Crise au sein de la FITKD : Le ministère des Sports face à ses responsabilités

Crise au sein de la FITKD : Le ministère des Sports face à ses responsabilités
La résolution de la crise au taekwondo passe par une prise de responsabilités totale du ministère en charge des Sports après l’échec de la mission du secrétaire général de l’AFTU, soupçonné de connivence avec une partie en conflit, Jean-Marc Yacé (Ph DR)

L'avenir du taekwondo ivoirien, discipline phare du pays et championne olympique, est aujourd'hui en suspens. Depuis quatre mois, une crise de leadership secoue la Fédération Ivoirienne de Taekwondo (FITKD), opposant deux factions dans une lutte pour le pouvoir. D'un côté, Jean-Marc Yacé, élu le 15 octobre 2022 et destitué par 175 membres actifs. De l'autre, Ali Diomandé, désigné président du Comité Directeur de Transition (CDT) par la majorité des clubs en octobre dernier.

 

Crise de gouvernance

L'arrivée de Me Yacé à la présidence de la FITKD, le 15 octobre 2022, succédant ainsi à Bamba Cheick Daniel, a fait naître de vives attentes. Son expérience et ses réalisations antérieures, en particulier sa collaboration avec l'ancien ministre de l'Administration du territoire et maire de Cocody, laissaient présager qu'il saurait consolider les acquis et mener la discipline vers de nouveaux horizons. Pourtant, vingt-quatre mois plus tard, le constat est amer. La fédération, jadis un exemple de stabilité, est aujourd'hui secouée par des turbulences, suscitant inquiétude et consternation parmi les acteurs du taekwondo.

De graves manquements ont été constatés, révélant des problèmes de gouvernance et de transparence. L'absence d'une Assemblée générale ordinaire annuelle, en violation des articles 29 de la Loi sur le Sport en Côte d'Ivoire et 20, alinéa 2 du règlement intérieur de la FITKD, en est un exemple criant. Par ailleurs, le silence et l'inaction du comité directeur face aux accusations répétées d'abus et de harcèlement sexuels, parfois sur des athlètes mineurs, ont profondément entaché l'image de la fédération. Cette passivité a contraint la World Taekwondo à imposer une politique de tolérance zéro. D'autres dysfonctionnements majeurs obscurcissent la situation : absences répétées du président aux réunions statutaires, entraves à la mission du commissaire aux comptes, et tendance à créer des commissions ad hoc en dehors des structures établies.

La dissolution du comité directeur et la mise en place d'un comité de transition (CDT) témoignent de la profondeur de la crise. L'Assemblée générale ordinaire, tenue en début de mois, a finalement conforté le CDT dans sa mission de redressement de la discipline. Le rapport présenté par le commissaire aux comptes a révélé plus de 189 millions de francs CFA de sorties de fonds non justifiées.

 

L’implication des instances internationales

Afin de trouver une solution à la crise, les instances internationales, notamment l'Union africaine de taekwondo (AFTU), ont dépêché une mission en Côte d'Ivoire. Saisie afin de garantir une résolution équitable et transparente, la fédération continentale est rapidement contestée par le Comité directeur de transition. Son secrétaire général est accusé de connivence avec le camp de Jean-Marc Yacé. Il a annoncé verbalement le rejet de l'assemblée générale extraordinaire des 175 membres statutaires, sans fournir de justification, contrairement aux exigences des textes de l'AFTU.

Sans prendre parti, World Taekwondo a déclaré s'aligner sur la position de l'AFTU, en fonction des conclusions de la mission. Le comité de transition a critiqué cette prise de position, dénonçant un manque de transparence dans la mission menée par le secrétaire général de l'AFTU.

Cependant, cet organisme a recommandé la mise en place d'une « Task force » dirigée par le ministère des Sports. S'appuyant sur cette recommandation, le ministère a mis en place, en janvier dernier, un comité de pilotage au sein de la fédération, ce qui a été perçu comme une violation de l'indépendance des fédérations sportives. De plus, le ministère, censé mener les efforts pour résoudre le conflit, a placé son représentant sous l'autorité de Yacé, président du comité de pilotage, tout en ignorant le comité de transition présidé par le Dr Ali Diomandé. Cette démarche a été critiquée par les 175 membres statutaires qui ont organisé l'assemblée de révocation du 19 octobre 2024. Ils ont également invité le ministère à appliquer la directive de World Taekwondo, qui exige un cadre de concertation entre les différentes parties pour résoudre la crise dans cette discipline, source de fierté pour la Côte d'Ivoire.

