Retour souhaité au pouvoir du président du PPA-CI : Gbagbo n'est pas Trump !
Le rêve est permis, dit-on. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche fait fantasmer les partisans de l'ex-président Laurent Gbagbo. Ces derniers rêvent à un retour gagnant de leur champion à la présidence de la République à l'issue de l'élection présidentielle d’octobre 2025 en Côte d'Ivoire. Selon eux, si l’ancien président américain (2016-2020) est revenu au pouvoir en terrassant Kamala Harris, il y a de fortes chances que le scénario américain se reproduise sur le sol ivoirien. Ils se donnent des ailes et se mettent à faire tous les schémas possibles dans leur tête, avec une seule conclusion : 2025, c’est l’année de Laurent Gbagbo.
Ils oublient que le nouveau président américain a été soutenu, premièrement, par la grande majorité des Républicains, sa formation politique. En effet, il est bon de rappeler qu’en plus de l’élection présidentielle, le Congrès américain était également renouvelé. Les démocrates ont perdu leur majorité au Sénat au profit du parti de Donald Trump. La chambre des représentants pourrait également rester aux mains des républicains même si les résultats ne sont pas encore définitifs. Un élément très important que les proches de Laurent Gbagbo ne prennent pas en compte dans leur rêve de voir leur mentor à la tête de la Côte d’Ivoire. En effet, il faut le souligner, contrairement à Donald Trump, qui s’est appuyé sur un appareil politique solide – le Parti républicain – pour peser dans la balance politique américaine, Laurent Gbagbo et son Parti des Peuples Africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI) peinent à retrouver une assise politique solide en Côte d'Ivoire. Aux dernières élections locales, précisément au mois de septembre dernier, le parti de Gbagbo a enregistré un revers important, n’ayant pu conquérir que deux mairies et aucun conseil régional, signe d’un ancrage local encore faible malgré trois années d’existence. En outre, les obstacles juridiques limitent fortement les perspectives de Laurent Gbagbo de se présenter à la prochaine élection présidentielle. Condamné dans l’affaire de la casse de la BCEAO, Gbagbo écope de vingt ans de prison et a perdu ses droits civiques et politiques, le rendant inéligible. Ne figurant plus sur le fichier électoral, Gbagbo est dans l’impossibilité de redevenir candidat, alors que Trump, malgré ses déboires judiciaires, a conservé ses droits politiques et restait éligible. C’est le second obstacle que les partisans de l’ex-détenu de la prison de Scheveningen (Pays-Bas) ne prennent pas en compte dans leur éphorie
Par ailleurs, et c’est la troisième raison, les héritages laissés par Trump et Gbagbo ne sont pas comparables. Gbagbo a quitté la scène politique ivoirienne sur un bilan économique désastreux, des décennies de crise ayant laissé un pays en ruine. Son pouvoir a failli dès le début. La gabegie, qui s’est installée au niveau de la filière café-cacao, ainsi que les détournements de fonds, ont émaillé sa gouvernance. Les plus hautes autorités de ce pays qui ont favorisé la réforme de cette filière et manœuvré pour la dissolution de la Caistab sont les principales responsables de la gestion calamiteuse de ce secteur. En effet, ce n’était plus un secret pour personne. Même le président Laurent Gbagbo n’hésitait pas à dire que c’était avec l’argent des producteurs et qu’ils allaient désormais en boîte de nuit. Le gaspillage était donc la chose la mieux partagée au niveau des dirigeants des structures de la filière café-cacao. La mal gouvernance a été caractérisée par les nombreux scandales de corruption comme dans la filière café- cacao. Le rachat aux États-Unis d’une usine qui a englouti de grosses sommes d’argent sans produire la moindre tablette de chocolat a agité le tout-Abidjan et fini par convaincre les plus sceptiques de l’intention réelle des refondateurs qui étaient de ruiner le pays. Il en est de même pour le scandale des déchets toxiques. Les Ivoiriens se rappellent que dans la nuit du 19 au 20 août 2006, un navire russe, le « Probo Koala », battant pavillon panaméen et affrété par l’entreprise Trafigura Beheer, a déchargé 528 tonnes de déchets toxiques dans des camions citernes.
Gbagbo dépassé par l'évolution politique et sociale de la Côte d'Ivoire
Ces déchets ont été par la suite répandus à divers endroits du district d’Abidjan. Non seulement les responsabilités n’ont pas été situées, mais une grande partie de l’argent qui devrait servir à dédommager les victimes et à construire des centres de santé s’est volatilisé dans la nature. Que dire de la crise post- électorale qui a mis la Côte d'Ivoire à genoux et qui continue de hanter de nombreux Ivoiriens. Contre toute attente, celui qui s’est toujours présenté comme le père de la démocratie a refusé de se plier aux résultats des urnes. Il engage alors un bras de fer contre Alassane Ouattara, le président élu. Une situation qui déclenche une crise post-électorale. Celle-ci entraine de nombreuses pertes en vie humaine. Officiellement, il est question de 3000 morts. Les souvenirs de cette période restent vifs pour de nombreux Ivoiriens, qui ont aujourd’hui peu de nostalgie pour son régime. Beaucoup vont refuser pour cette quatrième raison de lui accorder leur suffrage en 2025.
La cinquième raison, c’est le spectacle honteux que Laurent Gbagbo a servi à ses partisans et au monde entier le 17 juin 2021. Les images de son attitude scandaleuse vis-à-vis de son épouse à l’époque à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, lui ont été préjudiciables. Laurent Gbagbo a perdu de nombreux sympathisants qui ne lui ont pas pardonné son attitude vis-à-vis de Simone Gbagbo qui était non seulement son épouse, mais aussi un compagnon de lutte depuis de nombreuses années.
La sixième raison est qu’à son retour de La Haye, l'ancien président n’a pas réussi à rallumer la flamme de sa popularité. Bien au contraire, il a commis des erreurs politiques successives qui ont réduit à néant le mythe Gbagbo. La scission et le divorce avec Simone Gbagbo, les querelles pour le contrôle du FPI avec Pascal Affi N’Guessan, et ses relations tendues avec Charles Blé Goudé ont considérablement érodé son image et fragmenté son soutien. Aujourd'hui, la gauche ivoirienne, traditionnellement acquise à Gbagbo, est éclatée. Le PPA-CI ne peut prétendre représenter l’ensemble de l’opposition, encore moins la gauche dans sa globalité.
La dernière raison est que face au Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), véritable machine électorale sous l’impulsion d’Alassane Ouattara, le PPA-CI reste un acteur de poids moindre. La gouvernance de Ouattara a en effet mis la barre haut en matière de développement économique et de gouvernance, créant une stabilité économique que de nombreux Ivoiriens ne souhaitent pas sacrifier. Espérer un retour de Laurent Gbagbo au Palais, en parallèle avec la réémergence de Donald Trump aux États-Unis, relève donc de l’utopie. Le contraste entre les contextes, les héritages et les dynamiques politiques est frappant : si Trump a conquis à nouveau la Maison Blanche, Gbagbo, lui, est perçu par beaucoup comme un homme du passé, dépassé par l'évolution politique et sociale de la Côte d'Ivoire.
Rahoul Sainfort