Pilotage à vue

Pilotage à vue

Huit mois après son décollage relativement réussi, le nouvel avion du PDCI, avec aux commandes le pilote Tidjane Thiam, semble être perdu dans le brouillard épais du paysage politique ivoirien. La flamme, ayant précédé et suivi l’élection de l’ancien patron de Credit Suisse à la tête du plus vieux parti politique de Côte d’Ivoire, visiblement, est en passe de s’éteindre, si elle ne l’est déjà. A tout le moins, elle a totalement perdu son incandescence. Place désormais aux doutes, aux interrogations voire aux inquiétudes.

Depuis le Congrès ordinaire du 22 décembre 2023 à Yamoussoukro qui l’a consacré président du PDCI– après que les organisateurs ont déblayé le terrain pour lui, écartant toutes les candidatures susceptibles de le mettre à l’épreuve – Tidjane Thiam peine à imposer sa marque à ce parti, après trente années d’une gestion sans partage du Président Henri Konan Bédié, rappelé à Dieu le 1er août 2023.

Avec son supposé carnet d’adresses fourni, au regard de son pedigree et de sa carrière dans la finance internationale, les militants du PDCI s’attendaient, à l’image du banquier Alassane Ouattara, une vingtaine d’années plus tôt avec le RDR (Rassemblement des Républicains), que le polytechnicien repositionne le PDCI sur l’échiquier international et surtout attire beaucoup de soutiens financiers afin de revitaliser de fond en comble leur parti.

Aussi avec sa relative jeunesse – par rapport au Président Bédié- ils espéraient le voir apporter, dans le management, un fort vent de fraîcheur sur l’appareil, quelque peu grippé, par l’usure du temps et la gouvernance autoritaire de son prédécesseur. Mais que constate-t-on ? Pas grand-chose, pour ne pas dire rien du tout. Sinon, des atermoiements.

D’abord, dans la restructuration du parti, Tidjane Thiam a cru bon de mettre au «garage » des dinosaures comme Maurice Kakou Guikahué, le tout puissant Secrétaire exécutif en chef sous Bédié et dont la connaissance parfaite de la machine du PDCI, est reconnue de tous et qui en plus, est celui-là qui a installé, pendant de longues années, les animateurs actuels des structures du parti dans la base. Le président du PDCI a donc choisi de balayer la vieille garde pour faire monter en grade des jeunes,  comme  Sylvestre Emmou, nouveau Secrétaire exécutif en chef, mais qui ont le désavantage de ne pas avoir assez d’expériences sur le terrain. Certes, il est bien de faire la promotion de la jeunesse, mais on ne jette pas d’un seul coup toutes les vieilles marmites d’une cuisine, car, comme le dit si bien l’adage, ce sont elles qui, envers et contre tout, font de bonnes sauces.  Et il n'en fallait pas plus pour que Tidjane Thiam paie cash, cette erreur « technique », en nommant, en mars dernier, dans les instances du PDCI, des militants décédés, tels Salé Poli, ex-député de Méagui, et  Philippe Lago Zika, ex-maire de Zoukougbeu, ou  encore des ex-militants qui ont rejoint les rangs d’autres partis notamment le RHDP. C’est le cas par exemple de Gouali Dodo et de N’Dohi Raymond. Un couac monumental qui donne le sentiment que Tidjane Thiam s’est précipité pour prendre un appareil du PDCI qu’il ne maîtrise pas du tout. Et sans avoir pris le temps de bien le connaître.

Ensuite, dans la pratique, on ne note jusqu’à présent, aucun fait d’armes de l'ingénieur, qui dit faire des choses concrètes. Si bien que la trajectoire du PDCI est illisible pour beaucoup de cadres et de militants qui se demandent s’il y a un pilote dans l’avion. 
Hormis quelques actions sporadiques à l’image de ses sorties à Soubré et Dabou, qui commencent du reste à dater, ou de ponctuelles missions de ses collaborateurs, le PDCI est quasiment inactif. Même pour l’échéance importante de la révision de la liste électorale, on ne sent aucun frémissement dans la maison verte. Les quelque recensements de militants qui sont faits ici et là, en réalité de la communication, donnent l’illusion que le parti bouge, alors qu’en réalité, ce n’est pas du tout le cas.

Bien plus, Tidjane Thiam n’a pas réussi à ramener la sérénité et la cohésion au sein du PDCI. Miné par des dissensions internes, le parti est, aujourd’hui, divisé, et la bataille entre lui et Jean-Louis Billon pour porter la candidature du PDCI à la présidentielle de 2025, qui fait déjà rage, pourrait amplifier davantage la fracture dans cette formation politique. Et, qui sait, faire voler en éclats ce qu’il reste encore du PDCI.

 Manifestement, Tidjane Thiam, à la lumière de ses premiers pas à la présidence du PDCI, donne raison à ceux qui pensent qu’il n’a, pour l’instant, ni l’étoffe ni l’expérience politique nécessaires pour présider aux destinées de ce parti.  Et s’il ramenait tout simplement le PDCI au RHDP, là où il doit être normalement ? Loin d’être une boutade, la question mérite une profonde réflexion chez Tidjane Thiam et ses partisans.  C’est tout le destin du PDCI qui se joue entre leurs mains.

 

Charles Sanga