Contribution - Laurent Gbagbo : un passé sans gloire et entaché de sang
Dans cette analyse, Kalilou Coulibaly déchire la lettre adressée par le président du PPA-CI à la CPI.
Dans cette longue confession réécrite en héroïsme de papier, Laurent Gbagbo se donne des airs de vieux sage injustement malmené par l’Histoire. Mais sous le vernis du récit chronologique, un détail saute aux yeux. Plus Laurent Gbagbo raconte, plus ses propres contradictions se dévoilent.
Par cet exercice, Laurent Gbagbo se présente comme une fleur blanche politique, pourtant ses mains baignent dans l’eau trouble d’un passé dont la violence a souillé la République du sang d’innocents, qui n’avaient pour seule arme leur droit de vivre libres dans leur propre pays.
Simuler la distance face aux responsabilités
Laurent Gbagbo ouvre son récit par la découverte d’un charnier « annoncée en Conseil des ministres », comme si la tragédie s’était abattue sur le pays sans lien avec son propre régime. Le ton se veut présidentiel, presque protecteur. Pourtant, cette solennité peine à dissimuler la part de responsabilité politique dans un contexte déjà profondément fissuré.
Laurent Gbagbo feint le détachement, alors même que chaque événement de cette période porte son empreinte et son approbation.
Les corps ensevelis dans une fosse commune de Williamsville, avaient été identifiés nommément, rendant d’autant plus invraisemblable la posture de surprise affichée, que cette tragédie ravive en nous le sentiment d’une dette éternelle envers les familles des victimes.
Dans son évocation des rébellions de 2002, Laurent Gbagbo s’érige en victime stoïque d’un complot sans fin, en gommant soigneusement ses propres fermetures institutionnelles, ses refus répétés de compromis et ses prises de position publiques qui ont alimenté l’exclusion et la stigmatisation de son principal adversaire.
L’image de pureté qu’il tente de projeter s’effondre face au déroulé réel des faits. Une stratégie de tension entretenue, des gestes provocateurs, et surtout une spirale humanitaire dramatique née de sa volonté farouche de conserver le pouvoir quitte à réduire son opposant d’alors et ses partisans à néant dans leur aspiration nationale.
Réinventer la crise post-électorale
L’apogée de la distorsion arrive lorsqu’il évoque la crise post-électorale de 2010. Pour Laurent Gbagbo, tout serait venu de décisions « extérieures ». Or il sait et l’ancien procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, le lui avait expressément dit, que refuser de céder le pouvoir malgré les résultats reconnus internationalement ferait de lui le principal responsable des morts à venir.
Il a été averti. Il a persisté. Et les conséquences furent sanglantes.
Son acquittement ultérieur n’efface ni cette mise en garde, ni ces victimes, ni la gravité morale d’un choix assumé.
Qu’il ose aujourd’hui dire qu’il « a demandé une enquête à la CPI » relève presque du grotesque. Le procureur n’est pas un prestataire à disposition du chef d’État déchu.
C’est une institution indépendante. L’intention de Laurent Gbagbo révèle une incompréhension profonde ou un mépris tranquille du fonctionnement de la justice internationale.
Jouer le sage pour masquer l’irresponsabilité
Plus encore, son insistance sur les « vrais coupables » clarifie moins une intention de justication qu’une réponse oblique aux révélations de Blé Goudé sur son double jeu avec certains acteurs rebelles. Laurent Gbagbo dénonce pour mieux détourner, comme si pointer le Nord effaçait les arrangements du Sud. Sa lettre ne vise pas à restaurer la vérité. Elle cherche à réécrire le rôle qu’il a joué, au moment même où ceux qui furent ses proches brisent le silence.
Au total, sa posture de patriarche injustement persécuté relève d’une comédie politique. Laurent Gbagbo n’est pas un sage, il vient de frustrer les familles endeuillées dont le cœur saigne encore. Aussi, il n’a jamais assumé la part décisive de ses choix dans le chaos ivoirien.
Laisser Laurent Gbagbo agir ainsi, reviendrait à valider une irresponsabilité politique qui a fauché des milliers de vies, laissant des familles meurtries porter encore les cicatrices douloureuses de cette tragédie. La lettre de Laurent Gbagbo apparaît dès lors comme un sas d’indignité, une provocation à l’égard de douleurs longtemps contenues par respect pour l’actuel président de la République.
Kalilou Coulibaly, Doctorant EDBA, Ingénieur
