Reportage-Axe Niakara-Katiola-Bouaké : Quand la fréquence des accidents de la circulation devient inquiétante
Les accidents sur le tronçon routier Katiola-Niakara sont d’une récurrence d’autant plus incompréhensible qu’inacceptable. En effet, il ne se passe quasiment pas une seule année sans qu’un grave accident ne soit signalé sur cet axe malgré la réhabilitation de la A3. Le dernier accident en date sur ce tronçon, est celui du 6 septembre 2024 dans lequel treize personnes ont péri calcinées lors d’une collision qui s'est produite aux environs de 23h. Deux ans en arrière, c’était un autre accident mortel (plus de 20 morts) qui s’était produit au carrefour de Darkokaha. Comment expliquer ces accidents récurrents qui ne cessent d'endeuiller chaque année de nombreuses familles et surtout, comment y mettre un terme ?
La route nationale A3, entièrement rénovée il y a plus de cinq ans, donne encore aujourd'hui, une fière allure aux villages et villes qu’elle traverse de Bouaké à Ferké. Inutile de dire qu'elle a impacté positivement la vie des riverains. Tout le monde, qu’il soit habitant ou voyageur en transit, est d’accord pour dire que Katiola, Fronan, Niakara et Tafiré sont devenues des villes coquettes. Lancés le samedi 11 novembre 2017 en présence du défunt Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, les travaux de réhabilitation de cette route ont duré globalement 36 mois au bout desquels les populations ont eu de la peine à masquer leur joie. Elles ont toutes salué la qualité du travail réalisé et les qualificatifs pour exprimer leur reconnaissance à celui qui a eu cette vision, le Président de la République Alassane Ouattara, ont été aussi nombreux que diversifiés. Cette route appelée jadis route de la mort, axe de la honte, chemin de croix et que sais-je encore fait depuis partie d'un lointain souvenir. Malheureusement aujourd'hui, paradoxe, la fréquence des accidents sur cette belle route, ce joyau, suscitent des interrogations.
Des causes multiples. La majorité des usagers interrogés sur les causes réelles des accidents sur la A3, dans sa partie Niakara-Katiola-Bouaké, évoquent des causes diverses. Ils indexent les mauvais stationnements, l'excès de vitesse, l'inconscience des chauffeurs, les défaillances techniques des véhicules, l'étroitesse de la route et des raisons occultes. L'accident du vendredi 6 septembre dernier est imputable, selon une source de policière, à un mauvais stationnement d'un gros camion. La collision "dévastatrice" s'est produite entre le car de transport et un camion-citerne "chargé de carburant" qui arrivait en sens inverse, la chaussée ayant été rétrécie par "un camion de marchandises, stationné sans aucune signalisation", selon une source de Police Secours, "Le choc entre le car et le camion-citerne, inévitable la nuit aidant, a déclenché un violent incendie". Police Secours a indiqué un "bilan encore provisoire lourd" de "13 corps calcinés et 49 blessés dont 19 enfants évacués à Katiola et Niakara".
Des points critiques
De l'avis de plusieurs usagers, il existe sur ce tronçon, des points critiques comme si des forces maléfiques y régnaient. A ces endroits bien connus des conducteurs, les accidents sont nombreux et fréquents. Il y a le carrefour Yobouékro, celui de Darakokaha et l'entrée du village de Foro-Foro 1. Le premier, à partir de Bouaké pour le Nord, est le carrefour Yobouékro, surnommé tristement carrefour de la mort. Située à 11 km de Bouaké, cette partie de la route a inquiété les usagers au début de l'ouverture de l'autoroute de Yamoussoukro à la circulation le 26 août 2023. Il s'avérait particulièrement dangereux pour les automobilistes imprudents. Ceux-ci qui sortaient de l'autoroute à vive allure et se laissaient surprendre par sa fin. Aujourd'hui, il semble avoir trouvé une solution avec la présence fréquente des forces de l'ordre, la signalisation de la fin de l’autoroute et l’installation de bandes rugueuses sur les deux voies. La jonction de l'autoroute Yamoussoukro-Bouaké et la A3, au niveau du village de Yobouékro, aura été à la base de plusieurs accidents avec morts d'hommes et beaucoup de dégâts matériels, avant que les mesures salutaires annoncées plus haut, ne soient prises pour arrêter l'hécatombe. Le 25 septembre 2023 à 20h06mn, un carambolage impliquant trois véhicules de particuliers, y faisait 13 victimes (02 décès, 06 blessés graves et 05 légers).
