Interview – Bamba Cheick Daniel (Directeur général de l’AFOR) : « La sécurisation foncière rurale est un levier fondamental de renforcement de la cohésion nationale, un gage de paix durable et un pilier de notre sécurité nationale »
Avec un objectif ambitieux de sécuriser 23 millions d'hectares d'ici 2033, l'Agence Foncière Rurale (AFOR) orchestre une transformation sans précédent du paysage foncier ivoirien. Entre innovations technologiques révolutionnaires, gratuité étendue des certificats fonciers dans 20 régions, et passage de 10 000 à plus de 110 000 certifications annuelles, le directeur général Bamba Cheick Daniel dévoile une stratégie qui place la sécurisation foncière au rang d'opération de souveraineté nationale. Félicitée par la Banque mondiale pour l'exécution exemplaire du PAMOFOR, l'AFOR déploie désormais des outils digitaux de pointe – du système d'alerte précoce SIGAP aux tablettes électroniques DIGIFOR – tout en formant plus de 27 000 acteurs et en créant 10 000 emplois pour la jeunesse. Cette révolution foncière, adoptée unanimement par tous les partis politiques, redéfinit les fondements de la cohésion sociale et de la paix durable en Côte d'Ivoire.
Le Patriote : Monsieur le directeur général, l'AFOR vient d'être félicitée par la Banque mondiale pour l'exécution du PAMOFOR. Comment avez-vous surmonté les nombreux défis structurels qui se dressaient devant vous ?
Bamba Cheick Daniel : Cette reconnaissance constitue effectivement un moment historique pour notre institution. Permettez-moi d'abord de saluer la vision éclairée du Président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara, qui a placé la sécurisation foncière rurale au cœur de sa politique de développement. Le Chef de l'État a compris que protéger les droits fonciers de tous ceux qui vivent en Côte d'Ivoire n'était pas une simple vue de l'esprit, mais une nécessité vitale pour notre cohésion nationale.
Je tiens également à exprimer ma gratitude au Premier ministre, Dr Robert Beugré Mambé, qui a soutenu la signature de l'ordonnance consacrant le Système d'informations du foncier rural (SIFOR) comme base de données de référence. Le ministre Mamadou Sangafowa Coulibaly, puis l'actuel ministre d'État, Kobenan Kouassi Adjoumani, nous ont apporté un encadrement et des orientations déterminants pour surmonter les obstacles.
La Banque mondiale, à travers Dr André Teyssier et toute son équipe, a fait confiance à la Côte d'Ivoire en finançant le PAMOFOR. Le président du conseil de surveillance de l'AFOR, le Général de Corps d'Armée Gervais Kouassi, ainsi que l'ensemble de nos conseillers et collaborateurs ont travaillé sans relâche, souvent avec des nuits blanches, pour tenir les objectifs de ce projet.
LP : Quels étaient précisément les objectifs du PAMOFOR et comment les avez-vous atteints ?
BCD : Le PAMOFOR est intervenu dans six régions avec des objectifs ambitieux : 50 000 certificats fonciers à délivrer et 70 000 contrats agraires à conclure entre propriétaires terriens et exploitants agricoles sur cinq ans. Cela représentait 10 000 certificats fonciers et 14 000 contrats agraires par an. Pour atteindre ces objectifs, le projet a induit de nombreux changements radicaux dans la conduite des opérations techniques de sécurisation foncière en milieu rural.
Fac-similé de la note « satisfaisante » obtenue du Groupe Indépendant d’Evaluation de la Banque Mondiale
Notre résilience a porté ses fruits à la grande satisfaction du gouvernement ivoirien et de la Banque mondiale. Nous avons reçu un courrier de Madame Marie Chantal Uwanyiligira, directrice de division de la Banque mondiale pour la Côte d'Ivoire, le Bénin, la Guinée et le Togo, nous informant de la note "satisfaisante" obtenue du Groupe indépendant d'évaluation de la Banque mondiale.
Ce fut un soulagement, mais surtout une invitation à ne pas dormir sur nos lauriers. Les bons résultats du PAMOFOR ont permis à la Côte d'Ivoire d'obtenir de la Banque mondiale un autre programme plus vaste et plus exigeant.
LP : Vous faites allusion au PRESFOR, mais il y a également le PASFOR et le PRF-GÔH à mettre en œuvre entre 2024 et 2030. Comment passerez-vous de 10 000 certificats annuels à plus de 110 000 ?
