Interview-Aminata Savané (lauréate du Young Activists Summit) : « Je plaide pour que l’éducation numérique soit intégrée dans le programme d’éducation nationale »
Engagée depuis quelques années dans la sensibilisation pour une meilleure utilisation du numérique en faveur des jeunes et des femmes, Aminata Savané, jeune bénévole de 25 ans, a été honorée au Young Activists Summit le 20 novembre 2025 à Genève en Suisse. Organisé depuis 2019, le Sommet des jeunes activistes soutient des personnalités œuvrant pour la durabilité ou les droits humains, et les aide à obtenir des résultats concrets en leur apportant de la visibilité, un accès à des réseaux stratégiques, des formations et des financements. Chaque année, le sommet célèbre un panel de jeunes activistes des quatre coins du monde et leurs réalisations exceptionnelles. A l’instar de la Côte d’Ivoire, seul pays africain, quatre autres pays, à savoir, l’Inde, le Liban, le Brésil et le Japon ont été honorés lors de cette rencontre.
Le Patriote : Comment vous êtes-vous retrouvée au Young Activists Summit à Genève ?
Aminata Savané : Le Young Activist Summit récompense, chaque année, les jeunes acteurs de changement dans leur communauté, dans le monde entier. Cette année, la thématique était « From Hashtag to Action », c'est-à-dire de l'hashtag à l'action. Ce thème visait tous les jeunes leaders qui utilisent la technologie, l'IA et les réseaux sociaux de manière éthique pour faire progresser l'égalité, l'inclusion et la durabilité, pour un changement positif dans leur communauté. En tant que vice-présidente du Centre Marie de Lumière, une association qui œuvre pour l'inclusion numérique des jeunes, des femmes et des enfants, j’ai postulé à un appel à candidature. Après une première présélection, j’ai été retenue pour la phase des interviews où il fallait expliquer ce que vous faites. Au final, nous sommes cinq à avoir été sélectionnés, sur plus de 500 candidatures, pour recevoir le prix le 20 novembre 2025. La particularité, c'est que depuis que le sommet existe, c'est la première fois que la Côte d'Ivoire est lauréate. Et j'étais la seule Africaine parmi les leaders.
LP : Parlez-nous des activités que vous menez véritablement au sein de votre association ?
A.S. : L'objectif du centre, c'est de contribuer à l'inclusion numérique des femmes, des enfants et des jeunes. Dans ce sens, on développe des programmes pour notre cible. Le premier programme qu'on a eu à développer depuis 2021, c'est le Digital Women's Tour. C'est une immersion dans les villes pour former, pendant 5 jours, 50 jeunes filles et femmes en fonction de la ville désignée. On donne des cours d'initiation au personal branding, e-commerce, marketing digital, et tout ce qui va avec pour permettre aux femmes de pouvoir, non seulement avoir des bases sur Internet, mais aussi de l’utiliser pour leurs activités, commerce ou autre chose. Les bénéficiaires reçoivent des certificats à la fin de la formation.
A ce jour, nous sommes à plus de 600 femmes formées sur ce programme. Et récemment, nous avons développé un autre programme nommé « Digital de la Base. » Celui-ci a une cible un peu plus jeune. Il s’agit d’aller dans les lycées et les collèges, de mettre en place des clubs du numérique, à l’image des clubs anglais, français avant, où chaque après-midi, les enfants sont formés autour des questions de la sécurité numérique, de la création de contenus positifs, etc. Et à la fin de nos programmes de formation, on organise un concours inter-écoles. L’établissement qui sort vainqueur gagne des équipements pour équiper sa salle informatique et tout autre matériel.
On a débuté l'année dernière et nous sommes à plus de 200 élèves formés, à raison de 50 élèves par établissement. Mais à côté de cela, j'ai été Jeune championne UNICEF pour les questions d'éducation numérique, au vu de mon engagement avec le centre, de 2023 jusqu'en 2024. Ainsi, je portais la voix des jeunes autour des questions du digital, de l'éducation numérique, etc. Et par ricochet, j'ai co-rédigé un guide qu'on a appelé le guide d'utilisation du web pour les ados et jeunes avec la communauté des jeunes blogueurs UNICEF. C'est un guide qui permet aux plus jeunes de savoir où mettre les pieds sur Internet. Il faut dire que déjà en 2020, Unicef Côte d'Ivoire avait lancé un programme d'engagement des jeunes qu'on a appelé « Jeunes Blogueurs » pour créer des contenus positifs et donner la bonne information, surtout, avec le coronavirus. C’est ainsi que nous avons été recrutés et formés sur la création de contenus web, rédaction web, le fact-checking. En somme, comment repérer une fausse information et la démentir pour pouvoir assainir la toile en son temps.
LP : Que représente cette distinction pour vous ?
A.S. : Cette reconnaissance est la conséquence de ces cinq dernières années d’engagement en faveur de l’éducation et l’inclusion numérique en Côte d’Ivoire. C’est très gratifiant. Cela prouve d’une manière ou d’une autre que nos actions résonnent au-delà des frontières et qu’elles sont remarquées par la communauté internationale. Au-delà de ma personne, ce prix vient donner une plus-value au travail bénévole des jeunes leaders qui font bouger les lignes dans leurs communautés. Il renforce non seulement l’engagement des champions nationaux à l’international mais surtout, suscite auprès de nombreux jeunes, la fibre du « change-making », pour dire qu’on peut être jeune et avoir de l’impact.
L.P. : Avez-vous un message à l’endroit du gouvernement ?
A.S. : Aujourd’hui, en tant que représentante des jeunes sur la sphère nationale et internationale et, par ailleurs, le porte-voix des communautés vulnérables, j’ai un plaidoyer à l’endroit du gouvernement. Je plaide pour que l’enseignement du numérique soit intégré dans le programme d’éducation nationale de la Côte d’Ivoire. À l’image des cours d’Education aux Droits de l’Homme et à la Citoyenneté (EDHC), l’inclusion de l’éducation numérique dans le curriculum de formation viendra soutenir les efforts déjà existants de l’Etat quant à la protection numérique de ses populations surtout les plus jeunes. En le faisant, nous contribuerons ainsi à outiller les plus jeunes. Nous leur donnerons l’opportunité de se préserver des dangers liés au numérique tout en leur permettant de profiter réellement des opportunités qu’offre Internet en ce 21e siècle.
Réalisée par Sogona Sidibé
