Chronique d'un échec annoncé
À bientôt quatorze mois de l'échéance, l'élection présidentielle d'octobre 2025 est déjà dans toutes les têtes. Particulièrement celles des acteurs politiques de Côte d'Ivoire. Les états-majors des forces politiques importantes du pays ont fixé ce rendez-vous dans leur calepin. D'un côté, il y a le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir qui a remporté depuis 2010, toutes les élections générales et locales dans le pays. Sans aucun doute, le parti le plus implanté en Côte d'Ivoire qui totalise le plus d'élus locaux : députés, sénateurs, conseillers régionaux et conseillers régionaux. Sûr de sa force, le RHDP refuse de dormir sur ses lauriers et adresse la question de cette présidentielle avec méthode, rigueur et détermination.
Et de l'autre, il y a, de toute évidence, l'opposition qui, comme à son habitude, est quasi-absente sur le terrain, mais présente sur celui de l'agitation et de la polémique. Cette opposition, composée d'une cohorte de partis politiques dont certains sont totalement sans épaisseur, pour ne pas dire de vrais faire-valoir sur l’échiquier politique national, a décidé, de s'unir. Dix partis politiques et deux organisations de la société civile ont signé, vendredi 9 août 2024, un protocole d’accord "en vue de mener des actions communes pour des élections transparentes et crédibles en Côte d’Ivoire." Oh, quelle surprise pour des gens qui n'ont jamais réussi à parler d'une seule voix, tant le choc des ambitions en leur sein est terrible sans oublier la faiblesse de leur argumentaire.
Ainsi donc, ces opposants ont fait le choix politique de se coaliser contre les structures étatiques du processus électoral avec pour objectif essentiel d’évincer du pouvoir le RHDP. Faut-il vraiment croire en ce projet ?
À moins qu'on ne soit un extrémiste aveuglé par la haine et le rejet systématique du RHDP et de son mentor Alassane Ouattara, il y a de solides raisons objectives de croire qu'ils n'iront pas plus loin que leurs déclarations d'intention. Et que la tentative d'union lancée, le vendredi 9 août dernier, est d'ores et déjà vouée à l'échec.
D'abord, tous autant qu'ils sont, ils savent que le processus électoral en Côte d'Ivoire reste l'un des mieux organisés et transparents de l'Afrique subsaharienne. Depuis 2010, les Ivoiriens sont régulièrement convoqués aux urnes et les résultats des scrutins généraux et locaux sont globalement acceptés. Rarement, sinon jamais, le pays a eu à la tête de la commission électorale, un homme aussi compétent que son actuel dirigeant dont la crédibilité et la compétence ne font l'ombre d’aucun doute.
En outre, politiquement, ces opposants ne proposent pas, en termes de gouvernance, un projet à même de challenger le bilan très probant du RHDP et convaincre les populations de croire en eux. Autrement dit, faire mieux que ce qui a été fait dans ce pays depuis 2011. D'ailleurs, les deux chefs de file de cette opposition, Tidjane Thiam du PDCI et Laurent Gbagbo, qui dirige le PPA-CI, ont déjà gouverné, à divers niveaux de responsabilité, la Côte d'Ivoire. Et les Ivoiriens savent tous et chacun dans quel état ils ont laissé le pays. Le PDCI, sous le magistère du Président Bédié, a ouvert la boîte de Pandore des tourments politiques tandis que le FPI de Gbagbo, arrivé au pouvoir par un concours de circonstance désastreux, a tout simplement plongé la Côte d'Ivoire dans le chaos.
Manifestement, cette opposition n’a ni les hommes ni les arguments pour offrir aux Ivoiriens une alternative crédible au RHDP.
Ensuite, une union de cette opposition est tout sauf un groupe homogène. Idéologiquement, c'est un fourre-tout, avec un mélange insipide de partis de gauche et de partis de droite, et au milieu de petites formations politiques, sans envergure ni réelle doctrine politique, qui voguent au gré de leurs petits intérêts.
Et puis, s'il devrait y avoir union, qui prendrait la tête de cette coalition ? C'est là où le bât blesse, car Laurent Gbagbo ne fait aucun mystère de sa volonté d'être le fer de lance de cet ensemble hétéroclite. Dans l'appel qu'il a lancé à Bonoua, il a clairement appelé les autres opposants à le rejoindre "sans roublardise" et à s'aligner implicitement derrière lui. Il n'est pas si sûr que le PDCI, conduit par Tidjane Thiam, qui pense légitimement avoir plus de poids et d'influence que le PPA-CI, entende les choses de cette oreille et accepte d'être à la remorque du parti de Gbagbo, surtout qu'en l'état actuel des choses, celui-ci n'est ni éligible ni électeur. On voit mal non plus l'ancien chef d'État accepter un rôle autre que le chef de l'opposition, au regard de sa longue vie politique. Encore moins être l'accompagnateur d'un novice en politique comme Tidjane Thiam, qui n'a aucun fait d'armes. En somme, une guerre de leadership qui pourrait tuer dans l'œuf ce projet. Déjà, faut-il le souligner, le PDCI n'a pas accueilli avec un grand enthousiasme l'appel de Gbagbo qui, pour l'instant, reste inaudible.
Pour sûr, les Ivoiriens, qui sont fiers de cette nouvelle Côte d'Ivoire et de son niveau de développement apprécié un peu partout sur le continent et ailleurs dans le monde, ne lâcheront pas la proie pour l'ombre.
Charles Sanga