Contribution-CEDEAO : 50 ans d’intégration en question : Bilan, perspectives, ombres et lumières d’un rêve ouest-africain

Contribution-CEDEAO : 50 ans d’intégration en question : Bilan, perspectives, ombres et lumières d’un rêve ouest-africain

Economiste de formation, Norbert Kobenan dresse, dans cette contribution, le bilan des 50 ans d’existence de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

 

Une utopie régionale à l’épreuve du temps

En mai 1975, la signature du Traité de Lagos donnait naissance à la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pour beaucoup, ce fut l’aube d’un nouvel espoir africain : celui d’un espace solidaire, uni, affranchi des frontières héritées de la colonisation, où les peuples pourraient circuler, commercer, dialoguer et construire ensemble un avenir commun. Cinquante ans plus tard, la CEDEAO se retrouve à la croisée des chemins, entre honneur historique et fragilité existentielle.

Revenons sur les acquis, les limites et les perspectives de cette organisation régionale, devenue à la fois emblème d’un rêve panafricain et symptôme de ses impasses. Il s'agit moins d’un constat que d’un appel à la lucidité politique.

 

 

 Les conquêtes d’une volonté intégrative

Une architecture juridique et institutionnelle sans équivalent en Afrique

Dès sa fondation, la CEDEAO se distingue par une ambition structurée : celle de dépasser les logiques étatiques pour construire un espace communautaire doté d’une Commission exécutive, d’un Parlement, d’une Cour de justice communautaire et même d’une force militaire (ECOMOG) capable d’intervenir pour préserver la paix et la stabilité. Cette audace institutionnelle tranche avec d’autres regroupements africains restés symboliques.

 

Des avancées concrètes au fil des décennies

Le Protocole de 1979 sur la libre circulation des personnes, devenu réalité dans plusieurs pays :

-La suppression progressive des barrières douanières

-L’intervention décisive de l’ECOMOG au Libéria, en Sierra Leone, en Guinée-Bissau ou encore en Gambie

-L’instauration de la carte biométrique régionale, première du genre en Afrique

Un poids démographique et économique incontestable

 

Avec plus de 400 millions d’habitants, la CEDEAO constitue l’un des plus grands marchés intégrés du continent. La dynamique d’interconnexion régionale – infrastructures, routes, électricité, télécommunications – a ouvert des chantiers stratégiques. L’ambition d’une monnaie unique, l’ECO, même si encore balbutiante, révèle une volonté d’autonomie monétaire et d’émancipation du franc CFA.

 

Une crise démocratique récurrente

Les récents coups d’État au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger marquent un retour en arrière préoccupant. Ils interrogent non seulement l’effectivité du Protocole sur la bonne gouvernance, mais aussi la capacité réelle de la CEDEAO à sanctionner les ruptures de l’ordre constitutionnel. Le retrait coordonné de ces pays (Alliance des États du Sahel) sonne comme une rébellion politique contre l’institution elle-même.

 

Un déficit de légitimité populaire

Dans plusieurs pays, la CEDEAO est perçue comme une entité lointaine, technocratique, coupée des réalités locales. Cette « CEDEAO des palais » semble sourde aux aspirations de la jeunesse, des femmes rurales, des commerçants frontaliers. Comme le dit un proverbe africain : « Ce n’est pas parce que le tambour résonne fort qu’il fait danser tout le village. »

 

Une exécution institutionnelle inégale

La Cour de justice rend des décisions souvent ignorées ; le Parlement est dépourvu de pouvoir contraignant ; les traités sont ratifiés mais rarement appliqués. L’intégration reste suspendue entre promesse juridique et inertie politique. Le rêve devient rite, et le rite sans transformation n’est qu’illusion collective.

 

Une refondation par les peuples

La CEDEAO de demain ne peut se construire sans une profonde reconversion démocratique. Il faut que les citoyens, via des canaux participatifs, influencent les politiques communautaires. Les Parlements nationaux doivent jouer un rôle d’interface. Les universités, les médias, les syndicats et les réseaux religieux doivent aussi être mobilisés dans ce chantier d’union.

 

Des axes stratégiques de renforcement

Une souveraineté alimentaire concertée : pour sortir de la dépendance alimentaire et créer un marché régional des vivres. Une sécurité collective crédible : avec des règles claires d’engagement militaire et un dialogue stratégique interétatique. Une diplomatie économique régionale offensive : négocier avec les BRICS, l’UE, la Turquie, la Chine, l’Inde avec une seule voix et des intérêts clairement définis

 

L'intégration, au service de la dignité africaine

L’intégration n’est pas un luxe. Elle est une nécessité existentielle pour un continent trop longtemps fragmenté. Refuser l’unité, c’est laisser les divisions historiques gangrener l’avenir. Comme l’enseignait l’ancien Président Kwame Nkrumah : « L’Afrique doit s’unir ou périr. » La CEDEAO peut être cette réponse si elle se réforme en profondeur.

 

L’heure de vérité

En cinquante ans, la CEDEAO a avancé, vacillé, résisté, échoué parfois, brillé souvent. Mais désormais, il ne s’agit plus de survivre, il faut se réinventer. Le temps des bilans est aussi celui des choix historiques.

Ou bien la CEDEAO devient une boussole morale et politique pour les générations futures. Ou bien elle sombrera dans l’oubli bureaucratique, comme tant d’autres institutions mortes de n’avoir pas su écouter le peuple. Le choix nous appartient.

Vive l’Afrique de l’Ouest !

Vive une CEDEAO populaire, efficace et visionnaire !

 

 

Par Norbert KOBENAN