Le serpent et le tueur de serpent

En politique, même si tous les coups sont permis, il y a des alliances qui dépassent l’entendement. Pour ne pas dire impensables. Celle que le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) viennent de sceller en fait grandement partie. Non pas seulement parce que ses deux formations politiques n’ont pas la même idéologie, mais aussi et surtout parce qu’elles n’ont rien en commun historiquement. Si ce n’est un passé de belligérance. La semaine dernière, le PDCI et le PPA-CI ont acté officiellement leur mariage dont les fiançailles, du reste, surprenantes avaient été annoncées, quelques jours plus tôt.
A un peu moins de quatre mois de l’élection présidentielle d’octobre prochain, les deux nouveaux alliés ont décidé d’unir leurs forces pour créer un « front commun » contre le pouvoir avec le secret espoir de le faire plier face à leurs revendications, avouons-le, irréalistes : révision et audit indépendant de la liste électorale, mise en place d'un nouvel organe pour organiser les élections, réinscription de Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé… sur la liste électorale, ouverture d’un dialogue politique… Bref, un chapelet d’exigences qui prouvent, clairement, que ces gens ne préparent pas les élections, mais autre chose. Mais, ça c’est un autre débat.
Revenons-en à l’idylle proprement dite entre le PPA-CI et le PDCI. Rien qu’à l’évoquer, Houphouët-Boigny - père de la Côte d’Ivoire moderne - doit se retourner dans sa tombe. Plus de quatre décennies après sa disparition, le parti qu’il a fondé, au prix de mille et un sacrifices après tant de batailles contre l’administration coloniale, file aujourd’hui le parfait amour avec son plus grand pourfendeur : Laurent Gbagbo. Un homme qui, dans l’opposition, l’a traité de tous les noms d’oiseaux et construit sa carrière politique sur les attaques contre son régime, sa personne et son parti.
A y voir de près, le PDCI de Tidjane Thiam, comme un naufragé à la dérive, croit trouver son salut en s’accrochant étonnamment à une formation politique créée, depuis trois ans, et qui peine à s'imposer sur l’échiquier politique national. Un parti, pour l’instant, sans réelle épaisseur qui, au contraire du PDCI, cherche de la visibilité et à beaucoup à gagner dans cette union contre-nature.
A l’évidence, ce front commun a des allures de front républicain de l’an 2000, créé contre le RDR (Rassemblement des Républicains) à l’époque ; un projet sans vision concrète pour le développement du pays mais juste pour combattre un adversaire commun. Il a aussi le visage du CNT (Conseil national de la Transition) ; une structure créée pour un coup d’Etat - sous le couvert de la désobéissance civile et du boycott actif - qui a échoué en 2020.
A l’analyse, cette autre alliance est une injure à la mémoire du vieux Houphouët-Boigny, eu égard aux misères que Laurent Gbagbo opposant lui a fait subir ainsi qu’au PDCI. D’ailleurs, on se rappelle encore, comme si c’était hier, de ses slogans très hostiles au PDCI dont le fameux : « le serpent n’est pas mort». Manifestement, il voulait la mort et la disparition du PDCI de la scène politique. Comme en témoignent le débauchage des cadres, sous son règne, à coups d’espèces sonnantes et trébuchantes, et la pression exercée sur ceux qui lui résistaient.
Aujourd’hui, c’est ce même PDCI que Laurent Gbagbo s’est échiné à détruire, qui s’incline à des jambes pour affronter des…houphouëtistes dans l’âme. C’est un peu comme une violée se marie à son violeur… Dans ce pays, on aura décidément tout vu !
Cette alliance grotesque met en lumière la naïveté de Tidjane Thiam. Il prouve, encore une fois, son incapacité à saisir les réalités du terrain politique. Lui et les ultras du PDCI transforment ce parti historique en tremplin pour un Laurent Gbagbo politiquement fini, en quête d’une bouffée d’oxygène.
Penser que le PPA-CI aidera le PDCI à renverser le RHDP est une illusion. Gbagbo joue sa propre partition. Jamais il ne sera le marchepied de Thiam, revenu au pays après 23 ans d’absence, avec pour seul bagage une ambition démesurée et mal préparée. Dans cette alliance, le tueur de serpent tient enfin sa revanche : achever le PDCI. Et cette fois, il ne le ratera pas.
Charles Sanga