Interview-Ange Gervais Ahoulé (directeur régional des services vétérinaires) : « Nous accélérons le dossier pour l'indemnisation des éleveurs »
La peste porcine Africaine (PPA) est une maladie hautement dangereuse qui a décimé, selon les services vétérinaires du ministère des Ressources animales et halieutiques (MIRAH), plus de 35 000 porcs depuis avril 2024 sur toute l'étendue du territoire Ivoirien. Près de 90 000 porcs ont été abattus pour limiter la propagation de l’épidémie. Ce sont 650 éleveurs qui voient leurs moyens de subsistance menacés, tandis qu'une indemnisation est envisagée par le gouvernement pour soutenir les acteurs de la filière. Dans cette interview, Docteur Ange Gervais Ahoulé, directeur régional des services vétérinaires du MIRAH, fait le point de la situation, évoque les différentes campagnes de sensibilisation, non sans rassurer sur la qualité de la viande mise sur les marchés. Pour les éleveurs impactés, il rassure également que le dossier de l’indemnisation est en voie de connaître un aboutissement heureux.
Le Patriote : Docteur, c'est quoi la peste porcine africaine (PPA) ?
Ange Gervais Ahoulé : La peste porcine africaine est une maladie virulente et hautement contagieuse entre les animaux. C'est un virus qui se propage par contact direct entre les animaux infectés, mais inoffensif pour l'homme. Il se comporte comme celui de la grippe. La PPA se révèle dévastatrice pour les porcs. Car, elle les tue à 100%. La perte des animaux représente donc un coup dur pour les acteurs concernés.
LP : Depuis quand la peste porcine africaine a-t-elle été déclarée en Côte d'Ivoire et quelles sont les principales zones impactées par cette épidémie ?
AGA : La peste porcine africaine a été déclarée cette année en Côte d'Ivoire le 1er avril dernier. A l'intérieur du pays, des zones comme Daloa, Bouaflé, un peu à Korhogo, ont été touchées. Dans le district autonome d'Abidjan, que nous gérons, les zones concernées sont Songon, Brofodoumé, Yopougon, Port-Bouët, Anyama et Bingerville. Nous avons fait un bilan jusqu'à la dernière date où nous vous recevons aujourd'hui (Ndlr, jeudi 31 octobre 2024), nous enregistrons 90 000 bêtes abattues dont 45 000 au niveau de notre direction régionale d'Abidjan.
LP : Quels sont les préjudices causés aux éleveurs et aux vendeurs de porcs ?
AGA : Les Ivoiriens, en général, sont des consommateurs de la viande de porc. Cela, à travers ses vertus. Sachez que la viande de porc est une bonne source de fer qui contribue à maintenir l'énergie. Elle contient du zinc. La vitamine présente dans cette viande, favorise le bon fonctionnement du système immunitaire, protège des infections et favorise la circulation sanguine.
De nombreuses femmes vendent de la viande de porc. Ce commerce leur permet de se prendre en charge et de s’occuper également de leurs familles. En éliminant les carcasses, il y a évidemment une baisse de la production. Cela engendre une baisse au niveau de la viande vendue sur nos marchés. Au niveau des éleveurs, nous enregistrons une perte vue que les porcs ayant été engagés n'ont pu être mis sur le marché. C'est une grande perte économique pour tous ces acteurs.
LP : A combien évaluez-vous le préjudice subi par la filière ?
AGA : Nous l’évaluons entre 2 à 3 milliards de FCFA. Dans la zone du district autonome d'Abidjan, il est estimé à deux milliards FCFA.
LP : Pouvons-nous en savoir un peu plus sur les mesures prises par le gouvernement pour contrôler la propagation de la peste porcine africaine en Côte d’Ivoire ?
AGA : Bien sûr que des mesures sont prises. Quand on se réfère à la loi, nous sommes autorisés à pratiquer l'abattage sanitaire. Ainsi donc, les zones où nous avons constaté qu'il y avait une accalmie, nous avons procédé à l'assainissement de ces zones, à l'effet d'éliminer le virus. Car notre rôle, c'est d'éliminer le virus au maximum pour éviter la propagation de la maladie.
Nous menons également des campagnes de sensibilisation. Plusieurs rencontres ont eu lieu avec les éleveurs de porcs à l'effet de les sensibiliser sur les mesures nécessaires, afin d'éviter la propagation du virus. Car nos éleveurs étaient habitués à un certain nombre de pratique qui favorisaient la propagation de la maladie. Notamment le déplacement des animaux sans documents officiels, l'abattage clandestin des animaux ainsi que la vente illicite sur des marchés.
