A neuf mois de la présidentielle : Quelle opposition face à Alassane Ouattara ?

A neuf mois de la présidentielle : Quelle opposition face à Alassane Ouattara ?
Le Président de la République est le grand favori du scrutin d'octobre 2025 (Ph DR)

Traditionnellement marquée par les vœux adressés par le chef de l’Etat à l’ensemble de la population, l’occasion de l’entrée de notre pays dans la nouvelle année a été saisie au bond, comme c’est de plus en plus le cas ces dernières années, par les différents responsables des formations politiques de la place pour parler à leurs partisans. Et cet exercice chez ces derniers a rivalisé tellement de solennité qu’on en était parfois à se demander si chaque président de parti ne se prenait pas un peu pour le président de la République tout court ! Cela est encore plus vrai en ce début d’année électorale, où on aurait cru que chacun se rêvait à l’image de ses désirs, comme le calife à la place du calife ! Alassane Ouattara, le vrai et légitime garant de la Côte d’Ivoire, a-t-il ainsi vu son message à la Nation phagocyté par ceux de ces grands contemplatifs devant l’Éternel ? Certainement pas. 

Le chef de l’Etat, comme à son habitude, s’est illustré à ce jeu-là par ce qu’on lui connait le mieux en Côte d’Ivoire : la pondération, l’élégance et surtout ce sens de la responsabilité qui en font le grand homme d’Etat reconnu par tous, même au-delà de nos frontières. S’il s’est pour l’essentiel félicité d’avoir à nouveau offert à ses concitoyens une année 2024 paisible, il a surtout noté la joie, l’allégresse et la cohésion nationale que l’organisation de la plus belle coupe d’Afrique des Nations, et la victoire finale des Éléphants qui en a découlé, leur a apporté. Mais le garant de l’unité nationale qu’il est, a par-dessus tout promis à ses compatriotes une élection présidentielle « transparente, apaisée et démocratique », gages de la consolidation des innombrables acquis enregistrés depuis son accession au pouvoir d’Etat, en 2011. Des acquis connus de tous, observables au plan économique, social, sécuritaire, sanitaire, etc. Des acquis qui ont bénéficié notamment à des millions de jeunes, en termes d’emplois ; aux agriculteurs qui jouiront dès ce mois-ci d’une mesure sociale historique du fait de la gratuité acté de leur assurance maladie ; aux fonctionnaires qui ont vu leurs revenus revalorisés, doublés d’une « prime ADO » inédite en Afrique. Les Ivoiriens, qui ont religieusement écouté leur Président, ne tarissent pas d’éloges et de reconnaissance à l’égard d’un homme qui leur aura tant donné en l’espace d’une décennie et reconstruit, presque brique par brique, leur pays ruiné, deux bonnes décennies en arrière, par des prédateurs savamment déguisés en président de la République et que nul n’a vu venir.

 

 

Gbagbo, le retour sur les lieux du crime

 

Gbagbo, le président du PPA-CI rêve d'un retour au pouvoir (Ph DR)

Il se trouve justement – et pour le malheur de nombreux habitants de ce pays – que l’un d’eux, Laurent Gbagbo, voudrait revenir « sur les lieux de son crime ». Il s’agite beaucoup dans ce sens. Il parle surtout et menace. Ses partisans veulent en découdre et font planer le spectre d’une chienlit sur la Côte d’Ivoire. La raison de ce déchainement est qu’ils voudraient qu’au mépris de la justice qui l’a condamné à 20 ans de prison, leur leader gracié entretemps par le chef de l’Etat, soit réinscrit de force sur la liste électorale. Ils bandent leurs muscles en traitant de tous les noms d’oiseaux celui dont paradoxalement ils réclament les faveurs. Le principal concerné, lui, fidèle à une vieille réputation qui lui colle à la peau, joue avec l’esprit de ceux qui voudraient bien croire au « roman fantastique » d’une Côte d’Ivoire belle et lisse qu’il aurait laissé derrière lui. 

Or, Laurent Gbagbo, c’est quand même le charnier de Yopougon, du nom de l’horreur découverte à la périphérie d’Abidjan le 26 octobre 2000 ; c’est aussi le Massacre du 25 mars 2004 qui a causé la mort de plus de 120 militants de l’opposition lors d’une manifestation pacifique. Le règne du Woudy de Mama rime notoirement, c’est connu aussi, avec la galaxie patriotique dont le fer de lance, les "Jeunes Patriotes", dirigées par Charles Blé Goudé, ont martyrisé, pourchassé, violé, brûlé vives de nombreuses personnes soupçonnées d’appartenir au RDR d’Alassane Ouattara ; le FPI du « Séplou », ce sont les délits de faciès et de patronyme qui avaient pignon sur rue à Abidjan et dont les malheureuses victimes voyaient, pour les plus chanceux, leurs cartes d’identité déchirées. Que dire des escadrons de la mort avec leurs lots de victimes, dont les plus connues sont l’acteur Camarah H, le politicien Téhé Emile, le médecin Benoit Dacoury-Tabley ? Des massacres, des disparitions forcées et des tortures qui sont documentés par les organisations internationales, notamment lors de manifestations anti-gouvernementales.

