Laurent Gbagbo, l'homme des contradictions

Laurent Gbagbo, l'homme des contradictions

Dans la vie politique ivoirienne, s’il y a un homme qui se caractérise par des contradictions profondes, c’est bien Laurent Gbagbo, opposant, puis président de République et, à nouveau, opposant. Depuis, son avènement sur la scène politique, il y a plus d’une trentaine d’années, le parcours de cet historien de formation est jalonné de positions et d'actions qui semblent souvent en désaccord les unes avec les autres.

D'un côté, Gbagbo se présente comme un fervent défenseur de la démocratie et des droits de l'homme. Il a souvent critiqué les régimes autoritaires et prôné la liberté d'expression et la justice sociale. Il s’est battu avec hargne, dans la clandestinité, dans les années 80 pour obtenir, à la faveur du vent de la démocratie soufflant sur l’est de l’Europe, le retour du multipartisme en Côte d’Ivoire, le 30 avril 1990. En se servant notamment des jeunes, les élèves et les étudiants. Cette année-là, il entre dans l’histoire face à  Houphouët-Boigny lors de la toute première élection présidentielle multipartite en Côte d’Ivoire. Le scrutin est remporté largement par le père de l’indépendance, mais Laurent Gbagbo a, lui, capitalisé cette audace en gagnant en visibilité et en notoriété. Dans l’esprit d’une partie de l’opinion, il reste celui qui a osé affronter le baobab Houphouët-Boigny.

Cependant, après son accession à la magistrature suprême du pays en octobre 2000 à la suite d’une élection présidentielle tronquée et dans des conditions qu’il a qualifiées lui-même de «calamiteuses», son règne sera entaché par des accusations de violations des droits de l'homme et de répression politique : persécutions et assassinats ciblés d’opposants, répressions sauvages des manifestations de l’opposition notamment celle du 24 mars 2004, enlèvements et exécutions sommaires d’individus taxés d’être des soutiens de l’ex-rébellion, étouffement de la liberté d’expression, etc.  En somme, tout ce qu’il combattait lorsqu’il n’était pas au pouvoir.

Cette dualité entre ses discours et ses actions a souvent laissé ses partisans et ses détracteurs perplexes. A la limite, perdus entre une chose et son contraire. Pour preuve, Laurent Gbagbo a vilipendé l’ONU et la communauté internationale, qu’il a accusées de tous les péchés d’Israël. Aujourd’hui, curieusement, c’est lui qui appelle à l’aide l’ONU pour la question de son éligibilité.

En outre, Gbagbo a toujours revendiqué son attachement à la réconciliation nationale et à l'unité du pays. Toutefois, son retour sur la scène politique après son acquittement par la Cour pénale internationale a ravivé les tensions et les divisions au sein de la société ivoirienne. Ses déclarations et ses actions ont parfois semblé exacerber les clivages entre les Ivoiriens plutôt que de les apaiser. Y compris sa famille biologique, où avec son divorce tumultueux d’avec Simone Ehivet, ses relations avec les jumelles nées de cette union.  Que dire de son parti historique le Front populaire ivoirien (FPI), qu’il a dû abandonner aux mains de Pascal Affi N’guessan pour créer le PPA-CI ( Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire) après avoir échoué à se réconcilier avec son filleul.

Enfin, Gbagbo est également connu pour ses prises de positions économiques contradictoires. Alors qu'il a souvent critiqué les politiques néolibérales et prôné une économie plus sociale, son gouvernement a été accusé de corruption et de mauvaise gestion économique. Cette incohérence entre ses idéaux et la réalité de sa gouvernance a souvent été pointée du doigt par ses opposants. Et même par ses partisans.  On se rappelle les diatribes  de Mamadou  Koulibaly, alors  apparatchik  de son régime  en tant que président de l'Assemblée nationale, comme l'octroi  de faveurs et de marchés juteux aux  multinationales  françaises alors qu'il chante être un défenseur de la souveraineté nationale contre  l'hégémonie  de l’ex-puissance colonisatrice dans les affaires  nationales. 

Aujourd’hui, il cultive encore ces contradictions en reprochant au pouvoir actuel, ce que lui-même n’a pu faire ou n’a pas voulu changer. Comme en témoigne une vidéo qui rappelle sa réaction suite à une manifestation contre la vie chère réprimée dans le sang, sous son règne. « Si la vie est chère, ce n’est pas la faute au gouvernement », avait martelé Laurent Gbagbo ; lui, qui actuellement, impute la cherté de la vie au pouvoir Ouattara.

En somme, Laurent Gbagbo incarne une figure politique complexe et paradoxale. Ses contradictions, loin de le discréditer entièrement, en font un personnage controversé de l'histoire contemporaine de la Côte d'Ivoire. Un homme qui n’aura pas marqué les esprits dans le bon sens du terme.

 

Charles Sanga