 

Le gros risque d’affrontements

Depuis le début de la crise, les deux factions, avec une présence marquée du Comité directeur de transition, sont actives sur le terrain. Après leur action dans le district d'Abidjan, Me Ali Diomandé et son équipe ont rencontré les taekwondoïstes du nord et du centre du pays. D'autres tournées nationales sont prévues. Le dimanche 23 février, le CDT a franchi une étape significative à Bouaké en organisant un passage de grades auquel plus de 220 athlètes ont participé. Parallèlement, la FITKD, sous la direction de M. Yacé, organisait une activité préparatoire aux éliminatoires des championnats nationaux dans la capitale du Gbêkê. Cette situation, inédite dans l'histoire de la discipline, a suscité l'attention des observateurs. Cette crise de leadership a eu un impact considérable sur la tenue de la Coupe de l'Ambassadeur de Corée, une compétition majeure du calendrier fédéral. Après plusieurs reports, l'assemblée générale ordinaire s'est tenue, révélant des lacunes en matière de gouvernance. Désormais, les différentes factions se retrouvent sur les mêmes sites pour organiser des événements distincts. Cette situation risque de dégénérer si des mesures ne sont pas prises. En effet, la tension est palpable et un incident mineur pourrait suffire à déclencher un conflit. Cette situation doit être évitée pour cette discipline qui mérite mieux, compte tenu des affaires extrasportives et des problèmes de mœurs qui ont entaché la gouvernance de M. Yacé.

 

La responsabilité du ministère de tutelle

Cette situation révèle le rôle essentiel du ministère de tutelle, responsable de la supervision et de la régulation des activités sportives nationales. La gestion actuelle de la crise par le ministère a été jugée insuffisante, voire contre-productive, puisqu'elle a intensifié les tensions au lieu de les atténuer. Les propos du directeur de la vie fédérale, Serge Ayokoe, sont révélateurs d'une possible conspiration contre la majorité des membres actifs. Lors d'échanges avec Balla Dieye, secrétaire général sénégalais de l'AFTU (Union africaine de taekwondo), M. Ayokoe aurait révélé que la stratégie du ministère est « d'ignorer royalement » Ali Diomandé, président du CDT. Un tel manque de considération, émanant d'un proche collaborateur du ministre des Sports, est particulièrement irresponsable envers une discipline qui honore la Côte d'Ivoire.

La recommandation de la World Taekwondo (WT), instance dirigeante mondiale du sport, appelant à une médiation entre les parties concernées, doit être considérée avec la plus grande attention. Il incombe au ministère de tutelle, par responsabilité et obligation, de favoriser un dialogue constructif pour une résolution pacifique et pérenne de cette crise. Selon un adage ivoirien, « on ne prend pas une seule partie de la cola pour faire sacrifice ». Le ministère ne doit pas privilégier l'avis d'une seule partie sous prétexte que les membres statutaires, organisateurs de l'assemblée générale extraordinaire du 19 octobre, ne l'ont pas associé.

Il est crucial que le ministère réexamine sa stratégie de gestion de la crise au sein de la FITKD. Au lieu d'une approche réactive, il doit adopter une stratégie proactive, en œuvrant à rassembler les factions pour dialoguer et dépasser leurs différends. La mise en place d'un comité de médiation, comprenant des représentants neutres et respectés de la communauté du taekwondo ainsi que des médiateurs professionnels, constituerait un premier pas vers une résolution.

Le taekwondo, en tant que sport et discipline prônant le respect et l'intégrité, mérite une gestion en accord avec ses valeurs fondamentales. En tant qu'autorité de tutelle, le ministère doit assumer sa responsabilité et agir sans délai pour restaurer l'unité et la solidarité au sein de la FITKD, assurant ainsi l'avenir du taekwondo ivoirien. Il est temps d'adopter de nouvelles méthodes, de favoriser le dialogue et de collaborer pour transcender les divisions et construire un avenir prometteur pour ce sport.

OUATTARA Gaoussou