BCD : Avec ces trois projets majeurs, l'AFOR se retrouve au rendez-vous de l'envergure nationale de la sécurisation foncière rurale. Nous couvrons désormais 20 régions sur les 31 que compte la Côte d'Ivoire.
Le PRESFOR couvre 16 régions avec pour objectifs 500 000 certificats fonciers à délivrer et 250 000 contrats agraires à formaliser. Le PASFOR concerne quatre régions, dont deux communes avec le PRESFOR, pour 40 000 certificats fonciers et 15 000 contrats agraires. Le PRF-GÔH vise 27 000 certificats et 20 000 contrats agraires dans la région du Gôh. Sans oublier le Programme d'appui au foncier rural (PAFR) qui sera exécuté à Yamoussoukro et à Bondoukou.
Au total, nous devons délivrer plus de 110 000 certificats fonciers et presque autant de contrats par an pendant les quatre prochaines années. L'inévitable problématique de l'atteinte des résultats se pose avec acuité, je comprends parfaitement votre inquiétude. Mais je tiens à vous rassurer, dès le PAMOFOR, l'AFOR a anticipé ces questions avec le concours de ses partenaires techniques et financiers. Les changements opérés couvrent les aspects politiques, institutionnels, juridiques, humains et opérationnels.
LP : Quelles sont concrètement ces transformations structurelles ?
BCD : L'AFOR a développé une approche intégrée de sécurisation foncière rurale, contenue dans un manuel des opérations intégrées récemment adopté en Conseil des ministres. Ce manuel présente un processus univoque et unique qui ne repose plus uniquement sur la délimitation des territoires de villages et la certification foncière. Désormais, nous mettons en œuvre dans les villages d'une sous-préfecture un ensemble de processus concourant à une sécurisation foncière complète.
Le Directeur Général de l’AFOR, le Ministre Bamba Cheick Daniel, lors d’une réunion de sensibilisation dans une région du pays.
Il s'agit de l'ingénierie socio-foncière permettant aux communautés locales de s'entendre sur les règles d'accès au certificat foncier ou au contrat agraire à travers l'instauration d'un dialogue intercommunautaire, l'opérationnalisation effective des comités villageois de gestion foncière rurale, la délimitation des territoires villageois, la certification foncière pour les détenteurs de droits et la contractualisation pour formaliser les droits d'usage. Toutes ces opérations sont dites intégrées parce qu'elles sont gérées par un seul et même opérateur foncier, dont le travail se déroule sous la supervision du corps préfectoral et le suivi puis la validation de l'AFOR.
LP : Cette approche s'inscrit dans une vision nationale plus large ?
BCD : Absolument. L'objectif majeur affiché au plus haut niveau décisionnel de l'État est de massifier les opérations de sécurisation foncière en vue de les achever en l'espace d'une décennie, de 2023 à 2033.
À ce titre, le Conseil des ministres a adopté le 15 juin 2023 une Stratégie nationale de sécurisation foncière rurale (SNSFR) et un Programme national de sécurisation foncière rurale (PNSFR) d'un coût de 620 milliards de francs CFA. Ces outils visent à mettre en œuvre, sur la période 2023-2033, la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
La SNSFR et le PNSFR servent de référence unique pour toutes les interventions en matière de sécurisation du domaine foncier rural. Leurs objectifs sont de réduire la pauvreté en milieu rural, de renforcer la cohésion sociale et de contribuer à la gestion durable des ressources naturelles. Si la SNSFR définit la stratégie, le PNSFR décrit les actions à mettre en œuvre et assure la cohérence, la complémentarité et l'harmonisation des différentes interventions financées par l'État et par les partenaires techniques et financiers.
Le PNSFR vise à sécuriser les 23 millions d'hectares du domaine foncier rural en dix ans à partir de 2023, en portant le rythme annuel de certification foncière de 300 000 hectares aujourd'hui, soit 30 000 certificats fonciers par an, à 1,5 million d'hectares, soit 150 000 certificats fonciers par an à partir de 2027. Ces outils ont été adoptés à la suite d'une large concertation des parties prenantes sous la supervision du ministère d'État, ministère de l'Agriculture, du Développement Rural et des Productions Vivrières.
LP : Le déploiement territorial de l'AFOR semble crucial pour cette massification. Où en êtes-vous ?