LP : Y-a-t-il des restrictions dans les zones impactées ?
AGA : Bien sûr qu'il y a des restrictions de vendre la viande contaminée et de ne pas en consommer. Pourquoi ? Pas parce ce n'est une zoonose. Non. Ce n'est pas une zoonose, qui est une maladie transmise de l'animal à l'homme. La PPA ne se transmet pas de l'animal à l'homme. Mais l'homme est un vecteur qui peut véhiculer le virus à travers ses vêtements. Ceci dit, en manipulant les carcasses, l'homme peut transmettre le virus, puisque le virus est très résistant dans les vêtements.
LP : Comment les autorités sanitaires rassurent-elles les consommateurs sur la consommation de cette viande en période d'épidémie ?
AGA : Nous voulons rassurer les consommateurs pour leur dire que le MIRAH abrite la Société d'abattage et charcuterie (SIVAC), qui s'occupe de tout ce qui est viande de porc sur toute l'étendue du territoire Ivoirien. Dans notre région, cette structure est située à Yopougon. C'est un abattoir. Tous les animaux abattus qui sortent de là sont contrôlés et exempts de maladie. Les différents marchés sont approvisionnés à partir de la SIVAC. C'est pourquoi nous rassurons les populations que la viande de porc estampillée par nos services, est de qualité à consommer sans souci.
LP : Comment le consommateur peut-il savoir que la viande vendue par petits morceaux, provient de la SIVAC ?
AGA : Pour le savoir, c'est facile, il faut toujours demander les signes ou les papiers officiels à la vendeuse ou au vendeur en cas de doute. Nous avons des tampons qu'on marque sur une partie de la viande que le vendeur est obligé de vous le montrer. Si possible, vous pouvez vous rendre dans une boucherie, où la carcasse exposée, est marquée par un tampon qui signifie que la viande est déjà contrôlée, inspectée. Pour être à l'abri, nous conseillons les populations d’acheter la viande dans les boucheries agréées par l'État ivoirien.
LP : Est-ce que ces boucheries sont-elles accessibles ou visibles ?
AGA : Nous les avons installées un peu partout. Il y a le point "Gabi", situé à Yopougon-Sideci, où les femmes approvisionnent régulièrement les autres. Nos agents sont en permanence sur ces lieux afin de rassurer les populations.
LP : Quelles sont les attentes des éleveurs et consommateurs vis-à-vis du gouvernement ivoirien, afin d'atténuer les impacts économiques de cette crise ?
AGA : Une question pertinente. Les attentes sont d'abord que le gouvernement indemnise les acteurs. Au niveau du ministère de tutelle, toutes les mesures sont prises pour les éleveurs qui ont subi ces préjudices. Les documents administratifs sont déjà transmis afin que l'État puisse procéder à leur indemnisation.
LP : A quand le début de cette indemnisation ?
LP : Combien sont-ils ces acteurs ?
AGA : Nous comptons à ce jour, 650 éleveurs au niveau d'Abidjan. A l'intérieur, nous attendons la transmission du nombre total des impactés.
LP : Quels sont les impacts économiques de la peste porcine africaine sur les communautés locales ?
AGA : Concernant l'impact économique, il faut noter que cette activité est une source de création d'emplois. Avec la PPA, beaucoup de jeunes sont au chômage. Cela est bien triste et regrettable. C'est pourquoi nous accélérons le dossier pour l'indemnisation.
LP : Comment les éleveurs de porcs s'organisent-ils pour faire face à l'épidémie ?
AGA : Il faut dire qu'à la faveur de cette situation, beaucoup d'éleveurs ont pris conscience. Parce que cette maladie est réapparue à cause de certains éleveurs. Or, s'ils étaient structurés, ils auraient pris des précautions pour éviter cette épidémie. Actuellement ils s'organisent pour mettre en place un groupement de défense sanitaire (GDS) qui vise à interagir pour une alerte maximum.
LP : Votre appel aux populations et aux acteurs de la filière porcine ?
AGA : C'est un appel pour rassurer les populations sur la qualité de la viande mise sur le marché. Cette viande est bel et bien inspectée par nos services à travers la SIVAC. Je rassure également les acteurs que le ministère des Ressources animales et halieutiques met tout en œuvre pour la reprise des activités et leur indemnisation.
Interview réalisée par Malaoua Bertin