Le point culminant de la violence sous le régime de Gbagbo survient après sa défaite au second tour face à Alassane Ouattara. Validé par la communauté internationale, le résultat du scrutin est refusé par le mauvais perdant, qui ne veut pas céder le pouvoir. Le conflit armé qui s’ensuit fait plus de 3 000 morts, selon l'ONU, et se termine par l'arrestation de Laurent Gbagbo en avril 2011. Ainsi, le mandat de Laurent Gbagbo reste une période sombre de l'histoire ivoirienne, marquée par des violences politiques, des affrontements armés et des violations massives des droits de l'homme.

Alors, cet homme-là, au soir de sa vie, après un séjour carcéral punitif que les Ivoiriens avaient espéré qu’il conjurerait cette page noire de notre histoire récente, veut reprendre les choses là où il les avait laissées, sans le moindre et piètre mot de repenti, sans une once de compassion pour les nombreuses victimes. Est-ce humainement bienséant et honnête de l’envisager ? Comment, sans coup férir, entreprendre de gouverner ses propres victimes ? Laurent Gbagbo qui n’a même pas pu pardonner à ses propres camarades de lutte que sont Affi N’guessan et Charles Blé Goudé de supposées erreurs ou fautes à son égard peut-il rassembler l’ensemble des Ivoiriens autour de son idéal politique ? Un mari qui n’a pas hésité à rabrouer publiquement – avant de la répudier – son épouse de près d’un demi-siècle de vie commune et de lutte politique, peut-il trouver les ressorts intellectuels et spirituels nécessaires pour fédérer les âmes et les cœurs de tout un peuple ?

Et puis, pendant qu’on y est, que représente en réalité aujourd’hui Laurent Gbagbo sur l’échiquier politique ivoirien ? Où en est-il avec son appel de Bonoua, qui semble avoir fait pschitt ! ? Que pèsent l’époux de Nady Bamba et son PPA-CI qui semble tourner en rond autour du vieil homme sans réelle perspective ? Que peut ce parti sans le PDCI de Tidjane Thiam avec qui il ne tombera jamais d’accord sur une alliance sacrificielle de l’un au profit (ou au détriment) de l’autre ?

 

 

 

Tidjane Thiam, le masque de l’opportunisme

 

Tidjane Thiam et le PDCI espèrent ravir le fauteuil président à Alassane Ouattara (Ph DR)

Un autre prétendant au fauteuil présidentiel, sans doute moins volubile et gouailleur que Laurent Gbagbo, est Tidjane Thiam. Mais ce technocrate est peut-être justement moins bavard que son collègue de l’opposition parce qu’il n’a presque rien à dire sur la Côte d’Ivoire ! En guise de faits d’armes dans son pays, il y a tout juste cet intermède d’à peine cinq années passé de 1994 à 1999 à la tête du Bureau national d'études techniques et de développement (BNETD) puis à celui du ministère du Plan et du Développement. Le reste de sa carrière et de sa vie, ce diplômé de l'École polytechnique et de l'École des mines de Paris, qui a rejoint McKinsey & Company en qualité de consultant en management de 1986 à 1994, avant sa virée éclair abidjanaise, l’a fait loin des terres éburnéennes. Notamment à Londres, Paris et Genève. A McKinsey, Aviva, Prudential et Crédit suisse. Une carrière dans les bureaux feutrés de ces établissements bancaires qui l’a maintenu hors de la Côte d’Ivoire un quart de siècle durant ! 

Durant 24 ans donc, Tidjane Thiam n’a pas mis les deux pieds en Côte d’Ivoire, dont il a même en partie renoncé à la nationalité, puisqu’il s’est aménagé une autre citoyenneté, celle de la France. Pays désormais sien et dont il s’apprêtait même à occuper un important poste ministériel, à la demande d’Emmanuel Macron. La double nationalité jusqu’à ce jour enfouie profondément dans la poche, le voilà donc qui veut présider aux destinées d’un pays qu’il ne connait finalement que très peu. Un pays qu’il a fui au moindre bruit de botte. D’ailleurs, qui peut mettre sa main au feu que ce citadin policé, à la civilisation européenne pour le moins prononcée et qui a encore la cuillère en or au bout des lèvres, ne sautera pas sur une belle opportunité plus alléchante que celle de la Côte d’Ivoire au cas où son destin ivoirien serait compromis ?

A la vérité, Tidjane Thiam est un fin calculateur. Il a profité de la place vacante laissée par Henri Konan Bédié et l’appel émotionnel lancé par certains caudataires du vieux parti, qui lui ont juré qu’il avait un coup à jouer en Côte d’Ivoire, pour se résoudre à regagner les bords de la lagune Ebrié. Alors qu’il gère le parti de Konan Bédié avec une certaine désobligeance, vis-à-vis notamment du PPA-CI, avec qui il rechigne clairement à s’allier, et du parti de Guillaume Soro, « le serpent à ne pas mettre dans sa poche », où peuvent aller Thiam et le PDCI ? 

En octobre 2025, il en faudra peut-être un peu plus que ces deux opposants quelque peu brinquebalants pour inquiéter Alassane Ouattara, l’homme que les Ivoiriens, au plus profond de leur cœur veulent voir rester au pouvoir pour parachever l’œuvre qu’il a entamée et qui est en si bonne voie.

 

KORE EMMANUEL