Interview-Colonel Djan Yapo (Directeur des Eaux et Forêts du Tonkpi) : « La sauvegarde des forêts du Tonkpi est une course contre la montre face au réchauffement climatique »

Face aux impacts grandissants du réchauffement climatique, la région du Tonkpi en Côte d'Ivoire lutte pour préserver ses ressources naturelles. Dans cette interview, le colonel Djan Yapo, directeur des Eaux et Forêts du Tonkpi, partage une analyse détaillée de la situation actuelle de la biodiversité, des ressources en eau et des forêts locales. Il évoque également les activités humaines dévastatrices, les efforts législatifs et les actions entreprises pour protéger ces précieuses ressources.

Interview-Colonel Djan Yapo (Directeur des Eaux et Forêts du Tonkpi) : « La sauvegarde des forêts du Tonkpi est une course contre la montre face au réchauffement climatique »
Colonel Djan Yapo Evariste : « Le sciage à façon a baissé dans le Tonkpi, grâce à une combinaison de mesures de répression, de sensibilisation et de promotion d'alternatives économiques durables »

Le Patriote : Quel est l’état des lieux de la situation forestière dans la région du Tonkpi aujourd'hui ?
Colonel Djan Yapo : L’état des lieux de la forêt de la région du Tonkpi est à l’image de la forêt au plan national. La forêt ivoirienne a connu une dégradation significative, passant de 16 millions d’hectares en 1900 à moins de 3 millions aujourd’hui. Cette dégradation est due à plusieurs facteurs anthropiques, notamment l’exploitation forestière clandestine, l’agriculture itinérante, les feux de brousse et les sciages à façon. La région du Tonkpi n’échappe pas à cette triste réalité. Nous avons quelques petits avantages liés à notre relief accidenté, ce qui nous permet de conserver davantage de forêts. Cependant, ces reliefs sont exploités par les scieurs clandestins, et si rien n’est fait d’ici 2050, cela pourrait mener à une catastrophe écologique.

LP : Vous mentionnez que les populations sont au cœur de la dégradation des forêts. Pouvez-vous nous parler des constructions illicites sur les flancs des montagnes ?

CDY : Pour nous, les flancs des montagnes sont des zones de protection en raison des risques qu'elles comportent. Depuis notre arrivée dans la région du Tonkpi en 2018, nous avons sensibilisé les populations sur les risques des constructions anarchiques sur les flancs des montagnes. Malheureusement, ce phénomène persiste. C'est une question qui nécessite l'implication de tous les acteurs, y compris les collectivités territoriales, le corps préfectoral et l'administration de la construction. Actuellement, les populations s’installent souvent sans autorisation, guidées par les chefs coutumiers qui vendent des terres de manière clandestine. Il est crucial de prendre des mesures adéquates pour éviter des pertes humaines potentielles.

LP : Outre les constructions anarchiques, y a-t-il d’autres activités illicites qui causent des dommages aux flancs des montagnes ?

CDY : Oui, en plus des constructions anarchiques dues à l’immigration incontrôlée et à l'urbanisation, nous constatons que les zones constructibles disparaissent. Cela pousse les populations à s'installer sur les flancs des montagnes malgré les risques. La destruction des végétations sur ces flancs entraîne une érosion des sols et expose les populations à des dangers, comme les éboulements. La réglementation interdit l’exploitation des flancs des montagnes car ils stabilisent les sols. Détruire la végétation expose ces zones à l’érosion, ce qui est dangereux pour la stabilité des sols.

LP : Le concassage de granite contribue également à la destruction des flancs des montagnes…

CDY : Oui, le concassage de granite est une activité destructrice. Lorsqu’on concasse du granite, on dénature la structure de la roche. Cela commence par la destruction de la végétation, dont les racines soutiennent les blocs rocheux. La dégradation des racines crée des fissures dans les roches, qui s’aggravent avec les infiltrations d’eau et les variations de température. Ces fissures déstabilisent les blocs rocheux, augmentant le risque d’éboulement. Il est essentiel de sensibiliser les populations aux risques liés à cette pratique pour protéger leur vie et l’environnement.

LP : Y a-t-il un lien entre ces activités destructrices et le réchauffement climatique ?

CDY : Absolument. Il y a une corrélation étroite entre la destruction des flancs des montagnes et le réchauffement climatique. Les plantes, via la photosynthèse, absorbent le CO2 et libèrent de l'oxygène, équilibrant ainsi l'atmosphère. La destruction des végétations perturbe cet équilibre, contribuant au réchauffement climatique et à l'augmentation des gaz à effet de serre. Le concassage des granites, qui dénature la roche et la destruction des arbres exacerbent ce problème en libérant du CO2 stocké dans les plantes et le sol, augmentant ainsi la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère.

 LP : Quelles sont les lois en vigueur en matière de régulation des ressources en eau et de préservation du climat ?

CDY : Les lois sont claires et bien définies. Nous avons le nouveau code forestier, la loi numéro 2019-675 du 23 juillet 2019, qui en son article 29 parle de la stabilisation du régime hydrique et du climat. La forêt contribue à la régulation du cycle de l'eau et à la préservation du climat. Exploiter la forêt de manière non durable impacte négativement la régulation des cours d'eau et le climat, car la perte de couverture végétale réduit la capacité des écosystèmes à réguler le flux des eaux et à séquestrer le carbone.