BCD : Dès les premières années de l'opérationnalisation de l'AFOR, nous nous sommes inscrits dans la logique éclairée du Chef de l'État qui a décidé de placer, sous la conduite de l'administration préfectorale, le processus de sécurisation foncière rurale. Nous avons confié des responsabilités de premier plan aux préfets dans un souci de redevabilité, puisque ce sont eux qui signent les certificats fonciers.
Aujourd'hui, les opérations de sécurisation foncière rurale sont menées sur toute l'étendue du territoire national. Pour un suivi étroit de ces opérations de terrain, l'AFOR a déployé et équipé ses services déconcentrés dans six districts, 20 représentations régionales sur les 31 régions du pays, 57 représentations départementales et 251 gestionnaires des bureaux sous-préfectoraux.
Un Commissaire-Enquêteur, en plein recensement des droits coutumiers, enregistre toutes les données sur une tablette
Ces gestionnaires ont été recrutés et formés grâce au partenariat avec l'Institut national de la formation professionnelle agricole (INFPA). Le ministère en charge de la Fonction publique s'est ensuite chargé de leur recrutement et de leur formation en administration de base, avant de les mettre à notre disposition pour l'encadrement des opérations au niveau des sous-préfectures. Cette structuration favorise un meilleur encadrement et une bonne gestion des dossiers à la base à partir des villages, pour les remonter rapidement en central en vue de finaliser le traitement.
LP : Quel rôle jouent concrètement les populations dans ce processus ?
BCD : Il faut souligner la caractéristique éminemment notable de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural. Elle fut une première dans l'histoire législative de la Côte d'Ivoire, adoptée à l'unanimité des parlementaires, tous partis politiques confondus, suite à des missions parlementaires à travers toutes les régions du pays pour recueillir les observations, avis et recommandations de toutes les composantes de la société ivoirienne. Cette loi opère une grande réforme dont on ne fait pas suffisamment cas. Dans ses dispositions pertinentes, elle donne le pouvoir de décision aux populations villageoises elles-mêmes, en les plaçant au cœur de tous les processus de sécurisation foncière rurale. Réunies au sein des CVGFR, ce sont elles qui examinent et approuvent tous les dossiers de certification foncière et de délimitation des territoires de villages. Elles ont le pouvoir de décision. Sans leur avis, la procédure est viciée et devient nulle et de nul effet.
C'est en tenant compte de cet avis des communautés villageoises que la loi prévoit la transformation des droits de propriété foncière coutumiers en droits officiellement reconnus et enregistrés sur 23 millions d'hectares de terres rurales dans un délai de dix ans.
LP : Comment cette transformation s'opère-t-elle concrètement ?
BCD : La transformation se fait en deux étapes. Premièrement, la délivrance de certificats fonciers à tout requérant, individuel ou collectif, Ivoirien et non-Ivoirien, pouvant prouver ses droits coutumiers de propriété foncière. Deuxièmement, la fixation par décret d'un délai au cours duquel les citoyens ivoiriens détenteurs de certificats fonciers doivent demander des titres fonciers, tandis que les terres sur lesquelles des certificats fonciers sont délivrés au profit des non-Ivoiriens doivent d'abord être immatriculées au nom de l'État, qui peut ensuite délivrer un bail foncier de longue durée au requérant.
LP : Vous avez imposé des exigences strictes aux opérateurs fonciers avant le démarrage de leurs activités ?
BCD : C'est un préalable sur lequel nous ne transigeons pas. Pour nous, il n'est pas raisonnable de recruter des opérateurs fonciers qui mettront un temps considérable à obtenir des locaux dans les localités qui leur sont affectées, à recruter du personnel ou à s'équiper, alors que les délais pour réaliser les objectifs sont serrés.
Le Ministre BAMBA Cheick Daniel présente le modèle ivoirien de gouvernance foncière lors de la conférence 2025 de la Banque Mondiale
À chacune de mes missions de lancement des principaux projets, en compagnie des préfets, je me rends dans les locaux des opérateurs fonciers pour m'assurer qu'ils sont aptes techniquement et humainement pour exécuter leur contrat. Faute de quoi, nous avisons séance tenante. Fort heureusement, jusqu'à ce jour, les opérateurs fonciers ont mérité notre confiance.
