Interview Aïcha Traoré (artiste chanteuse) : « Mon rêve, conquérir le monde et aider les veuves »
Voix suave de la musique ivoirienne, Aïcha Traoré a représenté à la Côte d’Ivoire à la 8ème édition du festival international de la gastronomie et des arts du spectacle (FIGAS) qui s’est tenu du 19 au 21 juillet 2024 à l'Espace Jorge-Semprun dans la ville de Blois en France. De retour au pays, elle revient, dans cet entretien, sur sa participation à cet événement culturel majeur et dévoile ses ambitions pour sa carrière musicale.
Le Patriote : Vous revenez de France où vous avez pris part au festival Figas. Comment avez-vous vécu cette première expérience musicale dans l’hexagone ?
Aïcha Traoré : C’était ma première fois en France. Je l’avoue, tout s’est bien passé. Le festival se déroulait à Blois, où nous avons été bien accueillis lors de notre arrivée le 19 juillet. Nous avons répété avec des musiciens locaux et le lendemain, je me suis produite pendant 45 minutes sur la scène du festival. J’ai égrené des titres comme « Djanfa so », « Mogoya », « Djorolé »… Le concert s’est bien déroulé et j’ai été agréablement surprise par la réaction du public qui a repris en chœur mes chansons et dansé avec moi. Ils m’ont aidé à m’épanouir sur scène. A la fin de ma prestation, j’ai même eu droit à une standing ovation. J’étais très émue. Les habitants de Blois ont été incroyables. Ils sont si chaleureux et très accueillants. Dans les transports en commun ou les rues, ils nous saluaient avec enthousiasme et nous adressaient des mots gentils, lorsque nous sortions pour aller manger. Je ne sais pas si les habitants de Blois sont différents des autres Européens, mais ils sont vraiment sympathiques. Mon séjour dans leur localité m’a beaucoup marquée. Ce fut une belle et enrichissante expérience. J’en garde de très bons souvenirs.
LP : Concrètement qu’est-ce que cette première expérience en France vous a apporté ?
AT : Elle m’a donné une certaine assurance. Elle a renforcé ma confiance en moi et m’a apporté de la fierté. Car, ce n’était pas évident. J’ai joué avec des musiciens que je ne connaissais pas. Nous n’avons répété que deux fois, le jour de mon arrivée et le lendemain, quelques heures avant le concert. Et le succès du concert est, pour moi, un motif d’encouragement à travailler davantage.
LP : Avez-vous noué des contacts avec des producteurs, directeurs de festivals et tourneurs pour de futurs contrats ?
AT : C’est mon manager, M. Koné Dodo, qui s’occupe de cela, et très bien d’ailleurs. Car, c’est un grand professionnel dont la renommée est connue dans le monde entier. A ce niveau, je n’ai donc pas de souci à me faire. Il a noué de solides contacts avec les professionnels de l'industrie musicale pour le développement de ma carrière. En ce qui me concerne, je m’attèle à assurer sur scène, comme ce fut le cas à Blois. J’y ai démontré que je suis capable de tenir une scène et de communier avec mon public.
LP : Justement envisagez-vous de repartir en Europe pour des spectacles après cette première expérience à Blois ?
AT : Oui, bien sûr parce qu’il faut vivre de son art. Et puis, tant qu’un artiste ne fait pas de tournée, il ne s’accomplit pas. Il faut conquérir d’autres pays. Je pense que je suis sur la bonne voie. Je suis prête à aller au bout du monde pour chanter. C'est ma passion.
LP : Vous chantez des cantiques religieux et vous faîtes aussi de la musique mandingue. Où doit-on classer Aïcha Traoré ?
AT : Tous ceux qui écoutent mes chansons peuvent me classer là où ils le veulent. Ce qui importe chez moi, c'est le message que je fais passer. Il ne faut pas chanter pour chanter. Et ce que je souhaite, c’est que les mélomanes qui m’écoutent mettent en pratique les conseils que je donne dans mes chansons. Mes textes évoquent les faits de société, des actes de la vie quotidienne afin que les gens en tirent des enseignements.
