Interview-Serge Dioman (Expert) : « La réduction du prix du carburant s’inscrit dans un élan social »

Expert renommé dans le domaine de l’énergie et des industries pétrolières, Serge Dioman Parfait explique les enjeux liés à la baisse des prix du carburant en Côte d’Ivoire depuis le 1ᵉʳ avril 2025. Dans cette interview, il revient sur le mécanisme de fixation des tarifs au niveau international, tout en situant cette évolution dans le contexte économique et énergétique actuel. Une analyse éclairante ! »

Interview-Serge Dioman (Expert) : « La réduction du prix du carburant s’inscrit dans un élan social »
« Le barème tarifaire des carburants et autres produits finis pétroliers ne se fait ni de manière hasardeuse ni improvisée »

Le Patriote : La réduction du prix du carburant en Côte d'Ivoire pour le mois d’avril  est-elle une surprise ou fallait-il s'y attendre en considérant certains indices ?

Serge Dioman Parfait : C'est une heureuse nouvelle avant tout et c'est le plus important à retenir et à apprécier surtout quand l'on sait en effet l'ampleur de la mauvaise conjoncture dans laquelle baigne toute la sphère pétro-gazière mondiale actuellement et ce, du fait d'une conjonction de variables à la fois exogènes et endogènes continuant d'être impactantes.

Pour ce faire, le prix de l'essence réduit de 875 à 855 FCFA et celui du gasoil passé de 715 à 700 FCFA, pour la période annoncée, s'inscrivent donc dans un élan social.

C'est le lieu pour nous de comprendre que le barème tarifaire des carburants et autres produits finis pétroliers ne se fait ni de manière hasardeuse ni improvisée. Des experts s'affairent continuellement à son suivi pour dresser des projections à court, moyen et long termes qui servent de guides à la prise de décisions dans l'intérêt premier des populations du pays.

 

 

 LP : Pourrions-nous savoir quelques-unes des variables sur lesquelles l'on s'appuierait pour établir ces prix ?

SDP : En fait, ce n'est pas un secret. La consigne revient tout simplement à veiller à ce que le consommateur final y trouve son compte à la pompe et que la filière entière de l'industrie pétrolière nationale reste pour sa part sécurisée et pérenne.

 

Dans cette perspective de continuité de service sociale et durable alors, tout se résout pratiquement à des prix de vente du carburant en deçà donc des coûts de revient réels et ce, du fait des subventions.

 

 

 

LP : Est-ce cette même consigne de portée sociale qui  est encore appliquée aujourd'hui en Côte d’Ivoire ?

SDP : C'est bien le cas car à la différence de pays qui optent pour la répercussion systématique des coûts de revient sur le prix de vente final du carburant à la pompe, la Côte d’Ivoire applique l'ajustement, au pire des cas, voire le blocage de prix quand la tendance des places de marché est à la hausse.

En effet, les prix des divers carburants à la pompe varient en fonction de plusieurs paramètres dont les cours du baril de pétrole brut, les projections tarifaires sur les places de marché internationales spécifiques aux produits pétroliers, le taux de change Euro-Dollar, pour ce qui concerne des pays de notre zone ouest-africaine en particulier, ainsi que certaines autres régions du monde, etc.

Ces prix sont sous influence également du niveau des stocks spots ou à terme des produits pétroliers mis à disposition sur le marché international. Ils s'ajustent alors selon la loi de l'offre et de la demande mondiales à laquelle se greffent le coût marginal global qui concerne entre autres les diverses charges de raffinage, l'achat des intrants, le coût du transport, le coût de la distribution ainsi que certaines taxes incompressibles tenant compte des places de marché.

 

 

 

LP : Quel regard objectif pourrait-on avoir sur l'effet des places de marché internationales aujourd'hui ?

SDP : Les places de marché internationales des pétroles bruts de référence sont susceptiblement volatiles de nature et sous intime influence des phénomènes de backwardation et de contango notés sur les contrats des marchés à terme.

Elles peuvent ainsi donner lieu à une impression de tendance baissière quand l'on observe les graphes tarifaires pétroliers publiés sur une certaine période. Sauf qu'en repartant à la hausse, elles font immédiatement rebondir en bout de chaîne, et par un effet d'entraînement fort impactant alors, le marché mitoyen des produits finis dont font spécifiquement partie les carburants servis à la pompe.

