Journée de la mémoire de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions : Françoise Remarck et Chritiane Taubira sur la route de l’esclave à Kanga Nianzé

Commémorer la traite, l'esclavage et leurs abolitions ! C’est le sens de la visite effectuée, le samedi 10 mai dernier à Kanga Nianzé, village situé dans la commune de N’douci, région de l’Agnéby-Tiassa, par Mme Françoise Remarck, ministre de la Culture et de la Francophonie, en compagnie de Mme Christiane Taubira, ex-ministre d’Etat, ministre de la Justice, Garde des sceaux de la France. Avec elles, plusieurs personnalités au nombre desquelles Jean-Christophe Belliard, ambassadeur de la République française en Côte d’Ivoire, le Représentant-pays de l’Unesco, Omar Diop et une forte délégation de l'Association des Antillais et Guyanais de Côte d'Ivoire (Aag-CI). Sans oublier toutes les autorités politiques, administratives et coutumières de la région.
Situant l’auditoire du jour sur l’engagement du président de la République, Alassane Ouattara et du gouvernement à travers son département ministériel, Françoise Remarck a présenté les enjeux de cette cérémonie, surtout, l’importance de Kanga Nianzé dans cette commémoration. « Ce site sera celui de la transmission et de la paix. Ce que nous faisons ici n’est ni un retour sur le passé, ni un simple rituel, c’est un acte de projection vers l’avenir. Car se souvenir, c’est aussi réparer, tout en bâtissant notre futur en entretenant notre présent », a-t-elle indiqué.
Rappelant les multiples actions de la Côte d’Ivoire dans la perpétuation de la mémoire de l’humanité, la ministre Françoise Remarck a également rapporté qu’un atelier de haute portée sur la labellisation de "la route ivoirienne des personnes mises en esclavage" a été organisé, le jeudi 3 octobre 2024, à Abidjan, au siège de l'Office ivoirien du patrimoine culturel (Oipc), structure technique du ministère de la Culture et de la Francophonie dédiée aux questions mémorielle.
« La Côte d’Ivoire, à travers ses musiques, ses récits, ses traditions, conserve l’empreinte de ces luttes. Avec ses rythmes qui sont le reflet de la détermination à garder la tête haute et à rester debout. Elle partage, avec les peuples des Antilles, de Guyane, d’Haïti, du Brésil, des États-Unis et d’ailleurs, un héritage commun », a-t-elle ajouté.
Par-dessus tout, la ministre a souhaité que « cette journée nous rappelle combien nos racines sont profondes et produisent la dignité, la mémoire et la liberté ».
C’est justement en cela que de nombreux Afro-descendants vivent en Côte d’Ivoire, y sont installés depuis des générations et sont devenus Ivoiriens et cette mixité, selon les dires de Françoise Remarck, « est une richesse pour nous».
L’illustre hôte du jour, la ministre d’Etat Christiane Taubira, celle-là même qui a été, en tant que députée à l’Assemblée nationale française, à l’initiative de la loi éponyme qui reconnait « la traite et l’esclavage en tant que crimes contre l’humanité », s’est adressée aux siens avec son cœur.
« Vous m’avez accueillie comme votre fille. J’ai compris que je suis ici chez moi. La clef que vous m’avez offerte est la preuve que je peux revenir très librement ici, peut-être même sans vous prévenir. Kanga Nianzé, oui, je suis revenue sur les terres de mes ancêtres », a affirmé Mme Taubira.
Tout de même, elle n’a pas omis, en des termes crus, de dépeindre, avec réalisme, le tableau sombre de l’esclavage marqué par « l’absolue-violence ».
L’ancienne Garde des sceaux qui mesure, à sa juste valeur, le prix de la liberté, a salué l’engagement, la résistance des marrons et marronnes dans leur quête de liberté et a mis le vœu qu’ils ne tombent jamais dans l’oubli.
«Nous sommes-là aujourd’hui, parce qu’il y a eu des marrons et des marronnes. Jamais, ces hommes et femmes n’ont douté de leur humanité, ce qui justifie notre présence ici aujourd’hui (ndlr, samedi 8 mai 2025) au monde. Nous idéalisons le marron et nous avons raison » a-t-elle laissé entendre. Avant de poursuivre : « Nous saluons la figure du marron, de la marronne, nos ancêtres qui n’ont pas pactisé dans la violence, la domestication, la chosification. Surtout que le maître fait de ce qu’il veut de son bien, puisque le "Code Noir" fait de l’esclave son biens qui entre dans la communauté de bien du monde (…) N’oublions jamais les figures de la résistance qui ne sont pas forcément des marrons, des marronnes, mais qui ont aidé au marronnage ».
