Coulibaly Amadou sur RFI : « Il n'est pas juste de prétendre que cette CEI n'est pas équilibrée »

En Côte d’Ivoire, le pouvoir ne semble pas vouloir donner suite à la demande de l’opposition d’ouvrir un dialogue inclusif sur ce qu’elle appelle les « défaillances » du système électoral. Par ailleurs, le pouvoir laisse aux députés d’opposition la responsabilité de déposer ou non une proposition de loi en faveur de l’amnistie des opposants qui, à l’heure actuelle, ne peuvent pas être candidats à la présidentielle d’octobre 2025. Amadou Coulibaly est ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement ivoirien. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. Et tout d’abord, il s’exprime sur la deuxième édition du SICA, le Salon international du contenu audiovisuel, qui s’ouvre, mardi 5 novembre, à Abidjan.

Coulibaly Amadou sur RFI : « Il n'est pas juste de prétendre que cette CEI n'est pas équilibrée »
« Nous sommes un État de droit où toutes les institutions sont installées ou fonctionnent » 

RFI : En Afrique, l'industrie audiovisuelle est dominée par deux pays anglophones : le Nigeria et l'Afrique du Sud. Quelle est votre ambition ? 

Amadou Coulibaly : Notre ambition est de positionner la Côte d'Ivoire, pays francophone, justement, dans cette industrie audiovisuelle et cinématographique. Nous pensons que nous en avons les moyens. Nous avons les infrastructures qu'il faut, nous avons les hommes qu'il faut, nous avons le matériel qu'il faut. Il est important, donc, que la Côte d'Ivoire qui, pendant longtemps, a été la plaque tournante de la musique au niveau du continent, puisse occuper également cette place au niveau du cinéma et de l'audiovisuel. Telle est notre ambition donc.

Q : Alors concrètement, le SICA, le salon qui s'ouvre mardi 5 novembre va réunir quelque 250 professionnels.

AC : Oui.

Q : Donnez-nous un peu leur profil ? Qu'est-ce que vous attendez d'eux ? 

AC : Ce salon va réunir aussi bien des producteurs, des réalisateurs que des acteurs et des acheteurs. Nous voulons constituer un marché qui va permettre justement de pouvoir échanger des marchandises entre réalisateurs, producteurs et différents acheteurs. Nous avons pratiquement une trentaine de chaînes de télé qui seront présentes, aussi bien des chaînes africaines que des chaînes européennes ou américaines, comme Natyf TV du Canada et TV5 Monde, Canal+. On aura aussi des speakers. Nous aurons Alex Berger, producteur de la série à succès Le bureau des légendes. Nous aurons aussi un producteur turc qui vient, Isef, qui va nous partager son expérience. Donc, c'est quasiment le monde qui se retrouve. Nous avons plus d'une vingtaine de nationalités qui seront présentes donc en Côte d'Ivoire à l'occasion de ce SICA. 

Q : Au Nigeria, le succès de Nollywood, c'est-à-dire du cinéma local, doit beaucoup aux aides de l'État. Par exemple, en 2010, le président Goodluck Jonathan a lancé un fonds d'intervention de quelque 200 millions de dollars avec l'aide de deux banques nigérianes. Qu'est-ce que peut faire l'État ivoirien pour ses producteurs, pour ses réalisateurs ? 

AC : L'État a déjà pris des initiatives, il s'agit maintenant d'augmenter ces initiatives de l'État. Au niveau du cinéma par exemple, il y a le Fonsic, qui est le Fonds de soutien à l'industrie cinématographique. Au niveau de l'audiovisuel, il y a les compétences de l'ASDM, qui est l'Agence de soutien au développement des médias, qui a été élargie pour prendre en compte la production audiovisuelle. Justement, l'ambition du SICA, c'est de faire participer le privé. Vous faites bien de souligner qu'au Nigeria, c'est avec l'aide de deux banques privées que l'État a pu décupler son soutien à l'industrie cinématographique. Donc, nous voulons faire connaître cet écosystème au secteur privé, notamment aux banques, assurances et autres sociétés privées, afin qu'elles viennent soutenir l'État dans cette initiative. D'ailleurs, nous aurons deux panels sur les financements : un panel avec les financements publics et des acteurs publics comme le Fonsic, l’ASDM et la BNI, qui est une banque publique, et un autre panel exclusivement réservé aux banques privées, panel qui sera animé par un avocat d'affaires. 

Q : Selon un récent rapport de l'Unesco, le secteur de l'audiovisuel et du cinéma représente déjà en Afrique quelque 5 millions d'emplois. Quelle est votre ambition ? 

AC : Il faut que la Côte d'Ivoire puisse faire du cinéma un secteur qui soit véritablement pourvoyeur d'emplois et créateur de richesse. Les quelques indications que nous avons au niveau du pays indiquent que ce secteur contribue à environ 3% au PIB. Nous avons l'ambition de faire augmenter cette contribution au PIB. Et au moment où le chef de l'État a décrété donc une année de la jeunesse, nous pensons que le cinéma peut également apporter sa contribution en termes de création d'emplois pour les jeunes. Donc le cinéma et l'audiovisuel ont leur place et nous ambitionnons donc de l'occuper pleinement. 

Q : Mais ne faut-il pas pour cela qu'il y ait des narratifs africains qui intéressant les producteurs internationaux ? 