LP : Est-ce des expériences vécues par vous ?
AT : Pas spécifiquement moi. Mais, ce sont des faits que tout le monde vit au quotidien. Mon idée, c’est qu’on tire beaucoup d’enseignements des expériences que nous vivons tous les jours. J’interpelle aussi les consciences sur certaines dérives de notre société, notamment sur les réseaux sociaux où nous voyons souvent des choses choquantes. J’essaie de chanter des choses vécues mais qui éveillent les consciences.
LP : Vous défendez aussi les droits des femmes, en particulier les veuves…
AT : Effectivement. Les femmes essaient de se battre pour se construire dans la société, conquérir le monde mais ce n’est pas facile. Il y a trop de pesanteurs qui les rendent vulnérables. Elles ont donc besoin d’aide, du soutien des hommes. Je suis touchée par la situation des mères qui ont perdu assez tôt leurs maris et ont des enfants à charge. Je l’ai vécue, et j’avoue que ce n’est pas du tout facile. Mon combat, c'est d'aider ces femmes à s’en sortir. J’exhorte les personnes de bonne volonté, les âmes généreuses à venir en aide aux veuves et aux orphelins.
LP : Côté spectacles, vous avez donné deux concerts au Palais de la culture, mais vous ne vous produisez quasiment pas à l’intérieur du pays. Pourquoi ?
AT : Il faut faire les choses pas à pas. Je voulais d’abord m’affirmer à Abidjan où j’ai donné deux concerts live au Palais de la culture de Treichville, avant d’attaquer l’intérieur du pays. J’ai beaucoup de fans à l’intérieur du pays. Nous avons des sollicitations. Après donc Abidjan, je compte donner des spectacles à Yamoussoukro, Bouaké, Korhogo etc. Et probablement dans le cadre d’une tournée. Je rappelle que j’ai participé deux fois au Djéguélé Festival à Boundiali. J’y ai rencontré des artistes maliens, burkinabè et aussi d’autres qui sont venus de France. Ce fut deux expériences intéressantes, surtout que le Djéguélé Festival est un événement musical majeur, pas seulement en Côte d’Ivoire mais dans la sous-région. A chaque fois que j’y suis allée, je me suis totalement éclatée. J’ai aussi joué en 2023 au Wobélé festival à Tafiré.
LP : Vous êtes l’une des belles voix de la musique ivoirienne, mais on vous voit moins publiquement. Est-ce de la timidité ?
AT : Non, ce n’est pas de la timidité. Ce sont d’autres aspects de moi que les gens ne connaissent pas. Au fil du temps, les Ivoiriens auront le temps de me connaître et d'apprécier ce que je suis et ce que je fais. Car, il y a ce que je suis et ce que je démontre aux gens aussi. Je suis beaucoup réservée parce que j'ai eu une enfance difficile. J'ai dû me battre pour avoir ce que je veux. La solution que j'ai trouvée, c'était de me forger une petite coquille où je suis hors d'atteinte. Je suis toujours dans cette coquille-là, c'est lorsque je me mets derrière mon micro que je me sens vraiment à l'aise. Là, je m'éclate. Que les Ivoiriens comprennent cela et qu’ils essaient de me suivre comme ça. Inch’Allah, je vais, avec le temps, sortir de cette coquille.
LP : Quand Aïcha Traoré n’a pas de spectacles, comment meuble-t-elle sa journée ?
AT : Elle se passe très simplement. J’aime beaucoup tricoter manuellement. Je passe tout le temps à tricoter mais je regarde aussi des films, je fais la cuisine et je prends soin de moi. Je suis comme on me voit.
LP : Pour finir, quel est votre rêve ?
AT : C'est conquérir le monde à travers la musique et aider les veuves. C’est aussi de pouvoir un jour me regarder dans la glace et dire : « Bravo Aïcha, je suis fière de toi». Je demande aux Ivoiriens de m'aider à réaliser mon rêve.
Réalisée par Y. Sangaré