Les incertitudes de parité entre le Dollars US et des monnaies d'échanges ne sont pas en reste. Elles s'ajoutent hélas avec récurrence au lot des facteurs exogènes majeurs soutenant les mauvaises conjonctures qui attisent les fluctuations du marché mondial des pétroles bruts et ce, autant que les guerres un peu partout sur la route de l'or noir.

 

 

LP : Qu'en est-il à ce jour de l'impact de la crise en Ukraine sur l'instabilité du secteur du pétrole et gaz ?

SDP : Manifestement, l'opinion publique se lasse un peu de la guerre russo-ukrainienne qui semble s'éterniser. L'on a même fini par s'y habituer et minimiser à tort ces effets.

 

Or, du fait de sa perdurance et de son enlisement, elle est à ce jour pourtant devenue la cause fondamentale contribuant à perturber les places de marchés internationales tant pour le brut que les produits finis. La résilience de ces dernières est mise à très rude épreuve car cette crise tend à y susciter et entretenir un renchérissement des cours.

Aucun pays du monde en est épargné. Nous devons pour ce faire rester attentifs à cette situation conflictuelle et voir comment réagiront bientôt les marchés suite à l'appréciation qu'auront les belligérants à l'égard des accords de paix en cours de négociation en ce moment.

 

 

LP : Il n'y aurait donc pas d'espoir de voir de sitôt les prix du pétrole brut chuter à des cours relativement bas ?

SDP : On ne saurait directement aller à une telle conclusion. Le pétrole brut n'est certes plus au-delà des 100 dollars US le baril comme au plus fort de la crise. Mais en pratique, les cours actuels affichés restent tout de même encore élevés en tant que tels. Nous demeurons encore alors loin du prix-seuil qui donnerait de voir fléchir naturellement le coût des carburants et ce, vu la multiplicité des incertitudes exogènes.

C'est pourquoi, convient-il de saluer à sa juste valeur donc la présente baisse des prix réalisée sur les carburants en Côte d’Ivoire. Car au cœur de cette tension énergétique mondiale, toujours d'actualité d'ailleurs, des efforts conséquents sont davantage maintenus pour les subventionner à la pompe et éviter de répercuter les coûts de revient réels aux usagers.

 

 

LP : Quelle est la formule secrète de la Côte d‘Ivoire pour arriver à une baisse des prix du carburant quand la tendance mondiale ne s'y prête pas à l'évidence ?

SDP : Cela tient avant tout de la bienveillante attention de la tutelle qui, sous l'égide du ministre Mamadou Sangafowa Coulibaly en effet, contribue à soutenir le pouvoir d'achat des populations au travers de son département ministériel.

C'était somme toute une promesse annoncée, un challenge et un défi surtout, d'œuvrer à baisser le prix desdits produits finis à la pompe quand les circonstances atténuantes seraient favorables. Aujourd’hui, c'est une chose de faite.

De manière endogène d'autre part, il s'agit bien déjà de faire ressentir, à chacun et à chacune d'entre, nous les bénéfices induits par nos ressources pétro-gazières. Elles ne sont pour l'heure qu'à leurs phases de montée en puissance. Ce qui augure, par anticipation, de lendemains encore plus radieux pour les populations quand les récentes découvertes auront atteint leurs allures de croisière aux plateaux de productions.

 

 

LP : La filière de l'industrie pétrolière serait-elle à terme un poids de la scène énergétique sous-régionale ?

SDP : La Côte d‘Ivoire raffermit jour après jour ses ambitions à demeurer un hub énergétique de référence effectivement. Et la place accordée au pétrole et gaz dans cette perspective est de très grande importance en effet. Elle en a besoin par ailleurs pour satisfaire plusieurs de ses besoins internes.

Naguère au statut de producteur modeste, le pays se donne les moyens techniques et stratégiques de sortir du cap de producteur de mineur pour gravir les échelons nécessaires à sa pleine émergence pétrolière lorsqu'elle aura franchit l'allure de cent milles barils de pétrole produits par jour (100 000 b/j). Selon son plan de développement pétrolier national, nous ne sommes plus de trop loin de ce jalon important.

Tout cela s'opère conformément à la vision impulsée en la matière donc par le chef de l'Etat, Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, de faire de l'or noir un vecteur clé du plan de développement socio-économique et humain du pays.

 

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