. " Ce ne sont pas eux qui m'ont fait lever. Nous avons déjà programmé le mois de novembre pour faire l'AG. Lorsque je vais m'asseoir devant l'AG, je veux avoir quelque chose de concret, de précis, à leur dire. Je ne peux venir dire que je suis en train de me préparer. Non ! Ma priorité était de maintenir notre fédération au niveau olympique et d'avoir le maximum d'athlètes qualifiés et d'aller chercher des médailles pour notre pays. Après, il y avait des organisations avec la Coupe d'Afrique. Ces priorités, pour moi, passent avant l'AG. lorsque je viens m'asseoir à l'AG, il faut que je leur donne des réponses qui vont les conforter, leur permettre de prendre des décisions justes", a-t-il déclaré.
Des propos qui viennent soutenir la position des membres statutaires qui ont projeté l'Assemblée générale extraordinaire du 19 octobre 2024. Sans manquer de qualifier ce conclave de “réunion entre amis” qui n'engage en rien la FITKD, car ne respectant pas les critères de tenue d'une AG extraordinaire. La Coupe de l'ambassadeur de la Corée, le samedi 26 octobre 2024, et la participation des juniors aux championnats du monde en Corée, sont la preuve l'organisation de compétitons même si aucun championnat national n'a eu lieu depuis son élection. Malgré tous ces manquements, le président Yacé est convaincu que tout se passe bien au taekwondo, la “seule fédération” qui est revenue des Jeux olympiques de Paris 2024 avec une médaille, le bronze décroché par Cheick Cissé. Irrité par des actes de personnes qui jouent leur carte, il a demandé à privilégier le taekwondo.
Le début d’une ère nouvelle
Un appel qui semble tomber dans des oreilles de sourds. Le comité directeur de transition (CDT-FITKD) mis en place et présidé par Dr Ali Diomandé est passé à une étape importante avec la composition de son comité directeur constitué de quatre vice-présidents. Angèle Fouangoup, ex-membre du comité directeur dissout, hérite de la commission du taekwondo féminin. Me Lucien Kragbé a la charge des arbitres quand Me Niava Jean-Jacques et Me Nina Fadiga sont nommées au secrétariat général.
La mise en place du comité de transition marque une étape cruciale dans le processus de guérison et de réforme de la fédération. Cette période de transition offre à la FITKD une occasion unique de réévaluer ses pratiques internes et d’adopter des mesures rigoureuses pour assurer la protection et la promotion du taekwondo en Côte d'Ivoire.
La révocation de Yacé et la formation d’un comité de transition représentent un nouveau départ, une chance de remodeler l’avenir de la FITKD sur des bases solides, équitables et transparentes. La communauté du taekwondo ivoirien, ainsi que son public, attendent avec espoir que cette période de réforme marque le début d’une ère nouvelle et prometteuse pour le sport qu’ils chérissent tant. Mais rien n’est encore sûr ! Les deux groupes s’apprêtent à se livrer un combat juridique surtout que personne n’entend lâcher du zest. Même avec 175 membres statutaires sur 316 que compte la FITKD, Me Ali Diomandé est loin de naviguer dans des eaux paisibles.
OUATTARA GAOUSSOU