Université FHB: Les cités respirent l’air de la liberté après la dissolution de la Fesci

L'ambiance au campus de l'université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, où nous sommes passés, le 21 octobre dernier, affichait un climat serein.  En effet, au lendemain de la dissolution de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI), survenue le jeudi 17 octobre dernier, une nouvelle ambiance règne sur les cités universitaires de Cocody. Notre constat terrain. 

Université FHB: Les cités respirent l’air de la liberté après la dissolution de la Fesci
Une vue de quelques bâtiments, qui accueillent des chambres d'étudiants (Ph MB)

Il est 15h 30 mn, ce lundi 21 octobre 2024. Le soleil darde ses rayons brûlants sur la commune de Cocody après la pluie du matin. Quelques étudiants, personnel et autres personnes déambulent sur le campus de la première université publique de Côte d'Ivoire, l’université Félix Houphouët-Boigny.  L’atmosphère dans ce temple du savoir a profondément changé depuis la décision du Conseil national de sécurité CNS de dissoudre toutes les syndicats estudiantins dont la Fesci. 

La pelouse fraîchement tondue et le gazouillement des oiseaux renforcent cette atmosphère de sérénité qu’on ressent sur les lieux. Pourtant il y a quelques jours, la décision du CNS, suivie du délogement de nombreux étudiants en situation irrégulière pour rétablir l'ordre sur le campus, avait laissé la place à un sentiment d'incertitude et de désarroi parmi les étudiants restés sur place ou légalement logés. 
Dans les couloirs désertés des résidences universitaires règne un silence propice aux études. La Fesci, autrefois omniprésente sur le campus, a complètement disparu. Dans le parking de la présidence de l'université, la présence d'un véhicule de la police nationale est bien visible pour renforcer une surveillance constante. 

La vie académique n'a pas échappé à ces bouleversements. Les cours se déroulent bien dans les amphis et salles TD. Des enseignants rencontrés refusent de nous parler. " Allez voir notre hiérarchie pour vous expliquer. Actuellement la situation est sensible", lance un enseignant à notre visage. Cependant, malgré le contexte sensible certains étudiants tentent de s'organiser différemment. D'autres scrutent encore l'avenir. 
Dans les cités Campus 2000, Inset et autres, des véhicules de la police et de la gendarmerie assurent également la sécurité des lieux. Pour Yao Kouadio Bakary, étudiant en licence d'anglais," la situation était très difficile à supporter même si ça va mieux aujourd'hui ", se réjouit-il. Avant d'ajouter : " La Fesci c'était un mal nécessaire tout de même. Elle luttait pour nous afin d'éviter certains abus de nos autorités ". Un peu plus loin, nous rencontrons Mlle Yolande Yao, étudiante en 2e année d'histoire.  Selon elle, c'était désagréable avec la Fesci. « Les camarades se battaient pour peu de choses. Ils me faisaient peur.  Les fescistes n'aimaient pas qu'on marche sur la même ligne. Dès que nos chemins se croisaient, ils nous demandaient de changer de chemin.  Ils disent : "mettez-vous de côté, et laissez-nous passer». Et cela doit être vite fait, sinon ce sont de violents coups de fil de fer qu'ils faisaient pleuvoir. Ils faisaient leur loi à eux », déplore notre interlocutrice. Et de relever : " Ils nous aidaient malgré leur attitude décriée, d'avoir facilement nos papiers". 
 Mlle Marie Victoire Ouallo, étudiante en droit Licence 2, dit avoir stoppé les cours depuis 2023 pour quelque temps, ce, pour des raisons personnelles. Elle témoigne de ces années passées à l’université Félix Houphouët-Boigny. " Dans notre Ufr, il n’y avait pas de problème entre la Fesci et nous en dehors des congrès qu’elle organisait pour nous embrouiller.  Mais tous mes camarades avaient quand même peur des agissements des fescistes", se rappelle-t-elle.