Mieux encore, des métiers pérennes ont été créés autour du foncier rural. Plus de 3 000 jeunes ont été recrutés par les opérateurs fonciers pour être des points focaux, des facilitateurs dans les villages ou encore conducteurs de tricycles pour transporter les bornes. À terme, grâce au partenariat tripartite AFOR-Agence emploi jeunes-opérateurs fonciers, plus de 10 000 jeunes seront recrutés pour exercer dans les métiers du foncier rural. Les résultats obtenus sur le PAMOFOR sont aussi à mettre à l'actif de ce mode opératoire.
LP : Le cadre juridique et réglementaire a également évolué ?
BCD : Le cadre juridique et réglementaire ne pouvait rester inchangé si nous voulions atteindre nos objectifs. Au-delà de la modification en 2019 de la loi n°98-750 de décembre 1998 relative au domaine foncier rural, une activité importante a été menée sur le plan réglementaire avec l'adoption d'au moins sept décrets. Parmi ces décrets, deux sont d'une importance capitale pour atteindre l'objectif de massification des opérations de sécurisation foncière.
Le premier, le décret n°2024-615 du 10 juillet 2024 autorisant le traitement de données à caractère personnel pour la mise en œuvre du programme de renforcement de la sécurisation foncière rurale, avec l'introduction de la signature électronique au niveau des certificats fonciers, ouvre désormais la voie à une numérisation poussée de la production et du traitement des informations foncières. La signature physique des certificats fonciers par les préfets constituait un goulot d'étranglement qui ne favorisait pas l'accélération du processus. Avec le flot de certificats attendus, plus de 100 000 par an, il aurait été difficile voire impossible de soumettre les préfets à un tel exercice. Ce décret règle donc le problème pour favoriser la massification des certificats fonciers.
Le second, le décret n°2024-850 du 30 septembre 2024 fixant les règles relatives à l'opération intégrée de sécurisation foncière, donne désormais un cadre réglementaire clair aux opérations de sécurisation foncière rurale, selon une approche intégrée et systématique permettant d'atteindre les résultats escomptés tout en garantissant la qualité sociale et technique des processus et en permettant une maîtrise des coûts unitaires.
LP : L'AFOR investit massivement dans la formation. Pourquoi cette priorité ?
BCD : Toutes ces réformes n'auraient certainement pu atteindre les objectifs poursuivis sans une ressource humaine qualifiée et des acteurs directs et indirects chargés de leur mise en œuvre, formés à une meilleure connaissance de leurs contenus.
L'AFOR a ainsi signé des conventions avec l'École supérieure d'agronomie de l'INPHB, l'Université Alassane Ouattara de Bouaké et l'INFPA. Ces partenariats ont permis de former 686 étudiants dont 265 filles, soit 39%, et 421 garçons, soit 61%, sur la période 2018-2025. Une bonne frange de ces étudiants est bien insérée dans le tissu professionnel au sein du personnel de l'AFOR, ou encore membre des effectifs des cabinets de géomètres-experts agréés, constitués en groupements d'opérateurs fonciers.
Le Directeur Général de l’AFOR, le Ministre BAMBA Cheick Daniel, lors d’une réunion de sensibilisation dans une région du pays.
Les autres acteurs directs et indirects intervenant dans la mise en œuvre des procédures de sécurisation foncière rurale bénéficient régulièrement de formation pour uniformiser leur implication en évitant les discordances d'un acteur à un autre. Ils sont à ce jour 27 099 acteurs formés dont plus de 30% de femmes.
LP : Une ordonnance importante a été prise cette année concernant le Système d'informations du foncier rural ?
BCD : Il s'agit effectivement de l'ordonnance n°2025-85 du 12 février 2025 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du SIFOR, qui vient adapter aux exigences actuelles cet outil incontournable pour le suivi et la traçabilité des données numériques des dossiers de sécurisation foncière rurale.
Cette ordonnance contribue au renforcement de la gouvernance du domaine foncier rural à travers notamment la conception et le déploiement du SIFOR. Un outil qui facilite la gestion automatisée de l'ensemble des flux de travail et un registre numérique assurant la conservation et la production automatisées des données et des actes en matière foncière rurale. Le SIFOR est pleinement opérationnel avec la migration de près de 50 000 certificats fonciers délivrés grâce au PAMOFOR.
LP : Vous parlez beaucoup d'innovations. Qu'est-ce que l'ingénierie socio-foncière concrètement ?