LP : Quels sont les risques encourus en cas de pollution des cours d'eau ?

CDY : Selon le code de l'eau, la loi numéro 2023-902 du 23 novembre 2023, il y a le principe du pollueur-payeur. Lorsque vous polluez un cours d'eau, vous vous exposez aux sanctions. Les bassins versants, où l'eau ruisselle jusqu'au point exutoire, alimentent les nappes phréatiques. Si ces zones sont polluées, cela affecte la qualité et la quantité de l'eau approvisionnée par la SODECI, menaçant ainsi la santé publique et les écosystèmes aquatiques.


LP : Pouvez-vous expliquer l'incident de la rivière Kô et ses implications pour la santé environnementale et humaine ?
CDY : Nous avons constaté que les poissons étaient empoisonnés au niveau de la rivière Kô. Cela est dû à la pollution provenant des zones de servitude exploitées par les agriculteurs utilisant des produits phytosanitaires toxiques. Ces produits se retrouvent dans les cours d'eau lors des pluies, empoisonnant les poissons. Les poissons contaminés sont ensuite vendus sur le marché, impactant la santé humaine. Cette situation illustre les conséquences directes des activités agricoles non durables sur les écosystèmes aquatiques et la chaîne alimentaire humaine.

 LP : Quelles mesures ont été prises depuis 2018 pour lutter contre le sciage à façon dans la région du Tonkpi ?

CDY: Depuis 2018, nous avons fait de la lutte contre le sciage à façon notre bataille pour véritablement atténuer le phénomène. Nous pouvons nous féliciter des résultats obtenus. Plusieurs efforts ont été faits et même les opérateurs du secteur le reconnaissent. Le sciage à façon a baissé dans la région du Tonkpi, grâce à une combinaison de mesures de répression, de sensibilisation et de promotion d'alternatives économiques durables pour les communautés locales.

LP : Pouvez-vous nous parler des différentes législations qui régissent la protection des ressources naturelles ?
CDY: J'ai cité le code forestier qui, à partir de son article 87, sanctionne toutes les activités illégales. Il y a également le code de l'eau, avec la loi numéro 2023-902 du 23 décembre 2023, qui sanctionne les activités illégales concernant les ressources en eau. De plus, le code de la faune, avec la loi numéro 2024-364 du 11 juin 2024, régit la gestion de la faune. Ce code est récent et nous travaillons sur les textes réglementaires pour lever la fermeture de la chasse. La législation classe les espèces en quatre catégories, allant des espèces intégralement protégées aux espèces dont l'exploitation est autorisée mais suivie. Ces lois sont essentielles pour garantir une gestion durable et équitable des ressources naturelles, protégeant ainsi la biodiversité et les moyens de subsistance des communautés locales.

 LP: Quelles sont les sanctions prévues contre les activités illégales dans les forêts et sur les flancs de montagne ?

CDY: L'article 91 du code forestier prévoit des sanctions allant de 5 mois à 3 ans de prison et une amende de 2 à 20 millions de francs CFA pour quiconque coupe, arrache ou détruit sans autorisation des arbres plantés dans le cadre d'un reboisement. L'article 93 et les articles suivants jusqu'à l'article 100 punissent également de 2 mois à 1 an de prison et d'une amende de 300 000 à 1 million de francs CFA pour les défrichements ou cultures non autorisés dans les zones forestières. Ces sanctions visent à dissuader les activités illégales et à protéger les ressources naturelles. En outre, des mesures de restauration écologique peuvent être imposées aux contrevenants pour réparer les dommages causés.


LP: Quel est le rôle des Eaux et Forêts dans la gestion des ressources en eau ?
CDY : Les Eaux et Forêts ont pour mission de garantir la ressource en eau en qualité et en quantité. Cela inclut la protection des cours d'eau et la gestion des zones de servitude pour éviter la pollution par des produits phytosanitaires utilisés en agriculture. Nous surveillons également les activités humaines susceptibles de menacer les écosystèmes aquatiques et mettons en œuvre des programmes de restauration pour les zones dégradées. En collaboration avec d'autres agences et les communautés locales, nous travaillons à développer des pratiques agricoles et industrielles durables qui minimisent l'impact sur les ressources en eau.

 LP: Parlez-nous de la relation entre la pollution des cours d'eau et le réchauffement climatique ?

CDY : Il y a une corrélation étroite entre la destruction des flancs des montagnes et le réchauffement climatique. Les plantes, via la photosynthèse, absorbent le CO2 et libèrent de l'oxygène, équilibrant ainsi l'atmosphère. La destruction des végétations perturbe cet équilibre, contribuant au réchauffement climatique et à l'augmentation des gaz à effet de serre. En outre, la pollution des cours d'eau par les activités humaines, telles que l'utilisation excessive de pesticides et de fertilisants, libère également des gaz à effet de serre et dégrade la qualité de l'eau, exacerbant ainsi les effets du réchauffement climatique. 

LP: Quel message souhaitez-vous adresser aux populations locales pour protéger les ressources naturelles du Tonkpi ?
CDY : Je voudrais inviter chacun à adopter un nouveau comportement, un comportement éco-citoyen, pour que nous puissions vivre en harmonie avec notre nature et assurer un avenir meilleur à nos générations futures. Notre environnement est crucial pour notre avenir.

Junior Oulai (Correspondant)