Heureuse de cette multi culturalité, Mme Taubira a dit repartir de Kanga Nianzé et de la Côte d’Ivoire le cœur tout en joie : « Je pars avec le cadeau le plus précieux : vos merveilleux sourires et cette clé extrêmement symbolique que vous avez bien voulu m’offrir. Je suis sensible à ce moment très solennel et affectueux et intime que nous partageons ».
La cuvette du dernier bain dans la rivière Bodo
Quant à Rollande Orsinet-Etté, présidente de l’Association des Antillais et Guyanais de Côte d’Ivoire, elle s’est remémorée l’histoire : « Nous venons commémorer ceux qui ont été capturés, enchainés, versé leur sang. Nous sommes-là pour leur dignité. Et dans cette eau de la rivière Bodo, qui coule à quelques encablures de la stèle, a permis de laver nos aïeux avant ce voyage. Que leurs âmes reposent en paix et que leurs forces, leur résilience et leurs souvenirs deviennent lumières. Que cette mémoire ne soit jamais éteinte ».
A la suite de la cérémonie officielle ponctuée de discours, cap a été mis sur "la cuvette de dernier bain" dans la rivière Bodo, tout juste dans le dos de la stèle.
Sur place, des gardiens des us et coutumes ont expliqué aux officiels les différentes étapes du dernier bain des esclaves avant le voyage sans retour.
Les visages graves, avec émotion, la foule a eu droit à la restitution du processus de bain et d’embarcation des esclaves.
Jean Antoine Doudou
Bon à savoir !
Une fresque chorégraphique qui parle à l’âme !
Pendant la cérémonie officielle de la mémoire, sur l’esplanade de la stèle de la Route de l’esclave, à Kanga nianzé, les étudiants de l’Insaac ont produit une fresque d’une belle esthétique, instructive et émouvante décrivant l’esclavage et les actions de marronnage. Encadré par Sidibé Moussa, professeur de danse à l’Insaac, les jeunes ont captivé et fait couler des larmes dans l’assistance.
Christiane Taubira pastiche Aimé Césaire sur l’état du monde
Dans son discours, Mme Taubira a pastiché Aimé Césaire à travers des pans extraits de son recueil "Les âmes miraculeuses" et de "Et les chiens se taisaient". Elle a rapporté que « monde est sombre en ce moment. Mais, nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. Le salut du monde dépend de chacun pour que la lumière soit… »
Le sens du dernier bain
Avant leur déportation, les esclaves étaient soumis à un dernier bain dans le lit de la rivière sacrée Bodo, sur le Nianzé. Ce rite était qualifié de bain purificateur censé effacer leur passé, leur mémoire, leur nom. C’est à cet endroit que commençait leur déracinement.
La Côte d’Ivoire abrite plusieurs sites mémoriels
En plus de Kanga Nianzé, la Côte d’Ivoire abrite plusieurs autres sites à Grand-Lahou, Sassandra, Fresco, ou encore Broubrou, qui porte aussi les stigmates d’un passé longtemps enfoui sous le silence. Grâce à l’Etat de Côte d’Ivoire, aux recherches pluridisciplinaires menées par des archéologues, des historiens, des anthropologues, des linguistes, des chercheurs, avec l’appui de l’Unesco, ces lieux sont désormais identifiés, documentés et destinés à être valorisés.
Une forte délégation d’Afro-descendants !
Ils sont venus d’Haïti, de la Guadeloupe, de Guyane, de la Martinique et de Saint-Marin.
Présents à Abidjan, dans le cadre de l’édition 2015 du Salon international du livre d’Abidjan (Sila), ces Afro-descendants n’ont pas voulu se faire conter cette cérémonie de purification et de bénédictions à Kanga Nianzé aux côtés de Christiane Taubira et l’Association des Antillais et Guyanais de Côte d’Ivoire.
Kanga Nianzé, un lieu chargé d’histoire
C’est un village bordant la rivière Bodo à une centaine de kilomètres d’Abidjan. Les esclaves y étaient nettoyés avant d’être conduits à Cap Lahou, principal port de déportation de la Côte d’Ivoire.
Jad