BCD : Le PAMOFOR a souffert de la gestion récurrente des conflits, de l'incompréhension du projet, de la désinformation et des rumeurs. Les leçons tirées du PAMOFOR et du PAFR, ainsi que les négociations avec la Banque mondiale, ont soulevé un ensemble de questionnements qui débouchent sur des actions préalables à la mise en œuvre sereine des opérations de sécurisation foncière rurale.
Les jeunes recrutés par les Opérateurs Fonciers pour servir de points focaux et de facilitateurs dans les villages
L'une de ces actions préalables demeure la communication et la sensibilisation. À ce niveau, l'AFOR a innové pour rassurer toutes les parties prenantes. Cette innovation porte un nom : l'Ingénierie socio-foncière (ISF). Le renforcement des activités de sensibilisation et de dialogue communautaire sous la forme de l'ISF a permis d'une part de faire barrage aux fausses informations, et d'autre part, elles s'intègrent comme condition nécessaire au bon déroulement des autres processus. Ces activités d'ISF sont ajustées aux besoins et aux réalités de terrain. Elles ont été menées pendant cinq mois avant le démarrage des opérations de terrain du PRESFOR et du PASFOR, et se déroulent en continu jusqu'au terme du programme.
De plus, l'AFOR, à l'initiative des autorités préfectorales, des mutuelles de développement ou des cadres, conduit régulièrement des missions d'information et d'échanges dans les villages et sous-préfectures du pays pour donner la bonne information aux populations sur l'objectif de développement que revêt sa mission. L'AFOR tient au minimum 52 sessions de cinés-villages par mois dans les villages du PRESFOR pour sensibiliser les acteurs directs sur les thématiques liées à la bonne conduite des opérations de terrain du programme. Des films institutionnels et prêts-à-diffuser sont produits au terme de chacune des activités importantes de l'AFOR, pour diffusion par le réseau de télévisions partenaires et sur les réseaux sociaux.
LP : Parlez-nous des innovations technologiques de l'AFORINNOV Center, notamment en matière de prévention des conflits et de dématérialisation ?
BCD : La conception, la mise en œuvre et le suivi-évaluation de ces réformes structurantes sont assurés par la cellule Innovations créée par décision du directeur général de l'AFOR n°2023-008/AFOR/DG du 15 septembre 2023. L'AFOR a ainsi défini, en son sein, un plan stratégique de la recherche et de l'innovation digitale nommé AFORINNOV Center dont l'objectif est de réussir la transformation digitale de l'agence, en vue d'améliorer l'efficacité de la sécurisation foncière rurale. AFORINNOV Center, en huit mois d'activités, a mis en place et rendu fonctionnels plusieurs outils technologiques révolutionnaires.
D'abord, le SIGAP, le Système intégré de gestion d'alerte précoce, qui anticipe et gère les tensions sociales et foncières grâce à la présence de points focaux dans les villages et avec l'appui de l'intelligence artificielle. Le SIGAP détecte de façon précoce les risques, les identifie et les analyse pour les prévenir efficacement, en réduisant les délais de réaction. 454 alertes ont été reçues des régions pilotes du Cavally, du Tonkpi et de la Nawa, et ont fait l'objet d'un traitement satisfaisant. Toutes les alertes sont traçables et documentées avec un registre auditable. Le SIGAP a permis la baisse des litiges fonciers dans les zones pilotes.
Une vue de « AFORINNOV Center », qui porte toutes les innovations technologiques pour réussir la transformation digitale de l’agence, en vue d’améliorer l’efficacité de la sécurisation foncière rurale.
Ensuite, DIGIFOR, qui a acté la dématérialisation des liasses foncières et des contrats agraires. Pour atteindre les objectifs du PRESFOR, du PASFOR et du PRF-Gôh, il fallait absolument une innovation pour accélérer la collecte des données et leur migration au service contrôle de l'AFOR. Désormais, les liasses foncières, volumineuses de trente documents à renseigner manuellement par le Commissaire-Enquêteur, qui devait ensuite les transmettre physiquement à l'AFOR pour le contrôle, disparaissent au profit des tablettes.
Sur le PRESFOR, les sept opérateurs fonciers disposent de 105 tablettes mises à la disposition de leurs commissaires-enquêteurs, à raison de 15 tablettes par opérateur foncier. Toutes les données sont recueillies et enregistrées sur ces tablettes, puis transmises à l'AFOR via internet en un clic ou sur clé USB. C'est un gain de temps inestimable dans l'optique de la massification des documents de certification foncière.
