C’est un phénomène qui prend, de plus en plus, des proportions inquiétantes. Il s’agit du trafic de fèves de cacao vers les pays voisins. Ainsi, clandestinement, des tonnes de ce produit sortent régulièrement du pays, dissimulés dans des camions qui traversent les frontières ivoiriennes pour le Liberia, la Guinée, le Mali ou le Burkina Faso. Pour ne citer que ces pays limitrophes. A l’ouest du pays, selon le patron d’une coopérative qui se confiait à Rfi, « Les camions circulent sans contrôle ! », et plus de 4 000 tonnes de fèves de cacao sortent du pays chaque semaine en direction du Liberia ou de la Guinée. Pas moins de 8400 tonnes sont parties dans la seule journée du 24 décembre, d’après Reuters que cite Rfi.
Ces chiffres, qui donnent le tournis, témoignent de l’ampleur ahurissante de ce commerce frauduleux qui porte un sacré coup à la production nationale, et surtout à l’économie ivoirienne, avec un manque à gagner de plusieurs milliards de FCFA. Pour preuve, en 2023, le volume de cacao exporté illicitement de la Côte d’Ivoire vers le Ghana est estimé à environ 300 000 tonnes et la perte annuelle pour la Côte d'Ivoire s'élève à près de 500 millions de dollars, soit près de 295 milliards de FCFA. Comment de centres de santé et d’écoles auraient pu servir à construire cette somme faramineuse qui s’est volatilisée ? De tout évidence, l'État ne peut rester les bras croisés face à cette contrebande organisée, avec des complicités bien établies. Parfois au sein même de l’administration publique. C’est pourquoi, ce qui est du reste à saluer fortement, les autorités ivoiriennes ont lancé, depuis le 2 octobre 2024, l’opération Verrou 322 conduite par les Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire et les corps paramilitaires. Objectif : juguler la fuite des produits agricoles de rente.
Ainsi, le mercredi 08 janvier 2025, un camion de marque Mercedes, type remorque, immatriculé au Mali, transportant 52 sacs de café brut d'un poids de quatre tonnes, dissimulés et disséminés parmi des marchandises constituées d'amidon et d'ignames, a été intercepté à la sortie de la ville de Korhogo par l'Antenne Régionale de la Police des Stupéfiants et des Drogues (DPSD). D’après le procureur de la République, qui donne l’information, via un communiqué en date du 16 janvier 2024, le camion, en provenance de Bouaké, avait pour destination Bamako au Mali. Au total, 10 personnes, dont des agents publics, ont été interpellées par les enquêteurs. Elles seront poursuivies devant les juridictions compétentes pour des faits de corruption, exportation illicite de produits agricoles soumis à agrément et blanchiment de capitaux.
Autre lieu, autre prise : Sipilou, à l’ouest de la Côte d’Ivoire. Là, le préfet du département, le commissaire de police de ladite ville, le chef du détachement des Forces armées de Côte d’Ivoire ( FACI), le commandant de la brigade de gendarmerie et le chef du bureau des Douanes ( excusez du peu) ont été relevés de leurs fonctions pour « leur implication" dans l'exportation illicite des produits agricoles de rente vers un pays voisin de la Côte d'Ivoire », selon un communiqué signé par le chef d'Etat-Major des Armées, le Général de Corps d'armée Lassina Doumbia, en date du 14 janvier 2025. Comment des gens qui ont un tel niveau de responsabilité peuvent tremper dans une affaire aussi sombre ? La quête de l’argent ? Difficile à comprendre, car, avec un tel rang social, ils sont loin d’être des indigents, quoique la pauvreté n’est pas une raison valable pour s’adonner au vol. En tout cas, c’est un message très fort que le gouvernement envoie à ces contrebandiers : la récréation est terminée !
Y. Sangaré