 Quant à Mlle Laurence Keipo, en licence 2 d'anthropologie, elle souligne qu'aujourd'hui « l'air est pur ». « Je vois que le campus est devenu calme. Avant, à cette heure (Ndlr, à 16 h15mn), ils se mettaient à chanter et à troubler la quiétude des autres pour rien. Ils étaient très violents. Ils se disputaient souvent entre eux », raconte-t-elle. Rosemonde Yapou, en Master 2, au Centre de préparation aux diplômes d'experts comptables, exprime sa joie et son regret, depuis la dissolution de la Fesci. "Actuellement c'est calme ici, et tout se passe bien. En tout cas rien de grave pour le moment, pourvu que les autorités prennent les bonnes décisions pour ne plus que cette fédération ressuscite. Je vis seule dans ma chambre, tranquille, pas de bruit autour de moi. Mais il est difficile de trouver à manger sur le campus, vu qu' il n'existe plus de marchés et ni de restaurants. Nous sommes obligés d'emprunter un taxi, pour aller acheter de la nourriture dehors. Tout cela nous revient encore plus cher », regrette-t-elle. 

Dans les cités Inset et Campus 2000 où nous sommes passés, les habits lavés, flottaient sur les différents séchoirs des balcons de ces dortoirs.  Dans ce lieu, où il n'existe presque plus de commerce, nous apercevons trois vendeuses d'oranges. Elles avancent que leur commerce a commencé depuis la dissolution de la Fesci. Et que le climat actuel ne leur fait pas peur. « Peut-être qu'un jour les gens vont nous chasser aussi. Ce sont des oranges seulement que nous vendons, donc aucune crainte de ce fait » fait savoir D. A, la trentaine révolue avec son nouveau-né sur la jambe gauche. 
Au rez-de-chaussée d'un autre bâtiment, l'étudiant Koffi Emmanuel, en année de Master 2, se réjouit du calme qui règne désormais dans ces lieux de repos. « Ça va, car nous sommes dans de bonnes conditions pour bien réussir nos études. Avec ou sans la Fesci, nous sommes ici pour étudier. Actuellement l'ambiance est bien parfaite. Nous espérons que l'administration ne va pas nous malmener parce que la Fesci nous aidait souvent contre les abus », fait-il savoir.
 Il est 17 h 45 mn quand nous arrivons au terminus des bus de la Sotra, situé à l'entrée du campus, côté Chu de Cocody. A cette heure de pointe, ce lieu comme à son habitude grouille de monde. Difficile d'arracher un seul mot. " Aujourd'hui, il nous faut un peu de discipline. Les usagers étaient habitués aux éléments de la Fesci qui dictaient leur loi, ici. Avec eux, ils faisaient monter d'abord leurs camarades et copines avant de faire monter dans le bus les autres personnes. Même si une personne  âgée ou  une jeune personne occupait la tête du rang,  ils trouvaient que cela n'était pas normal. Tout cela était fait avec la complicité des agents de la Sotra. Ils étaient impuissants devant cette réalité", confie un étudiant de l'ENS, qui a requis l'anonymat. Pour Mlle Rebecca Amalaman, en Licence 2 de chimie biologie et géologie, rencontrée sur ce même quai, c'était très pathétique pour les usagers. « Ce sont les agents de la Sotra qui laissaient faire. Si tu arrives le premier dans le rang, en attendant l'arrivée du bus, les membres de la Fesci étaient capables de faire descendre les personnes qui occupaient la tête du rang. Ils faisaient monter leurs amis et copines d'abord, souvent de force. Ils réservaient toutes les places assises à leurs connaissances. Qui pouvait se plaindre ? », soutient Rebecca Amalaman. Avant de poursuivre : « Les fescistes déclenchaient souvent des bagarres entre eux-mêmes. Pis, ils ne payaient pas la carte de bus ou bien, ils ne les rechargeaient pas. La Sotra ne disait rien. Si certains d'entre eux qui étaient conduits dans les bureaux de la Sotra après avoir fraudé, on les faisait sortir immédiatement après l’intervention des leurs", se souvient-elle, très remontée. A l'en croire,  une fois, elle  s'est  fait tabasser parce qu'elle a  refusé de  leur céder sa place dans le bus. « Vivement que la Sotra trouve des contrôleurs, afin de mettre de l'ordre dans ses gares », plaide la jeune étudiante. 
Pour l'heure, le campus de Cocody reste un lieu en quête de repères, tiraillé entre souvenirs d'une époque de revendications actives et les incertitudes d'un avenir où la voix des étudiants pourrait être moins audible. 

Malaoua Bertin