“Aujourd'hui, ça va nettement mieux. À l'ouverture de l'autoroute, on assistait chaque jour à des sorties de route de véhicules au niveau du carrefour de notre village, Yobouékro. La fin de l'autoroute est bien matérialisée aujourd'hui. Du coup les accidents sont devenus rares”, témoigne Kouassi Landry, un riverain.
Le deuxième point critique est l'entrée ou la sortie du village de Foro-Foro 1. Habitué de ce tronçon, nous confirmons la fréquence des accidents. Nous y avons même été victime d'un mauvais stationnement sans signalisation d’un gros camion de transport de marchandises, une nuit en provenance de Katiola. Ici, les stationnements de camions sans signalisation sont légion. “Trop d'accidents ont lieu ici à Foro-Foro. Les gros camions, pour des raisons de panne ou pas, stationnent de jour comme de nuit, sans signalisation. Quand leurs conducteurs pensent bien faire, ce sont des feuilles ou des herbes qu'ils utilisent pour signaler les pannes. Il est impossible de faire une semaine sans un accident sur cette partie de route”, affirme catégorique, dame Nomination Koné, vendeuse de fruits et légumes au bord de la A3.
Le carrefour de Darkokaha dans la commune de Fronan, situé à 7km de la capitale du Hambol, est le troisième point critique. De notre avis, il n'est pas suffisamment signalé. Du moins, vu la fréquence des accidents, il convient de revoir sa matérialisation. De passage un jour, nous y avons marqué un arrêt pour voir le comportement des usagers qui peut vous couper le souffle. La plupart des motocyclistes en provenance de Darakokaha abordent le carrefour sans marquer un arrêt. Et c'est ce genre de comportement qui a causé certainement l'un des accidents routiers les plus meurtriers de l'année 2021. Le lourd bilan constaté au lendemain de l'accident s’établissait à 23 morts, au lieu de 18 comme annoncé aux premières heures du sinistre, ainsi que de nombreux blessés dont plusieurs cas graves. Cette tragédie n’avait pas laissé indifférent le Chef de l'Etat et le Premier ministre qui y avaient dépêché la ministre de la Solidarité et de la Lutte contre la Pauvreté, Myss Belmonde Dogo auprès des familles éplorées. Et ce, pour non seulement témoigner la compassion du gouvernement, mais également apporter une assistance aux blessés qui avaient reçu des soins au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bouaké et au Centre hospitalier régional (CHR) de Katiola.
Ici, un conducteur de moto taxi pense qu'il y a des esprits maléfiques au carrefour. “Les accidents qui se produisent ici sont loin d'être provoqués par l'homme. Il y a des génies par ici. Vous voyez, c'est tout un périmètre qui est concerné sur deux à trois kilomètres dans les deux sens. Pourtant, la route est impeccable ici. Il faut penser à envisager d'autres mesures sans omettre de faire une sensibilisation accrue des usagers au carrefour”, suggère Wédjeyo Touré, du village de Darakokaha.
Kouamé Bi Kalou, préfet de région, préfet du département de Katiola, lui, n’indexe pas les génies et autres sorciers, mais revient sur les circonstances de l’accident. "C’est un motocycliste qui ne s’est pas arrêté au panneau Stop, à l’intersection du village de Darakokaha. Il a été percuté mortellement par un minicar venant de Ouangolo, le conducteur ayant perdu l’équilibre, s’est retrouvé sur la voie opposée et est entré en collision frontale avec un camion. C’est ce qui a provoqué ce bilan macabre, de 17 morts au départ à 23 maintenant", avait-il relaté. Un enseignant en fonction à Fronan et pratiquant régulièrement l'axe Katiola-Fronan met en cause l'excès de vitesse. "La plupart des accidents sur cette route sont dus à l'excès de vitesse. Pourtant une signalisation régulière limite la vitesse sur cette voie à 90 km/h. Mais cette limitation n'est pas du tout respectée. C'est à tombeau ouvert que les gens roulent. Il est à se demander s'ils voient les panneaux de limitation de vitesse’’.
Comment y remédier ?
De nombreux riverains des villages traversés par la A3 et usagers de cette route préconisent une application stricte des mesures sécuritaires adoptées par le gouvernement, notamment la vidéo verbalisation qu'ils appellent de tous leurs vœux, la mise en fourrière des véhicules défectueux, la traque des chauffeurs sans permis de conduire, la poursuite du prolongement de l'autoroute du Nord qui va définitivement remplacer la A3...
