Interview-Jérôme Ribeiro (Président - fondateur de Human AI) : « L'intelligence artificielle peut être un atout si... »
Dans le cadre du partenariat Unjci-Coniia, "Human AI" a dirigé, du 24 au 27 septembre 2024, une formation des journalistes ivoiriens sur la technologie de l'Intelligence artificielle (IA). Dans cet entretien, Jérôme Ribeiro (Président - fondateur de Human AI) situe les enjeux, pour les Etats africains, de se doter de textes législatifs forts aux fins de la protection des données et pour les journalistes de maîtriser cette technologie.
Le Patriote : L'humanité semble craindre cette technologie qu'est l'IA. Les craintes sont- elles fondées ?
Jérôme Ribeiro : Elle a raison d'avoir peur. Pourquoi ? Parce que, dans les années 80, il y avait des films où on prédisait que les robots allaient remplacer les humains. Moi ce que j'aime bien, c'est que, quand on a peur d'une technologie, cela éveille les consciences. Ça a permis de prendre en considération la place de l'humain au centre de cette technologie. Et de se dire, il faut légiférer, il faut prendre des lois fortes pour ne pas qu'on se serve de cet outil de manière irresponsable. L'IA est un outil. Quand on vous donne un outil, soit vous faites la cuisine avec, soit vous allez tuer les gens. Donc, la destination de cet outil est très importante, surtout que l'IA occupe aujourd'hui notre quotidien. On l’utilise dans notre smartphone. Et on laisse aux géants du web l'accès à la totalité de nos données : notre téléphone, micros, contacts. Ils savent tout de nous, notre géolocalisation, tous nos messages, etc. Ils nous connaissent mieux que nous. Et ça, il faut en prendre conscience. Nos peurs sont légitimes. Il suffit juste d'expliquer. C'est comme la voiture. Vous la voyez arriver. Vous ne savez même pas que ça fonctionne avec une clé. Vous aviez peur au départ. Mais maintenant est-ce que vous avez peur des voitures ? C'est devenu indispensable. Il fait partie de notre quotidien. L'IA fait partie de notre quotidien. Seulement les lois ne sont pas assez restrictives. Il va falloir qu'on s'y mette en assurant la souveraineté des données.
LP : Qu’en est-il des données africaines ?
JR : Seulement 2% des données africaines sont sur le territoire africain. Là, ce qu'il faut, c'est faire en sorte que chacun ait son propre data center, chacun ait ses propres données pour éviter d'enrichir les gens du web. Parce qu’aujourd'hui l'Europe et l'Afrique sont des colonies modernes. Les Américains et les Chinois font ce qu'ils veulent de nos données. Vous imaginez Google est valorisé à plusieurs milliards de dollars. Et qu'est-ce qui se passe ? C'est qu’ils ne nous vendent rien. C'est notre donnée. Nous sommes devenus des produits. Et donc, il faut sensibiliser le grand public, les politiques mais aussi les entreprises. Si les entreprises forment les jeunes, et qu'ils sont super bien formés, ils vont partir. Parce qu’il n’y aura pas de business ici. Ils vont partir où il y a du business. Et donc, il faut aussi sensibiliser les chefs d'entreprises à intégrer l'IA en leur sein parce que c'est une technologie qui est rentable à moins de douze à quatorze mois.
LP: Quel problème éthique l'avènement de l'IA pose à nos sociétés ?
JR: Le problème éthique, c'est la place de l'humain. En plus l'éthique est multiculturelle. Les Chinois, ça ne les dérange pas d'avoir un social score et de se faire filmer toute la journée. Vous imaginez vous faire filmer toute la journée et qu'on vous dise le score sur votre comportement ? Vous savez, l'éthique, il faudrait considérer les autres comme ils veulent que tu les considères. En tenant compte de leurs régions, de leurs valeurs, de leurs cultures, de leurs ethnies, de leurs individualités. Il faut que tous les humains aient leur place dedans et qu'aucun groupe ne soit marginalisé. C'est pour ça que Human AI et le Conseil international de l'IA (Coniia) œuvrent ensemble, main dans la main. Ce sont des entités distinctes et des entités sœurs dans lesquelles nous prenons en considération la place de l'humain et nous faisons en sorte que chacun ait le choix de son destin.
