Le combat de trop

Le combat de trop
Laurent Gbagbo qui, après avoir plongé le pays dans le chaos, veut se battre pour devenir, à tout prix, candidat à l’élection présidentielle d’octobre prochain.

Dans le microcosme politique ivoirien, on aura, décidément, tout vu. Après les revirements spectaculaires de certains acteurs politiques ou les incohérences ahurissantes d’autres, c’est désormais un combat surréaliste qui se profile à l’horizon. Celui de l’ancien chef de l’Etat, Laurent Gbagbo qui, après avoir plongé le pays dans le chaos, veut se battre pour devenir, à tout prix, candidat à l’élection présidentielle d’octobre prochain. Dans le dessein d’occuper pour cinq autres années, le Palais présidentiel. 

Aussi son parti et ses responsables multiplient-ils les déclarations incendiaires et les menaces. Ainsi, samedi 4 janvier dernier, son nouvel appareil politique, le Parti des peuples africains- Côte d’Ivoire, s’est fendu, à l’issue d’un comité central, d’un communiqué qui appelle ses militants à se tenir prêts pour livrer une bataille afin d’obtenir l’inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale. 

Cette sortie qui a tout l’air d’une déclaration de guerre aux autorités ivoiriennes, fait logiquement suite aux menaces proférées sur les réseaux sociaux par certains responsables du PPA-CI. Ceux-ci déclament à qui veut les entendre, que tant le nom de Laurent Gbagbo ne figure pas sur le listing électoral, il n’y aura pas d’élection cette année.

Mais, personne n’est dupe. Toute cette agitation est bel et bien orchestrée par Laurent Gbagbo qui rêve de revenir au pouvoir, après tout le mal qu’il a fait à la Côte d’Ivoire.  Si cette ambition de briguer la magistrature suprême du pays peut paraître légitime pour un homme politique de sa trempe, elle est, en revanche, juridiquement improbable, politiquement impropre et moralement choquante, surtout pour qui a vécu la parenthèse Gbagbo à la tête de la Cote d’Ivoire. 

En effet, trois raisons objectives ne justifient pas une candidature de l’ex-chef d’Etat au scrutin présidentiel prévu dans un peu moins de 10 mois. La première, c’est qu’il n’est ni éligible ni électeur. Condamné, par la justice ivoirienne, à 20 ans de réclusion pour le braquage de l’agence principale de la BCEAO d’Abidjan, lors de la crise postélectorale de 2010-2011, il a perdu, bien qu’il ait été amnistié par le président de la République, ses droits civiques. Seule une amnistie peut le rendre à nouveau éligible.

La deuxième raison est d’ordre éthique et moral. Quand on a échoué à gouverner un pays ; quand on a érigé la violence, le tribalisme, la gabegie, le népotisme, la prévarication des deniers publics en mode de gouvernance ; quand on a mis en lambeaux le tissu social et amplifié la fracture entre les Ivoiriens, le bon sens voudrait qu’on se retire sagement de la vie politique. Et si on n’est pas capable de faire preuve d’une telle hauteur d’esprit, on devrait avoir au moins le sens de l’honneur et ne pas prétendre diriger encore ce pays. Ou encore ne plus donner de la voix. Disons-le tout net, à moins d’un cataclysme, Laurent Gbagbo ne peut plus incarner une nouvelle espérance. Il symbolise, à lui tout seul, la descente du pays dans les profondeurs hadales de l'abîme.  Il est un homme du passé, qui a largement montré ses limites en matière de gouvernance, et dépassé par les nouveaux enjeux de ce monde en pleine mutation. 

La troisième raison relève d'une question de conscience et de responsabilité. Quand on a fait deux mandats pour le prix d'un en louvoyant avec le processus de sortie de crise, et surtout quand on s'est rendu coupable par son refus grotesque de se plier au verdict des urnes, d'une crise postélectorale ayant fait au moins 3000 morts, on devrait, par respect pour la mémoire de ces victimes, ne plus nourrir une quelconque ambition politique, à plus forte raison faire planer une autre épée de Damoclès sur la tête du pays.

Laurent Gbagbo a eu son histoire avec la Côte d’Ivoire. Elle a commencé dans les années 1980 avec pleins d’espoir et s’est refermée, dans la désolation, le 11 avril 2011, au lendemain d’une crise électorale qui aura eu le mérite de dévoiler la grosse escroquerie politique que fut la refondation, système politique xénophobe et incompétent conçu par Gbagbo et ses hommes.

De toute évidence, cette ambition qu’il nourrit est le combat de trop que Laurent Gbagbo s'apprête à livrer ; celle qu’il n’a aucune chance de gagner et qui devrait précipiter sa sortie par la plus petite porte de la scène politique nationale. Sapant ainsi le peu de crédit qu’une minime partie des Ivoiriens lui accordent.  D’ailleurs, avec quelle force et sur qui ou quoi compte-t-il ?

Depuis son retour au pays, en juin 2021, l’homme que l’on voit affaibli physiquement et intellectuellement, n’est que l’ombre de lui-même. Désorienté par sept années de détention, l’ancien pensionnaire de la prison de Scheveningen à La Haye, a aussi perdu une bonne partie de son aura d’antan. Et sa voix n’a plus son écho retentissant de la décennie 2010-2011.  

Pour preuve, il n’a pas réussi à rassembler la gauche qui s'est émiettée en plusieurs factions rivales.  De plus, « son » PPA-CI vivote, depuis sa création, et peine à exister dans le landerneau politique ivoirien.

Après un bilan aussi désastreux, il faut être vraiment Gbagbo pour croire encore en un destin présidentiel. Pour sûr, les Ivoiriens ne tomberont pas deux fois dans le piège. « Premier gaou n’est pas gaou, c’est 2ème gaou qui est gnata », fredonne le groupe Magic System. En d'autres termes, on peut excuser quelqu'un qui se fait avoir une première fois, mais pas une deuxième fois. Les Ivoiriens sauront s’en souvenir.

 

Charles Sanga