Enfin, le Système de contrôle cartographique (SCCARTO), un outil de contrôle de la géométrie des données foncières avant leur intégration dans le SIFOR. Il remplace le contrôle manuel des cartes par un contrôle automatisé de sorte qu'en un clic, 500 cartes sont contrôlées.
LP : Au-delà de ces réformes et innovations, qu'est-ce qui garantit l'adhésion effective des populations ?
BCD : La gratuité du certificat foncier et plus généralement des opérations de sécurisation foncière rurale. Elle demeure la condition sine qua non pour l'atteinte, dans les délais prévus, de l'objectif de certification foncière de toutes les terres du domaine foncier rural. Cette gratuité a pour conséquence de donner accès à la sécurisation foncière à l'ensemble des détenteurs de droits fonciers, quel que soit leur niveau socio-économique. En tenant compte des régions communes aux projets PRESFOR, PASFOR et PRF-GÔH, la gratuité dans la mise en œuvre du PNSFR sur la période 2024-2030 concerne 20 régions sur les 31 que compte la Côte d'Ivoire, 57 départements sur les 111 que compte le pays, 251 sous-préfectures sur les 508 existantes et 4 235 villages sur les 8 631 villages que compte le pays depuis août 2024.
La gratuité des opérations de sécurisation foncière rurale devra nécessairement s'étendre aux 11 régions restantes pour éviter le sentiment de frustration des populations de ces régions et donner une réelle chance à la massification. Il est évident que le processus de la gratuité du certificat foncier est maintenant irréversible.
LP : Malgré tous ces acquis, quels défis persistent ? Et pour conclure, quel message souhaitez-vous adresser à la nation ?
BCD : Avec la plus-value apportée par toutes ces réformes et innovations, il urge de continuer à travailler pour la réalisation ou l'aboutissement de certaines actions transversales. Il s'agit en premier lieu de l'accélération de la pérennisation de l'AFOR pour assurer sereinement la mise en œuvre du PNSFR. Puis, l'opérationnalisation de l'Observatoire national du foncier rural (ONFR) et la création d'un Fonds national dédié au foncier rural. Concernant ce Fonds national dont l'importance est capitale, il pourrait être financé par un pourcentage des revenus des filières agricoles comme le café-cacao, l'hévéa, le palmier à huile, le coton et l'anacarde, qui bénéficient des retombées de la sécurisation foncière rurale.
La sécurisation du patrimoine foncier rural de l'État est également un défi à poursuivre et à achever. L'AFOR qui dispose d'un service dédié à la sécurisation du patrimoine foncier de l'État, a pu à la date du 15 décembre 2025, sécuriser 32 992 hectares de parcelles appartenant au patrimoine foncier rural de l'État.
En conclusion, ces réformes et innovations ont le mérite d'exister pour donner une impulsion nouvelle aux opérations de sécurisation foncière rurale, aux fins d'atteindre les objectifs de massification, en sécurisant les 23 millions d'hectares du domaine foncier rural à l'horizon 2033. Je puis vous assurer que l'AFOR est bien apte à respecter ses engagements vis-à-vis de la nation entière. Au demeurant, tous les Ivoiriens restent persuadés que la sécurisation foncière rurale constitue une problématique existentielle pour la Côte d'Ivoire, tant elle conditionne la sauvegarde de la paix, de la cohésion communautaire et nationale. En un mot, une problématique de salut public.
Le Ministre Bamba Cheick Daniel lors d'une conférence au Conseil Economique, Social, Environnemental et Culturel
Dès lors, l'une des priorités pour le Gouvernement pour atteindre la massification des résultats tant espérée, dans un délai rapproché de l'ordre de dix ans, consistera à élever la sécurisation foncière rurale au rang d'opération de souveraineté, garante de la survie du vivre-ensemble entre toutes les communautés, grâce à un financement pérenne et une prise en main vigoureuse par toute l'élite politique et administrative de notre pays.
La sécurisation foncière rurale n'est pas seulement une question technique ou administrative. C'est un levier fondamental de renforcement de la cohésion nationale, un gage de paix durable et un pilier de notre sécurité nationale. En donnant à chaque Ivoirien, quelle que soit son origine, la certitude que ses droits fonciers sont protégés et reconnus gratuitement par l'État, nous construisons les fondations d'une Côte d'Ivoire plus juste, plus unie et plus prospère pour les générations futures.
Par OUATTARA Gaoussou
