Contribution-Requiem du vivre-ensemble : La Côte d’Ivoire à la croisée des destins

Communicateur de formation et stratège en communication institutionnelle, Norbert Kobenan a été conseiller technique chargé de la communication au cabinet du ministre Charles Koffi Diby. Il a activement contribué à l’obtention de la certification ISO 9001 du Trésor public. Il est concepteur du magazine « Le Trésorier » et est reconnu pour sa plume engagée, son sens de l’innovation administrative et son attachement à l’excellence du service public. Dans cette contribution, il interpelle les Ivoiriens sur la nécessité d’œuvrer à enraciner le vivre ensemble. 

Contribution-Requiem du vivre-ensemble : La Côte d’Ivoire à la croisée des destins

Il fut un temps où la Côte d’Ivoire se racontait comme un poème chanté à plusieurs voix, une kora dont chaque corde vibrait à l’unisson d’une nation en devenir. Abidjan, Daloa, Bondoukou, Korhogo, Man, Bouaké… autant de noms, de rythmes, de couleurs qui, tissés ensemble, formaient une fresque harmonieuse : celle du vivre-ensemble ivoirien. Ce vivre-ensemble n’était pas une idée abstraite, mais une respiration collective, un pacte silencieux hérité des valeurs ancestrales d’hospitalité, de solidarité, de modération.

Aujourd’hui, cette symphonie semble dissonante. Le balafon s’est désaccordé. Les instruments qui faisaient vibrer notre cohésion se sont abîmés sous les coups des crises à répétition, des méfiances, des exclusions identitaires, des paroles violentes et des rancœurs tues.

Mais si la Côte d’Ivoire saigne, elle respire encore. Elle peut pleurer ses blessures sans renoncer à sa lumière. Car un pays, comme un arbre centenaire, peut perdre des branches sans perdre ses racines. Et il est temps, plus que jamais, de retourner à l’essence du lien ivoirien.

 

Une harmonie rompue : les fractures du vivre-ensemble

 

Le vivre-ensemble n’a jamais été un acquis. Il s’est construit dans les champs partagés, les quartiers mêlés, les alliances à plaisanteries entre peuples, les palabres sous l’arbre. La politique d’Houphouët-Boigny, inspirée par l’intégration et la cohabitation pacifique, a permis à des générations de croire que la Côte d’Ivoire était ce « carrefour » de l’Afrique.

Mais à mesure que les tensions sociales se sont complexifiées, que les crises politiques ont creusé les méfiances, ce pacte s’est fissuré. La guerre de 2002, la crise post-électorale de 2010-2011, les violences communautaires et les manipulations électoralistes ont laissé des blessures à vif.

 Qui est Ivoirien ? Qui mérite de voter ? Qui peut posséder la terre ? Ces questions, autrefois impensables, sont devenues les nouveaux tambours de la division.

L’hospitalité d’antan a cédé la place au repli identitaire. L’étranger, jadis frère d’adoption, est devenu l’inconnu de trop. Le voisin est suspect. Le citoyen devient partisan. Le vivre-ensemble s’efface devant la logique du camp.

 

Les plaies invisibles : rancœurs, silence et mémoire fracturée

Un proverbe baoulé dit : « C’est en marchant qu’on découvre que la fourmi a mordu. » Ainsi en est-il de la Côte d’Ivoire : à chaque pas, la douleur d’hier se rappelle à nous.

Les conflits ne laissent pas que des morts. Ils laissent des rancunes, des regards qui ne se croisent plus, des noms qu’on ne prononce plus. La réconciliation proclamée n’a pas toujours été vécue. Les vérités sont restées à mi-voix. La justice, parfois, n’a été ni juste ni restauratrice. Et sans réparation morale, il n’y a pas de résilience durable.

La mémoire collective est comme un tamis troué : elle laisse passer les fautes graves et retient les colères inutiles. Tant que les Ivoiriens n’auront pas appris à se parler franchement, à se regarder sans suspicion, à se reconnaître mutuellement comme victimes et bâtisseurs d’un même futur, la paix sera un équilibre instable.

 

 

Quand les proverbes se taisent : sagesse oubliée, paix menacée

 

L’Afrique n’a jamais manqué de sagesse. La Côte d’Ivoire est une bibliothèque de proverbes, un répertoire de sagesses populaires qui, jadis, guidaient les cœurs et calmaient les ardeurs : « Quand la case de ton voisin brûle, n’attends pas que la tienne flambe. » « La corde qui attache le fagot de bois est plus importante que les morceaux de bois eux-mêmes. » « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. »

Ces paroles ne sont pas de simples dictons. Elles sont une diplomatie intérieure. Une pédagogie du lien. Un appel constant à la modération, au dialogue, à l’humilité. Aujourd’hui, elles doivent redevenir la boussole de notre vivre-ensemble. Car sans elles, nous errons dans la nuit des passions.

 

L’Ivoirité revisitée : d’un concept clivant à un ciment d’unité

 

L’Ivoirité, concept longtemps dévoyé, peut redevenir un socle. Non une frontière, mais un horizon. Elle doit devenir inclusive, ouverte, moderne. Une identité d’engagement, non d’exclusion. Une invitation à faire nation, pas à dresser des murs.

Être Ivoirien, ce n’est pas seulement être né ici, c’est aimer ce pays, contribuer à sa construction, épouser sa pluralité, et reconnaître l’autre comme une partie de soi.

Réhabiliter l’Ivoirité, c’est construire une citoyenneté affective. Une appartenance choisie, vécue, honorée. Cela passe par l’éducation, la culture, la mémoire, et surtout par la justice.

 

 

À l’horizon : élection ou élévation ?

 

Les échéances électorales approchent. À chaque rendez-vous, le même scénario se profile : discours clivants, mobilisations sur fond de peur, mémoire déformée, jeunes manipulés. 

Mais cette fois-ci, il ne doit plus s’agir d’une compétition entre ambitions. Il doit s’agir d’un test de maturité démocratique. Si les élites ne changent pas de ton, si les citoyens ne changent pas de posture, la Côte d’Ivoire retombera dans le piège des lendemains qui désespèrent.

 

Le réveil des bâtisseurs

 

Ce texte n’est ni une plainte, ni un constat amer. C’est un appel. Un chant grave, mais résolu. Un requiem, non pour enterrer la paix, mais pour réveiller ses artisans.

 Nous sommes les maçons de la paix. Et notre truelle, c’est la parole juste. Notre ciment, c’est la reconnaissance mutuelle. Nos fondations, ce sont nos valeurs ancestrales.

La Côte d’Ivoire n’est pas morte. Elle est blessée, certes. Mais elle respire encore. Elle espère. Elle appelle. Elle attend.

À toi, citoyen. À toi, chef traditionnel. À toi, femme porteuse de vie. À toi, jeune en quête de repères. À toi, politique, éducateur, journaliste, homme de foi : le vivre-ensemble t’appelle.

Fais ta part. Tisse le lien. Répare la brèche. Rallume la lampe de l’unité. Car c’est ensemble, ou jamais.

 

 

Par Norbert KOBENAN