À l'instar de Dame Coulibaly Sonia et Yacouba Konaté, commerçants qui pratiquent cet axe fréquemment, il n'y a pas mille solutions à ces accidents. “Les forces de l’ordre doivent sévir. Tous les véhicules pris en flagrant délit de mauvais stationnement doivent être mis en fourrière. Des caméras sont installées le long de cette route. Il faut qu'elles servent à quelque chose déjà. Il faut traquer sans relâche les chauffards inconscients. Ces accidents nous inquiètent sérieusement et pourtant la route est très bonne”, a dit la première quand le second, qui a abondé dans le même sens, a fustigé l'excès de vitesse des minicars de transport entre Katiola et Niakara. “Il faut sévir. On dit que la peur du gendarme entraîne la sagesse. Les chauffeurs des minicars de Katiola et Niakara roulent à tombeau ouvert. Ils sont à la base de nombreux accidents tragiques. Par moments même ils nous font regretter la réhabilitation de la A3. Pour sa part, Yacouba Konaté, dit petit Yacou, un chauffeur pratiquant la ligne Niakara-Bouaké, pointe du doigt l'étroitesse de la voie. "J'ai une doléance urgente à formuler: que l'autoroute soit prolongée jusqu'au Nord. La route actuelle comporte deux voies. Sa réhabilitation est à saluer. Mais pour une route internationale avec un trafic en constante augmentation, il urge qu'elle soit transformée en autoroute. Sinon, il suffit qu'un camion ou même un véhicule de petit gabarit tombe en panne sur l'une des chaussées pour que la voie soit considérablement réduite. Il convient de prolonger l'autoroute de Yamoussoukro jusqu'au Nord pour pallier cette situation ”, a-t-il plaidé, sans oublier de saluer la décision du Conseil des ministres du mercredi 18 septembre 2024 de la prolonger jusqu'à Darakokaha.
Que dire aujourd'hui ? In fine, du temps où la A3, était fortement dégradée, toute la Côte d'Ivoire s'était levée, surtout les populations du Nord, pour réclamer sa réhabilitation. Toute chose prise en compte par le gouvernement du Président de la République Alassane Ouattara, pour qui le développement du pays dépend inéluctablement d’un réseau routier performant. La A3 a donc été réhabilitée de fort belle manière au point où aujourd'hui elle n'a rien à envier à certaines autoroutes de la sous-région. Mais les usagers doivent comprendre que c'est pour leur confort et non le contraire. On devrait gagner du temps sur la A3, gagner de l’argent sur la A3, voyager dans la joie, la tranquillité et la sécurité sur la A3. Pas autre chose.
Des chiffres en baisse
En 2023, la Côte d'Ivoire a enregistré une moyenne de 37 accidents par jour, en baisse par rapport aux 41 accidents quotidiens de l'année précédente. Les efforts continus en matière de sécurité routière en Côte d’Ivoire, notamment avec la vidéo-verbalisation, montrent des progrès significatifs dans les comportements des usagers. Lors du lancement de la Semaine nationale de la sécurité routière, on a observé une hausse notable du port du casque chez les conducteurs de deux-roues et une adoption croissante de la ceinture de sécurité. Ces actions s’inscrivent dans la Stratégie nationale de la Sécurité routière 2021-2025 du gouvernement ivoirien, visant à réduire les accidents sur les routes.
La moyenne journalière des accidents de la route en Côte d’Ivoire est passée de 12 en 2012 à 46 en 2022, selon le communiqué final du Conseil national de la Sécurité (CNS) du 12 janvier 2023. Face à cette situation, le Président de la République, Alassane Ouattara, a donné des instructions pour accélérer la Stratégie nationale de Sécurité routière 2021-2025, notamment les volets sensibilisation et répression.
Selon un bilan dressé par l’Office national de la protection civile (ONPC) 15 060 interventions ont été enregistrées par ses unités opérationnelles. Le nombre total de victimes est en baisse. Il est de 21 409 en 2023 contre 22 281 en 2022. Dans ce nombre, les services de secours d’urgence révèlent également que les accidents de la circulation constituent la majorité des interventions. En 2023, ils totalisent 9 062 interventions contre 10 477 accidents en 2022, soit une réduction de 15 % des cas d’accidents.
AGNÈS KOUAHO, CORRESPONDANT