AC : Vous êtes là en plein cœur d'une des raisons pour lesquelles nous organisons ce SICA. Oui, l'Afrique a un narratif à proposer au monde et les échanges que vont faciliter le SICA vont permettre à l'Afrique de proposer ce narratif. Mais nous restons ouverts. C'est pourquoi nous parlons d'échange. En termes d'échange, nous avons par exemple une coproduction africaine et européenne qui est aujourd'hui sur une plateforme. Et je veux parler de Bienvenue au Gondwana, tourné en Côte d'Ivoire et en France avec des acteurs français, des acteurs ivoiriens et des producteurs français, je parle des frères Altmayer. Donc, vous voyez, il y a une collaboration qui est possible et le SICA veut être la plateforme qui ouvre cette collaboration, qui tient compte du narratif africain. 

Q : Amadou Coulibaly, vous voulez aussi que la Côte d'Ivoire devienne un lieu de tournage incontournable. Mais vous savez bien que, quand un producteur cherche un pays pour tourner, la première question qu'il se pose, c'est combien ça coûte ? Alors s'il vient chez vous, est-ce qu'il va devoir payer des droits de douane et des taxes ?

AC : Déjà, ce qu'il faut savoir, c'est qu'avec la politique mise en place par le président de la République, l'investissement en Côte d'Ivoire est très incitatif. Il y a des dispositions qui ont été prises pour rendre attractif le pays. Mais je suis d'accord avec vous que le secteur de l'audiovisuel reste un secteur particulier et nous sommes en train de travailler de façon à mettre en place un dispositif qui soit adapté à ce secteur-là, de sorte à pouvoir exonérer tous ceux qui sont intéressés à venir tourner en Côte d'Ivoire. Donc, exonérés de certains frais. Nous y travaillons et très bientôt, nous ferons une proposition au gouvernement pour que notre pays soit encore plus attractif du point de vue du cinéma et de l'audiovisuel.

Q : Tout à fait autre chose, monsieur le ministre. Le 21 septembre, 15 partis politiques de l'opposition, dont le PDCI de Tidjane Thiam, ont écrit au gouvernement pour lui demander d'ouvrir un dialogue inclusif afin de « corriger les défaillances du système électoral ». Qu'est-ce que vous répondez ? 

AC : Je voudrais rappeler que nous avons eu une dernière phase du dialogue politique qui a été ouvert de décembre 2021 à mars 2022. Au cours de cette phase, l'un des premiers points qui a rencontré l’adhésion de toutes les parties, ça a été de dire que, aujourd'hui dans notre pays, les institutions sont toutes installées et fonctionnent normalement. Il a été convenu que toutes les questions relevant du fonctionnement de certaines institutions leur soient adressées. Nous sommes aujourd'hui un État véritablement démocratique, nous sommes un État de droit. Je peux comprendre que, à une certaine époque, on s'en référait au tout-puissant président de la République, mais aujourd'hui les institutions fonctionnent. Donc, moi, j'inviterai l'opposition, pour certaines de leurs préoccupations, à s'adresser aux institutions qui en ont la charge, et, relativement à cette question, je pense que l'opposition peut s'adresser à la Commission électorale indépendante. 

Q : L'opposition affirme que dans sa composition, la CEI, la Commission électorale indépendante, n'est ni équilibrée ni impartiale. Est-ce que vous seriez prêt à envisager une réforme de cette CEI ? 

AC : Je rappelle, en citant ce dernier dialogue politique, que c'est à l'issue de celui-ci que le PPA-CI [de Laurent Gbagbo] a intégré la Commission électorale indépendante. C'est donc dire que tout peut se régler au niveau de la Commission électorale indépendante. Mais je pense qu'il n'est pas juste de prétendre que cette Commission n'est pas équilibrée. Au contraire, l'opposition y est majoritaire, puisqu'ils ont cinq représentants et la société civile en a six, dont deux du barreau et un de la magistrature. Évidemment, elle a beau jeu de dire que le représentant du chef de l'État ou du ministère de l'Intérieur sont proches du pouvoir, mais je rappelle que, lorsque Laurent Gbagbo était au pouvoir, il avait un représentant aussi bien de la présidence et un représentant du ministère de l'Intérieur. Ce sont des dispositions qui existaient bien avant que le RHDP n'arrive au pouvoir. 

Q : Vendredi dernier, sur RFI et France 24, vous avez pu entendre l'opposant Charles Blé Goudé qui lançait un appel au Président Ouattara pour qu'il fasse passer une loi sur l'amnistie afin que lui-même puisse être candidat l’an prochain. Pensez-vous que cela est envisageable ? 

AC : Une fois de plus, je le répète, nous sommes un État de droit où toutes les institutions sont installées ou fonctionnent. Je suis toujours surpris qu'aujourd'hui, on veuille toujours en revenir au chef de l'État, alors qu'il y a des institutions qui fonctionnent. L'Assemblée nationale est le lieu où on peut faire également des propositions de loi. Il me semble que l'opposition est très bien représentée à l'Assemblée nationale. Elle pourra bien sûr introduire une proposition de loi à ce niveau, parce que les lois que le chef de l'État peut prendre sont encadrées aujourd'hui. 

Q : Et est-ce que le RHDP au pouvoir serait prêt à voter une telle proposition de loi ? 

AC : Mais il faut que déjà elle arrive sur la table de l'Assemblée. 

Q : Après ?

AC : Et après, le jeu démocratique va s'imposer et puis il appartiendra aux députés, qui sont les députés de la nation, une fois qu'ils ont voté, de juger de l'opportunité d'adopter cette loi ou pas.
Source RFI