LP: L'IA peut-elle être un grand atout?
JR: Elle peut être un grand atout si on éduque bien les gens et si on explique qu'elle doit être au service de l'humanité.
LP: Selon vous, nous sommes en guerre technologique froide. Comment se manifeste cette guerre ?
JR: C'est une guerre silencieuse. Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? Il y a beaucoup d’attaques ; on parle de cybercriminalité. Le nombre d'attaques qu'il y a tous les jours est infernal. Toutes les entreprises sont attaquées. Pourquoi ? Pour piller les données, pour piller leur savoir- faire, etc. On est entré dans une sorte de suprématie mondiale. C'est la course à la suprématie, c'est la course à dominer le monde. Vous avez vu l'affaire des bippers qui ont explosé, etc. Ça va être une arme redoutable. Cette guerre, on ne la voit pas venir. Pourtant vous avez un virus dans votre téléphone, vous avez un hacker qui prend le contrôle de votre téléphone, il vous fait croire ce qu'il veut. Ça, il faut y faire attention. Ce sont des outils qui peuvent faire très mal, mais qui sont silencieux. Vous avez un smartphone, on peut tout faire dans votre smartphone. On peut vous connaître, vous manipuler aussi. C'est hyper dangereux. Il faut en avoir conscience.
LP : Est-ce que vous direz que l'Afrique est un terrain de jeu pour ces puissances ?
JR : Certains le disent comme le professeur Seydina N'diaye qui est expert de haut niveau des Nations Unies. Selon lui on est un bon laboratoire d'expérimentation. Et n’y a aucune loi qui limite tout ça. Donc c'est un super terrain de jeu pour ceux qui sont malveillants.
LP: Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) sont les gros utilisateurs de l'IA. Comment cela peut représenter une forme de danger pour les usagers ?
JR: Oui, ils peuvent être une forme de danger, les Gafam. Sur Facebook, quand vous voulez acheter quelque chose, vous avez de la publicité. Regardez l'élection de (Donald) Trump ou village par village, quartier par quartier ils ont manipulé les gens en faisant croire que telle ou telle idée politique était de tel parti. Mais, on est allé dans leur sens. Donc il faut faire attention parce qu’on peut laisser des messages graves. Il faut donner les moyens à toute la population de se protéger par des lois fortes.
LP: Individuellement et collectivement, comment se protéger ?
JR: Déjà la souveraineté des données. Ce qui va arrêter de les enrichir. Ces données nous appartiennent. S'il y a des lois fortes pour ne pas qu'ils puissent les utiliser, on va les freiner. Mais, le souci qu'il y a aujourd'hui, c'est qu'ils sont tellement forts et puissants. Dans tous les cas, c'est difficile d'aller contre eux.
LP: S’agissant du partenariat entre Unjci-Coniia qui vaut cette formation des journalistes ivoiriens sur l'IA, quels en sont les enjeux?
JR: Le partenariat scellé par Jean- Claude Coulibaly et Dr Malik Morris Mouzou, c'était pour que Human AI vienne former les journalistes pour acculturer, sensibiliser, expliquer, démystifier , parler de géopolitique, parler des enjeux économiques, parler de la place de l'humain, l'éthique. C'est hyper important. Former sur des outils parce que vous passez 70% du temps à rédiger vos articles. Parce que le métier de journaliste c'est quand-même la collecte d'information, la vérifier, la synthétiser, la transmettre au plus grand nombre. Donc, ces outils vont vous aider à aller plus près de vos lecteurs.
C'est de donner des outils de formation, de lui donner des Masters 1, 2. des diplômes qui soient reconnus à l'international avec le Comité international des scientifiques de l'IA où il y a un Ivoirien: le Dr Yaya Sylla.
Nous accompagnons les journalistes. Vous avez un projet, on s'associe avec vous.
On a 27 000 ambassadeurs aujourd'hui dans le monde. Et on a déjà 2500 ambassadeurs en Côte d'Ivoire. Ça veut dire qu'ils sont sensibilisés à cette technologie, ils veulent y aller. Mais il faut rassembler tous les écosystèmes : les politiques, les jeunes, les moins jeunes surtout le grand public, des étudiants et des chefs d'entreprises.
Raoul Sainfort